Analyses critiques
La Tijâniyya et le bien-être économique au Cameroun
Fadel Soubiane Bah (PhD)
Chercheur, histoire des religions (islam confrérique, soufisme), histoire politique et des relations internationales (polémologie, irénologie)
Université de Ngaoundéré, Cameroun
La Tijâniyya, confrérie soufie d’origine maghrébine, a joué un rôle historique essentiel dans le façonnement des dynamiques sociopolitiques et religieuses au Cameroun, notamment dans les villes à majorité musulmane. En tant qu’actrice spirituelle et communautaire, elle propose une vision du monde fondée sur la solidarité, l’entraide et la justice sociale, des valeurs qui résonnent particulièrement dans le contexte économique actuel. Cette réflexion, visant à diffuser l’idée de réinvention de l’économie en vue d’en proposer une version explorable et réalisable, interroge la capacité de la Tijâniyya à offrir une alternative économique crédible, favorisant le bien-être durable de ses adeptes. En lien avec la thématique des nouveaux chemins de l’économie mondiale, il s’agit de montrer en quoi la Tijâniyya peut constituer un levier économique pour le Cameroun. En mobilisant les concepts d’« économie morale » et de « spiritualité économique », cette contribution se propose d’analyser les pratiques économiques, la gestion communautaire des ressources, ainsi que la mise en place de réseaux de solidarité financière et commerciale. Cette réflexion tend à démontrer qu’au Cameroun, la Tijâniyya peut puiser dans sa force collective pour permettre la création de nouvelles dynamiques économiques où la redistribution des richesses, l’éducation et l’autonomisation collective sont centrales. Ainsi, l’argument central de cette étude repose sur l’hypothèse selon laquelle la Tijâniyya peut proposer un modèle économique alternatif, ancré dans une éthique de la solidarité et du partage, capable de transformer positivement l’environnement socio-économique des adeptes qui se réclament de cette obédience. Ce modèle, bien qu’informel et négligé, peut apparaître comme une réponse potentielle aux dysfonctionnements des économies modernes en Afrique, en particulier dans des contextes de crises économiques et d’inégalités structurelles. Cette contribution questionne ainsi la place des confréries religieuses musulmanes dans la réinvention des modèles économiques en Afrique. Ceci, en offrant des solutions durables aux défis du développement. La méthodologie adoptée repose principalement sur une approche qualitative, avec pour techniques l’entretien, la recherche documentaire et l’observation directe.
Mots-clés
Tijâniyya, économie alternative, solidarité communautaire, bien-être économique, Cameroun
Plan de l'article
Introduction
La Tijâniyya au Cameroun : contexte historique et fondements socio-économiques
Origines et expansion de la Tijâniyya au Cameroun
Caractéristiques socio-économiques des communautés affiliées à la Tijâniyya
Les principes de la Tijâniyya et leur impact sur le bien-être économique
Solidarité et redistribution dans la Tijâniyya
Éducation et développement économique
Tijâniyya et autonomisation économique : vers un modèle économique alternatif
Projets économiques, initiatives communautaires de la Tijâniyya et importance des réseaux (commerciaux et financiers)
Repenser l’ordre économique à travers la Tijâniyya
Conclusion
Introduction
Au regard de l’influence croissante des mouvements religieux dans le renouvellement socio-économique des sociétés contemporaines, les relations entre « religion et développement », deux thématiques galvaudées et imbriquées qui traduisent des réalités singulièrement différentes, ont fait l’objet de nombreux débats. Pour appréhender les contours, la réflexion menée par Henri Desroche (1961)[1], qui analyse les effets des rapports entre religion et développement, est fondamentale. Bien qu’il soit établi que les traditions religieuses aient grandement contribué au travail de transformation sociétale, la religion avait longtemps été exclue des études sur le développement. Abordée désormais dans la littérature contemporaine, à la fois dans une perspective critique et en termes dithyrambiques, cette approche thématique n’a cessé de susciter un intérêt croissant dans le champ académique. C’est notamment le cas en Afrique, où la religion demeure un cadre de référence essentiel pour son développement (Ezra et al., 2020, p. 15), différentes contributions de chercheuses comme Marshall et Van Saanen (2007) ou Tomalin (2013, 2015) ont vu le jour. Bien que ces recherches novatrices aient permis de mieux clarifier le lien entre religion et développement, elles ne sont pas exhaustives, car elles abordent de manière marginale le rôle de l’islam[2] dans le développement. Ce « vide » scientifique a été alors comblé par les réflexions de Kurshid (1985), de Mannan (1981, 1984) ou celles de Diouf (2008). S’inscrivant dans la perspective de décloisonner la connaissance sur la thématique « Islam et développement », il ressort de leurs travaux qu’en Afrique, l’islam, tout en influençant le processus de développement, joue un rôle crucial dans la structuration des dynamiques socio-économiques.
Malgré cet apport historiographique, dans le monde musulman[3], il existe un tableau sombre digne d’un spectacle de désolation dont faisaient preuve plusieurs États qui se réclament de l’Islam. La persistance de slogans et propagandes qui considèrent l’Islam comme essentiellement fataliste, rétrograde, ennemi de tout progrès et symbole de stagnation, corrobore les visions réductrices d’une certaine littérature occidentale. Considérée à juste titre comme une entrave au progrès économique et social, cette déficience de l’esprit d’entreprise marquée par des siècles de comportement de « fatalisme nonchalant des musulmans[4] » (Destanne de Bernis, 1960, p. 110), est autant d’interprétations tendancieuses sur ou de l’Islam à partir d’une réalité sociale marquée par le sous-développement et la misère. Qu’en est-il des visions essentialistes qui concluaient hâtivement à l’incapacité de l’Islam à évoluer avec le temps, et encore moins à porter en lui un dynamisme susceptible de générer le progrès ? Avec la montée en puissance des études sur « Islam et développement », il devient difficile de prolonger cette controverse. En effet, l’interaction entre ces deux dimensions met en évidence des dynamiques complexes qui ont un impact tangible sur le bien-être matériel et social des communautés musulmanes.
Pourtant, la question des rapports logiques entre « Islam et développement » propose des grilles de lecture sur la question de la promotion de l’éducation, ainsi que celle de l’amélioration des conditions de vie. Dans ce contexte, d’origine maghrébine, la Tijâniyya, une confrérie religieuse musulmane influente au Cameroun, et qui peut agir à la fois comme un cadre spirituel soufi et un levier économique, mérite une attention singulière. Institutionnalisé depuis le XIXe siècle, cet ordre confrérique majoritaire au Cameroun, qui se distingue par son ancrage et son déploiement, a su établir, à travers ses adeptes, un réseau au sein de la société musulmane camerounaise, caractérisée par un véritable éclatement de son paysage religieux. Ceci, à travers la multiplication des associations cultuelles et par une lente décomposition des territoires ethno-régionaux, socles des grandes organisations chrétiennes et musulmanes historiques (Lasseur, 2005, p. 93).
Au Cameroun, pays laïc, le christianisme et l’islam sont les religions monothéistes les plus répandues. En l’absence d’un véritable recensement religieux, une lecture de la démographie religieuse ainsi que celle de la carte géo-religieuse s’impose. Selon les estimations du gouvernement des États-Unis[5], à la mi-2022, 60,2 % de la population est chrétienne, 32 % musulmane, 5,6 % animiste, 1 % appartient à d’autres confessions, et 1,2 % sans religion déclarée. Pour une population totale estimée à près de 30 millions d’habitants, Lasseur (2010) propose une sorte de géographie des religions. Il souligne que « les territoires d’islam majoritaire se confondent avec ceux de certains groupes ethniques du Nord (Peul, Mandara, Kotoko, Choua, Kanuri), du Sud (Haoussa) et de l’Ouest (Gassfields, Bamoun) ». Lasseur (2010) insiste également sur les diverses dénominations chrétiennes qui fusionnent avec les Douala du Littoral (baptisme), les Béti du Centre-Sud (catholicisme), les Bulu du Sud (presbytérianisme) et les groupes soudanais non islamisés du Nord (luthéranisme). Toutefois, il convient de préciser que les musulmans sunnites — composés majoritairement de soufis, de wahhabites et de tablighs[6] — se trouvent en grande partie dans les régions du Nord, de l’Extrême-Nord, du Nord-Ouest, de l’Adamaoua, de l’Est et de l’Ouest. Ainsi, avec une présence diluée dans les différentes régions, « l’islam fit son entrée au Cameroun par les voies soudano-sahéliennes du Nord, tandis que le christianisme arrivait des côtes, avec les colonisateurs » (Lasseur, 2005, p. 94).
Il est entendu que plusieurs études, comme celles de Depont et Coppolani (1897), O’Brien (1970, 1971), de Popovic et Veinstein (1996), de Mulago (2005) ainsi que celle de Fitouri (1982), montrent que l’islam confrérique, en tant qu’acteur économique important, contribue activement à la dynamisation de l’économie locale grâce à la pratique de l’entraide communautaire, à la promotion de l’éducation et à la redistribution des ressources entre ses membres. Dans ce contexte, au-delà de la centralité de sa dimension spirituelle, les confréries soufies à l’instar de la Tijâniyya semblent utiliser les ressources économiques comme socle de leur influence au sein des communautés. Dès lors, il importe de jeter un regard croisé et synoptique afin de savoir si la Tijâniyya, en tant qu’ordre confrérique capable d’offrir une économie alternative, utilise l’économie comme levier pour accroître ou consolider son influence au Cameroun. Cette complexité soulève alors une question essentielle : comment la Tijâniyya peut-elle contribuer au bien-être économique dans un contexte de mondialisation et de reconfiguration des dynamiques économiques ?
L’objet de cette réflexion est d’explorer en quoi la Tijâniyya peut être perçue comme un levier économique, en lien avec la thématique des nouveaux chemins de l’économie mondiale[7]. À travers une analyse approfondie de ses pratiques économiques, cette contribution vise à montrer que la Tijâniyya favorise l’entraide communautaire, l’éducation et la redistribution des ressources, créant ainsi une forme de bien-être économique au sein des communautés qui la suivent au Cameroun. Les hypothèses de travail soutiennent que, dans un monde en perpétuelle mutation, l’islam confrérique soufi est invité à se repenser et à se réinventer. Autrement dit, l’engagement de la Tijâniyya dans le développement économique ne doit pas être strictement motivé par des considérations religieuses, mais peut également constituer un moyen stratégique devant renforcer les liens sociaux, tout en améliorant la qualité de vie de ses membres. La Tijâniyya pourra ainsi contribuer aux nouveaux chemins de l’économie. La démarche adoptée repose principalement sur une enquête qualitative, privilégiant la compréhension en profondeur des dynamiques socio-économiques liées à la Tijâniyya au Cameroun. La méthode utilisée est principalement basée sur l’entretien, la recherche documentaire et l’observation directe comme techniques de collecte.
Les entretiens semi-directifs ont permis de recueillir les discours des acteurs impliqués (leaders religieux, fidèles et acteurs économiques) afin de comprendre leurs représentations du bien-être et de l’autonomisation économique. La recherche documentaire s’est appuyée sur les sources bibliographiques, archivistiques et les travaux antérieurs relatifs à la Tijâniyya et à l’économie religieuse en Afrique. Enfin, l’observation directe a constitué un atout méthodologique majeur, en donnant accès aux pratiques concrètes, aux rituels communautaires et aux initiatives économiques portées par la confrérie. Cette triangulation méthodologique a permis de croiser les données, d’assurer leur validité et de dégager une analyse nuancée des mécanismes par lesquels la Tijâniyya contribue au bien-être économique de ses membres. Dès lors, le présent travail s’articule autour de trois axes principaux. La première partie s’intéresse aux fondements sociohistoriques et économiques de la Tijâniyya au Cameroun. La deuxième partie dresse un état des lieux des principes de la Tijâniyya ainsi que leur impact sur le bien-être économique. La troisième partie, enfin, revient avec insistance sur la question de l’autonomisation économique de la confrérie au Cameroun. Il s’agit véritablement de proposer une réflexion qui permettra de repenser l’ordre économique camerounais à travers la Tijâniyya.
La Tijâniyya au Cameroun : contexte historique et fondements socio-économiques
Dans cette partie, nous revenons sur les fondements sociohistoriques et économiques de la Tijâniyya. Il s’agit d’une spiritualité soufie africaine qui tire son nom de son fondateur, le savant, mystique et jurisconsulte Cheikh Ahmad al-Tijânî. Ce dernier était le chef spirituel des Chuyûkh soufis (Abun-Nasr, 1965, p. 18). Spécifiquement, il est question de revenir sur l’historique de la confrérie au Cameroun, en particulier au Nord-Cameroun, et de mettre en lumière le profil socio-économique des communautés affiliées à cette spiritualité.
Origines et expansion de la Tijâniyya au Cameroun
L’itinéraire et le cheminement de la tariqa Tijâniyya permettent d’appréhender sa genèse ainsi que sa trajectoire historique. L’apport des leaders religieux dans la diffusion des valeurs de cette confrérie n’est plus à démontrer. Il convient de souligner que l’aboutissement des différentes étapes de la vie mystique de son fondateur constitue son véritable point de départ. Ainsi, à la suite d’une vision prophétique, en plein jour et en état de veille, la réalisation spirituelle (fath)[8] qui eut lieu en 1781-1782 dans l’oasis algérienne d’Abû Senghûm (Triaud & Robinson, 2000, p. 9) a permis le début de l’appel à l’affiliation à cette nouvelle tariqa soufie muhammadiyya. Dès son installation à Fès en 1789 (Abun-Nasr, 1965, p. 19), la Tijâniyya, qui tire son pouvoir de séduction du charisme de son fondateur, avait eu besoin de ce caractère pour s’imposer et s’étendre. À Fès, Cheikh Ahmad al-Tijânî se fit entourer de disciples et d’hommes de confiance à qui il confia une action missionnaire dans des pays lointains. En leur conférant le titre de Muqaddam[9], il leur donna pour mission de prêcher les vertus de la nouvelle confrérie. C’est ainsi qu’en Algérie, en Tunisie et en Mauritanie, la diffusion et l’implantation de la Tijâniyya ont été une réalité. Au sud du Sahara, la Tijâniyya a connu une expansion significative après les voyages de Mawlûd Faal al-Ya’qûbî qui visaient à propager la confrérie en Afrique de l’Ouest (Bah, 2024, p. 115). Cette expansion a été favorisée par le jihad « impérial » et « impérialiste » lancé par El Hajj ‘Umar Tall (1797-1864) en 1852. Ce fut grâce à ses efforts, ses influences ainsi que ses diverses tournées de recrutements au sein de l’aristocratie locale que la Tijâniyya ouest-africaine fut consolidée (Bah, 2024, p. 111). D’ailleurs, c’est la venue de ce premier khalife tijânî d’Afrique de l’Ouest[10] au Nigéria (Bornou et Sokoto, entre 1830 à 1838) qui marque les débuts de l’histoire de la Tijâniyya dans ce pays. À travers diverses affiliations, El Hajj ‘Umar Tall parvient à renforcer les rangs de la confrérie à Sokoto, où le sultan Muhammad Bello fut initié (Bah, 2024, p. 112). À partir de 1834, El Hajj ‘Umar devint d’ailleurs son conseiller personnel. Avec cette affiliation du sultan Muhammad Bello de Sokoto à la Tijâniyya, toutes les entités politiques qui recevaient les consignes (politico-spirituelles) de Sokoto adoptèrent progressivement les valeurs de cette nouvelle voie. De la sorte, dès 1888, au sein de l’émirat de l’Adamawa, « les lettrés musulmans de la cour royale suivaient la Tijâniyya » (Mohammadou, 1992, p. 437).
Comme l’islam pratiqué au Cameroun provient de l’ouest, c’est-à-dire du Nigéria, il est tout aussi possible de cerner l’avènement de la Tijâniyya au Cameroun. Ainsi, avec l’énorme contribution des émissaires du califat de Sokoto sur l’implantation et la consolidation de l’islam dans le Fombina[11], il est alors possible d’admettre qu’avec les débuts de la tariqa Tijâniyya dans ce califat, tous les territoires sous sa dépendance, à l’instar de l’émirat du Fombina, allaient progressivement « adopter » ou embrasser la nouvelle confrérie (Bah, 2024, p. 119). Ce fut probablement de la sorte que Modibbo Adama adopta la Tijâniyya en l’imposant dans son émirat. Au XIXe siècle, la Tijâniyya s’est répandue dans l’ensemble du territoire de l’empire et a investi les émirats de Zaria, Bauchi et Adamawa (Loimeier, 1997, p. 25). Dès le début de ce siècle, à l’initiative de Muhammad Bello, suzerain des Laamiibe de l’Adamawa, la Tijâniyya s’implanta dans cette entité sociopolitique (Frœlich, 1954, p. 70). Il en est de même dans les régions septentrionales du Cameroun où la Tijâniyya post-‘Umarienne et Niassène[12], plus tard, allait faire figure de référence.
Caractéristiques socio-économiques des communautés affiliées à la Tijâniyya
Avec la Mouridiyya[13], la tariqa Tijâniyya apparaît comme l’un des ordres confrériques suscitant le « plus d’enthousiasme en Afrique » (Wane, 2010, p. 118). Dans la sphère islamique publique au Cameroun, la Tijâniyya semble être « en apparence » la voie initiatique la mieux acceptée. C’est du moins celle qui suscite une ferveur particulière chez une bonne frange des musulmans du Cameroun. Au regard de son ancrage et de son influence sur le vécu quotidien des habitants, de la ferveur et du zèle de ses membres et, surtout, du nombre sans cesse croissant de tijânîs observés lors des grandes manifestations cultuelles, la Tijâniyya semble être la confrérie majoritaire au Cameroun. Elle y joue un rôle spirituel et socio-économique crucial, en particulier dans les villes à majorité musulmane. Les communautés affiliées à cette voie initiatique sont organisées autour des zawâya[14] et des leaders religieux influents, qui agissent comme des médiateurs tant sur le plan spirituel et religieux qu’économique. C’est une confrérie collectiviste dans sa structure et ses rituels communautaires (mettant l’accent sur la fraternité, la solidarité et l’appartenance au groupe), mais elle n’abandonne pas l’importance de la pratique spirituelle individuelle (dans une logique de purification intérieure, la Tijâniyya invite aussi ses adeptes à renforcer leur dhikr et à pratiquer des khalwa [retraites spirituelles]). Autrement dit, cette confrérie encourage ses membres à renforcer leur foi aussi bien par la vie collective que par des retraites spirituelles ponctuelles, tout en privilégiant la régularité quotidienne du wird plutôt que des isolements prolongés. Avant d’aborder les pratiques socio-économiques des différentes communautés tijânîes au Cameroun, il importe au préalable de revenir sur le profil socio-économique des adeptes de la Tijâniyya.
Les adeptes de la Tijâniyya au Cameroun présentent des profils sociaux divers, bien qu’une forte proportion appartienne aux classes populaires et moyennes. Traditionnellement, ces communautés regroupent des agriculteurs, des éleveurs, des commerçants, des artisans, des enseignants coraniques et des travailleurs du secteur informel. Toutefois, il convient de relever qu’il existe une élite tijânîe composée de lettrés musulmans, d’érudits intellectuels, d’entrepreneurs qui exercent une influence socio-économique plurielle. Spécifiquement, la majorité des tijânîs de la partie septentrionale, de l’Est ainsi que ceux du Nord-Ouest du Cameroun sont des agriculteurs et des éleveurs qui vivent dans des zones périphériques très souvent reculées. Il convient de rappeler que leur organisation repose strictement sur une structure communautaire qui permet de compenser l’absence d’une institution formelle de protection sociale. Tout en respectant minutieusement le système des hiérarchies traditionnelles, les adeptes trouvent dans la Tijâniyya un cadre d’épanouissement sociopolitique et un cadre de soutien économique et moral, par l’intermédiaire de plusieurs zawâya disséminées qui fonctionnent comme des centres cléricaux d’entraide. Rappelons que ces différentes zawâya sont considérées à juste titre comme des centres de rayonnement et d’épanouissement spirituels, des cadres d’instruction, de lieux d’observance des rituels et de concentration de pouvoir charismatique des adeptes de la voie de Cheikh Ahmad al-Tijânî (Bah, 2024, pp. 137-138). Étant « une forme organisée du social » (Dassetto, 1997, p. 183), les zawâya « se nourrissent du monde et du temporel en vue de développer une doctrine et des pratiques » (Cottin, 2007, p. 69).
Afin d’être plus globalisant sur le profil socio-économique des adeptes[15], les religieux soufis tijânîs du Cameroun exercent, le plus souvent, les fonctions d’imams, de marabouts (guérisseurs, diseurs des « choses cachées », « faiseurs de miracles »), de conseillers religieux des laamiibe et sultans, de maîtres coraniques ou d’enseignants. Partisans de la conception éducative de l’islam, les tijânîs, dans l’optique de préparer leur intégration correcte au sein de la communauté musulmane, veillent à une meilleure formation morale et intellectuelle (Bah, 2022, p. 108). À côté des métiers de « marabouts rémunérés sur prestation » (Kane, 2009, p. 210) ou de « marabouts laboureurs[16] » (Fall, 2011, p. 51) qui combinaient à la fois « travail et religion », il existe des érudits musulmans tijânîs qui sont aussi des couturiers ou brodeurs, des tisserands et des artisans.
Rappelons que, certains adeptes d’obédience tijânîe au Cameroun sont des fonctionnaires de la République, des « grands » administrateurs, des personnes « nanties » qui sont de véritables opérateurs économiques (transporteurs, commerçants, éleveurs…). Cette dernière catégorie des tijânîs, qui font des sacrifices, des donations pieuses et octroient l’aumône légale, constitue une ressource essentielle pour la confrérie. Au Cameroun, la plupart des tijânîs sont des adeptes de « islam et travail ». Ce sont des musulmans qui vivent de leur religion ainsi que de leur « sueur ».
Par ailleurs, afin de mieux cerner les caractéristiques socio-économiques des tijânîs au Cameroun, il importe d’analyser les interactions entre la spiritualité soufie et les pratiques économiques traditionnelles dans les communautés tijânîes. Preuve que la Tijâniyya joue un rôle fondamental dans la structuration des pratiques économiques des adeptes de cette confrérie (activités économiques traditionnelles). L’éthique du travail et la gestion des affaires sont souvent encadrées par les principes religieux issus du soufisme. S’il est évident que l’éthique économique des tijânîs est influencée par la spiritualité soufie, il est aussi vrai que ceux-ci évoquent par exemple l’apport de la baraka (bénédiction divine) dans leurs activités économiques, à la lumière de la domination charismatique et traditionnelle combinée[17] (Weber, 1971). Dans ce contexte, la prospérité des tijânîs semble dépendante de leur piété et de leur adhésion aux valeurs soufies. Ainsi, la solidarité économique à travers l’aumône (volontaire et légale) est fortement encouragée par les érudits et leaders tijânîs du Cameroun. Pour démontrer comment la doctrine spirituelle se traduit en pratiques sociales concrètes de solidarité économique, au même titre que la Tijâniyya qui enseigne la générosité, les Muqqadamûn tijânîs, comme Cheikh Mohammadou Bachirou de Ngaoundéré (Cameroun), rappellent aux musulmans et adeptes de la confrérie l’importance de venir en aide aux nécessiteux, car la solidarité est ce qui maintient la cohésion. Mieux, à Douala et Yaoundé, les leaders tijânîs soutiennent que « donner aux autres, c’est investir dans l’au-delà ». Comme l’affirme Saïdou Babba, « dans notre zawiya, on a mis en place une caisse de solidarité : chacun donne selon ses moyens, surtout les vendredis ». Il en est de même de la répartition équitable de ces ressources en promouvant le soutien aux plus vulnérables. Ces mécanismes de redistribution visent non seulement à renforcer la cohésion communautaire, mais surtout, à réduire les inégalités économiques.
Dès lors, dans les relations économiques quotidiennes, les valeurs soufies telles que l’honnêteté, la modération et la solidarité sont adoptées et intégrées. Les différentes pratiques économiques traditionnelles des communautés tijânîes reposent sur les activités agricoles, commerciales et pastorales. Si les agriculteurs tijânîs peuvent s’inspirer des enseignements soufis pour gérer de manière durable leurs terres en évitant la surexploitation des ressources, les éleveurs tijânîs des régions sahéliennes et du Nord-Ouest du Cameroun, eux, au nom de l’entraide communautaire, mobilisent dans le cadre de l’économie pastorale les principes de solidarité soufie. Quant aux commerçants tijânîs, ils s’appuient sur des réseaux économiques transnationaux consolidés par le déploiement numérique des adeptes à travers le Cameroun et l’Afrique de l’Ouest. Ce qui facilite les échanges au-delà des frontières traversées par la confrérie. Ces différents réseaux permettent alors d’accroître la mobilité sociale et de renforcer la sécurité des transactions commerciales, à l’instar des échanges transfrontaliers entre le Cameroun et le Nigéria à travers Kano.
Qui plus est, au Cameroun, la Tijâniyya, à travers sa capacité de mobilisation, sa force de solidarité et le nombre de ses adeptes, peut contribuer au développement économique des communautés. En d’autres termes, il revient aux leaders tijânîs de lancer des initiatives locales et des projets (construction, rénovation d’écoles coraniques, de forages, de centres de santé communautaire) qui seront réalisés grâce aux contributions des adeptes et aux dons volontaires. Capitaliser sur cette force de mobilisation humaine au sein de cette communauté permet de renforcer le développement local. Pour améliorer les conditions économiques des tijânîs du Cameroun, des mécanismes d’entraide et de financement informel (associations de crédit rotatif, création d’un fonds communautaire) peuvent être promus. Cela vise à renforcer la résilience économique des tijânîs du Cameroun face aux difficultés du marché.
Après l’étude des fondements sociohistoriques et économiques de la Tijâniyya au Cameroun, il est désormais essentiel de se pencher sur les principes fondamentaux de cette confrérie en démontrant comment ils peuvent profondément influencer le comportement économique de ses adeptes. Il s’agit d’analyser comment les principes tels que la solidarité, l’effort personnel favorisent leur bien-être économique.
Les principes de la Tijâniyya et leur impact sur le bien-être économique
De prime abord, à l’image de certaines confréries soufies, il faut relever que la Tijâniyya propose un modèle de société où la spiritualité se conjugue au bien-être matériel. Ses différents principes s’appréhendent à travers les enseignements doctrinaux de son fondateur, nourris des valeurs jurisprudentielles du rite malikite, ainsi que des liens classiques du Cheikh-fondateur avec l’expérience gnostique. La Tijâniyya s’illustre alors par un ensemble de principes spirituels et éthiques qui transcendent la simple dimension religieuse afin d’avoir un impact tangible sur le bien-être économique. C’est le lieu d’analyser les principes défendus par cette confrérie, laquelle incarne un modèle de cohésion sociale et de prospérité collective basé sur la solidarité, la redistribution, l’éducation et le développement économique.
Solidarité et redistribution dans la Tijâniyya
Au même titre que dans les confréries musulmanes soufies, la solidarité est au cœur des pratiques défendues par la Tijâniyya. La promotion d’une culture de partage et de soutien mutuel permet alors à cette spiritualité de répondre aux besoins économiques immédiats des adeptes. Ceci en œuvrant pour la construction de communautés solides et résilientes. Preuve qu’en plus de la piété, du sens de dévouement envers Dieu à travers le Cheikh, les tijânîs du Cameroun sont vivement encouragés à développer un fort caractère philanthropique caractérisé par l’esprit de partage, l’humilité et la douceur de l’âme. Façonnées socialement dans les zawâya de par le Cameroun, les relations sociales dynamiques qui s’y nouent reposent sur des liens sacrés enseignés par les normes et valeurs de la doctrine soufie qui prône « la fraternité, l’entraide et l’hospitalité » (Moussa, 2017, p. 2). Dans ce cadre, les zawâya, constituées de mosquées, de mausolées et de centres d’enseignements, sont des espaces d’échanges qui jouent également un rôle social, d’entraide et de solidarité. Ces fonctions sont enracinées dans le spirituel, dans la mesure où celui-ci est l’élément fondamental qui normalise les rapports sociaux, régule les solidarités et motive les actions mutuelles (Moussa, 2017, p. 11). Dans ces espaces de solidarité et de promotion de la charité sociale (entraide et soutien mutuel) où des valeurs islamiques sont encouragées, dans le cadre d’un don (zakat : obligatoire et sadaqa : volontaire), d’une donation pieuse (construction et rénovation de mosquées, édification de forages, subventions pour la santé et l’éducation), et d’une offrande religieuse (hadiyya), par exemple, les Chuyûkh et Muqqaddamûn tijânîs du Cameroun reçoivent de l’argent, des présents, des biens alimentaires céréaliers, du bétail ainsi que tout autre produit destiné à la consommation et les dérivés des activités économiques telles l’élevage, le commerce ou le transport.
Quelles que soient leurs formes et leurs natures, ces donations, présents ou cadeaux sont remis en signe d’hommage aux Chuyûkh à la mesure de leurs moyens, à l’occasion des fêtes religieuses, du Mawlid[18], dans le cadre d’une visite pieuse (Ziyâra ou Ziara[19]) ou de l’organisation et de l’animation de la vie confrérique tijânîe. À ce sujet, Depont et Coppolani (1897) pensent que « les personnages religieux qui centralisaient tant de précieuses donations, qui les utilisaient ou les distribuaient dans un but humanitaire, augmentaient leur renom de sainteté avec le produit du bien de leurs serviteurs » (p. 231). Dans un contexte où les reproches sont formulés pour dénoncer le pillage, l’asservissement ou l’escroquerie des musulmans tijânîs, il est fondamental de questionner la symbolique du don ainsi que la valeur symbolique de l’argent. Quelle est la finalité du don ou de l’argent ? Doit-il servir la communauté pour l’investissement dans le cadre d’une économie fermée ? Est-il exclusivement destiné au bien-être d’un Cheikh tijânî en vue d’accroître sa notoriété, son prestige et son influence ? Comment comprendre la générosité des adeptes de la Tijâniyya au Cameroun ?
De toute évidence, d’après les entretiens réalisés, les fonds récoltés semblent être destinés aux besoins de la confrérie. Selon Nsangou Ibrahim de Foumban, « le don à l’endroit d’un Cheikh ou d’une Zaouïa se justifie par l’engagement dans la confrérie ». On donne par respect pour le Cheikh qui a la science, qui connaît les secrets du wird. Très écouté des autres Chuyûkh, il guide les fidèles et fait des choses pour la communauté. Un don est destiné à faire avancer la confrérie, à organiser les Mawâlid, les retraites spirituelles. De ce point de vue, la motivation des adeptes semble beaucoup plus attachée à l’obéissance (prise d’engagement), au respect profond (révérence) pour le Cheikh, craint et estimé en partie pour sa foi, son habileté dans les affaires confrériques courantes, son prestige auprès de ses pairs et pour ses exploits interprétatifs de la spiritualité. Cette réalité s’applique aussi chez les mourides, pour qui le travail, la prière, l’instruction religieuse sont fondamentaux, est complétée par une conviction selon laquelle « travailler dur pour son propre compte n’est approuvé que si [l’adepte] utilise les fruits de son travail dans un but religieux, en aumône aux pauvres et en offrandes au Cheikh » (O’Brien, 1970, p. 571). Cheikh Ibrahima Fall, le fondateur du mouvement Baay Faal, est le théoricien de la dévotion religieuse à travers le travail au sein du mouridisme. Ainsi, comme dans toutes les cultures soufies, les dons, présents ou offrandes religieuses constituent l’expression de la dévotion du disciple. En référence au verset 12 de la sourate 58[20], qui évoque le fait d’apporter une aumône (ṣadaqa) avant d’avoir un entretien privé (najwâ) avec le Prophète, un don fait à son ou à un Cheikh ne constitue-t-il pas un investissement pour l’au-delà ? Quoi qu’il en soit, les différentes contributions se font sous trois formes principales. S’il y a des charités destinées ultimement aux pauvres, il existe celles qui sont réservées à l’usage exclusif du Cheikh, perçues comme l’expression d’une dépendance personnelle directe. Aussi, existe-t-il celles qui sont destinées à être transmises à une plus haute autorité. Ceci, en vue de renforcer l’appartenance du disciple à l’ensemble de la communauté tijânîe. D’après les entretiens réalisés, au Cameroun, cette dernière forme de contribution, constituant par ailleurs l’une des ressources de fonctionnement de la confrérie, semble être reversée aux foyers autonomes du Nigéria et du Sénégal ainsi qu’à tout autre pays, membre du vaste réseau transnational subsaharien de la Tijâniyya.
Évidemment, en plus du pouvoir charismatique, répondre aux interrogations supra nécessite un détour sur la convocation des différents cadres d’analyse d’une économie de type circulaire basée sur l’économie solidaire, l’économie morale et l’économie sociale et solidaire. Considérant les confréries soufies comme un acteur de transformation socio-économique, les théories mobilisées démontrent que, loin d’être une institution religieuse de spiritualité musulmane, la Tijâniyya, en se basant sur des valeurs de solidarité, de partage et d’entraide, devient alors une entité économique qui propose des alternatives pouvant répondre aux défis contemporains de développement économique au Cameroun. Dès lors, afin de constituer véritablement un modèle réussi de fraternité confrérique, le Cheikh à qui les contributions et donations sont confiées procède, le plus souvent, à leur redistribution systématique. Dans ce cas de figure, il est important de souligner que le système spirituel tijânî encourage la redistribution des richesses au sein de la communauté, en particulier en faveur de ses membres les plus modestes et ceux en situation de précarité économique. Aussi, convient-il de relier la logique de solidarité spirituelle tijânîe à la structure symbolique et sociale du don observée par Griaule dans les sociétés africaines traditionnelles, où le don ne se réduit jamais à un simple transfert matériel, mais s’inscrit dans un univers de réciprocité, d’obligations et de spiritualité. Dans la logique des idées émises par Griaule (1948), le système spirituel de la Tijâniyya, en favorisant la redistribution volontaire ou obligatoire des biens entre ses membres, s’inscrit dans une logique symbolique du « don total », où l’acte d’aider les pauvres devient une forme d’investissement rituel dans l’ordre du monde. Le don y est à la fois signe de foi, outil de cohésion sociale, et mode de circulation de la baraka — qui irrigue les relations entre le Cheikh, ses disciples et l’ensemble de la ‘umma confrérique. En vue de promouvoir le renforcement du lien social de solidarité, cette sorte de redistribution a le mérite de pouvoir atténuer les inégalités économiques tout en favorisant le sentiment de responsabilité collective vis-à-vis des adeptes de la confrérie au Cameroun. Toutefois, le principe de redistribution équitable au sein de la communauté concerne la logique du partage qui s’accompagne du respect de l’autorité religieuse des leaders tijânîs. En général, les érudits tijânîs sont les gardiens des multiples œuvres des bienfaiteurs, qui visent à réaliser des projets communautaires, comme la construction et la rénovation des zawâya tijânîes ou des mosquées, ainsi que celles des infrastructures économiques, telles que les marchés locaux, le financement, la rénovation et l’équipement des centres de santé communautaires. Ils ne manquent jamais d’en faire profiter leurs adeptes.
Considérées à juste titre comme des structures d’entraide par excellence, ces œuvres qui contribuent au bien-être et à l’amélioration des conditions de vie participent à la réduction des inégalités au sein de la société. L’économie sociale et solidaire (Jany-Catrice et al., 2014), qui se concentre sur les initiatives collectives et citoyennes, vise à concilier activité économique et impact social. Dès lors, pour tous les projets économiques, la question de la redistribution équitable des ressources peut y être analysée. Il en est de même de l’économie morale (Thompson, 1991)[21], perçue comme une forme d’économie basée sur le bien commun plutôt que sur le profit individuel. Ces différents angles d’analyse démontrent que la Tijâniyya offre une alternative économique crédible pour ses membres.
Éducation et développement économique
Dans toute société humaine, l’éducation, un pilier fondamental pour la Tijâniyya, occupe un rang de choix dans le façonnement et le devenir des Hommes. Perçue comme une condition essentielle pour l’épanouissement spirituel et matériel, l’éducation, et un moyen d’appréhender la connaissance religieuse, elle s’impose comme un levier pour le développement économique. C’est pour cette raison que les leaders tijânîs du Cameroun encouragent une formation dans les sciences religieuses et dans les disciplines séculières. Cela permettra certainement aux membres de la communauté spirituelle de contribuer activement au développement économique en acquérant des compétences pratiques. Étant adepte du « travail et Islam », l’élite intellectuelle tijânîe encourage les disciples à vivre de leur religion ainsi que de leur « sueur ». Autrement dit, pour gagner en crédibilité auprès de son audience, il faut disposer, en plus du savoir religieux islamique, d’une activité professionnelle qui permet de se libérer de contingences matérielles.
Au Cameroun, les élites intellectuelles de la Tijâniyya considèrent que l’éducation constitue le socle sur lequel on peut affiner et préparer le disciple pour qu’il puisse atteindre la réalisation spirituelle sans obstacle. Elles ont donc mis sur pied un système permettant d’acquérir les compétences nécessaires pour non seulement relever les défis spirituels et mondains, mais aussi pour assurer une intégration correcte de l’Homme au sein de la communauté. Ainsi, dès la cellule familiale, les disciples sont préparés en vue de l’acquisition des fondamentaux du système soufi qui repose, entre autres, sur « l’imitation du Prophète et de ses compagnons “bien guidés” dans leur morale et leur conduite ; le fait de se nourrir des choses licites ; et de mettre de la sincérité dans ses actes » (Bah, 2024, p. 22). Outre le foyer familial, les lieux privilégiés pour l’enseignement religieux islamique tijânî sont les écoles coraniques logées dans les jangirle[22], les jawleeji[23] des Muqaddamûn, les madâris, les mosquées et les zawâya qui « ouvraient de véritables trésors de grains aux faibles et aux nécessiteux » (Depont & Coppolani, 1897, p. 230). Les disciples tijânîs y passent alors par les cycles élémentaires, complémentaires, l’enseignement spontané et l’éducation de l’âme à travers le compagnonnage spirituel (ṣuḥba).
Toutes ces différentes structures d’éducation œuvrent en vue de la formation d’une génération tijânîe « pieuse ». À travers la formation et l’éducation spirituelle, le comportement souhaité des tijânîs du Cameroun vise l’attachement strict à la sharîʻa, à la purification spirituelle (tazkiyya) et à l’ouverture spirituelle (fatḥ) (Bah, 2024, p. 170). Cette forme particulière de « dressage spirituel », codifiée par le Cheikh-fondateur, semble s’intéresser particulièrement à l’idée d’une autonomisation du disciple du banal au spirituel à travers le concept de tarbiya ruḥâniyya (lit. éducation spirituelle) et de taskiyyat al-Nafs (purification de l’âme) (de Diego González, 2018, p. 71). Désormais, les rapports qui lient les tijânîs au maître sont régis par le respect des convenances ou l’adab, un code de conduite sacré auquel ils se conformeront en toutes circonstances (Moussa, 2017, p. 8).
L’éducation inculquée dès le foyer familial aux tijânîs du Cameroun les prédispose à avoir le goût du sacrifice, de l’assimilation des principes fondamentaux de l’éthique et de la morale islamique qui déterminent leur conduite en tant que musulmans et tijânîs exemplaires. Cette initiation permet de disposer des principes qui doivent régir les rapports entre les hommes et orienter les comportements qu’ils doivent adopter dans la vie. À côté des principes d’éducation, l’itinéraire spirituel du disciple le contraint à avoir des qualités lui permettant d’accueillir, de soigner les pauvres, et de ne jamais manger seul. La Tijâniyya n’exige-t-elle pas d’un maître spirituel qu’il fasse preuve de détachement des choses mondaines et de générosité envers les hommes en sacrifiant ses biens pour l’aspirant ? Tournés vers l’érudition et l’éducation religieuse, les programmes dispensés permettent de façonner, positivement, les mentalités des tijânîs. Tout au long du cheminement spirituel d’un disciple, un travail performatif de formation, d’éducation, et d’apprentissage s’impose (Bah, 2024, p. 453). Ainsi, pour renforcer l’autonomie des adeptes, en plus de l’activité professionnelle, l’entrepreneuriat ou l’acquisition de toute autre compétence utile à leur intégration sur le marché du travail est promu. En mettant l’accent sur l’éducation, l’entrepreneuriat et la cohésion sociale, la Tijâniyya contribue à améliorer le bien-être et à offrir des opportunités économiques à ses adeptes. Cette approche, développée par Stiglitz et al. (2009), pourrait être analysée sous forme de développement inclusif pouvant privilégier la dignité et l’autonomisation.
L’implication de la Tijâniyya dans la formation d’une élite intellectuelle et économique au Cameroun n’étant plus à démontrer, il importe alors de retenir que les érudits tijânîs recommandent à leurs disciples d’adopter un mode de vie qui allie spiritualité et engagement dans le monde matériel. Comme le rapporte Mahmoudou Alfaki de Douala, « si la voie tijânîe enseigne que la science est un pilier de la foi et du progrès, la rigueur, la discipline et le sens de la baraka reçus lors de la tarbiya aide [sic] à s’élever ». Pour ce jeune entrepreneur, plusieurs tijânîs qui ont reçu l’éducation islamique et confrérique comptent aujourd’hui parmi les grands acteurs économiques au Cameroun. L’exercice d’un travail, un impératif presque catégorique, devient à la fois un moyen de subvenir aux besoins — forme de service à la communauté — et un gage de développement personnel. Dans plusieurs régions du Cameroun, la confrérie encourage la mise en place de projets collectifs, tels l’actionnariat commercial, les coopératives agricoles et artisanales, gérées par les adeptes eux-mêmes. Ces initiatives, qui réduisent la pauvreté en augmentant la résilience économique, permettent surtout la mutualisation des ressources, l’optimisation de la production et la garantie d’une meilleure redistribution des profits. Par ses réseaux de solidarité et ses structures d’entraide communautaire (agricoles, commerciales), la Tijâniyya pourrait être considérée comme une confrérie qui prône une forme d’économie solidaire de base à travers des initiatives qui favorisent l’autonomie des adeptes tout en renforçant le bien-être collectif. En valorisant la solidarité, l’autogestion et la primauté de l’humain sur le capital, cette approche met l’accent sur la coopération et l’équité dans les pratiques économiques.
Après avoir exploré les principes de la Tijâniyya et leur rôle dans la promotion du bien-être économique, il apparaît désormais essentiel d’analyser leur contribution à l’autonomisation économique des adeptes et des communautés. En quoi la Tijâniyya pourrait-elle constituer une réponse durable aux défis de développement économique ?
Tijâniyya et autonomisation économique : vers un modèle économique alternatif
Au Cameroun, la question de l’autonomisation des musulmans en général et des adeptes de la Tijâniyya en particulier demeure une préoccupation constante des élites intellectuelles. L’unanimité quant à la recherche du bien-être économique étant faite, la spiritualité soufie s’impose alors comme un moyen de se défaire des difficultés matérielles. C’est le lieu de revenir sur l’analyse des projets et initiatives qui peuvent contribuer à l’autonomisation des tijânîs au Cameroun. Au préalable, il importe de poser un constat de contradiction pour inciter à une réflexion sur la gestion des ressources et à une réorientation vers des actions pérennes. Ceci dans l’optique de faire des propositions pour la réinvention de l’ordre économique.
Projets économiques, initiatives communautaires de la Tijâniyya et importance des réseaux (commerciaux et financiers)
Au Cameroun, il est paradoxal de constater que la Tijâniyya, à travers ses adeptes, mobilise d’immenses ressources pour soutenir certains Chuyûkh tijânîs lors de séjours pieux, alors que certains adeptes vivent au seuil de la précarité, et que leurs besoins économiques essentiels restent insatisfaits. À chaque visite d’un Cheikh tijânî venu de contrées lointaines, des collectes atteignant parfois des dizaines de millions de francs CFA, voire plus, sont organisées. Ces sommes, qui témoignent d’une générosité inestimable, ne bénéficient pas directement à la communauté qui les rassemble. Dans ce cas, comment accepter que de telles ressources ne soient pas encadrées et orientées vers des investissements économiques et initiatives locales capables d’améliorer durablement les conditions de vie ? Ces contributions, au lieu de se diluer dans un système de dons sans impact structurant, pourraient servir à financer des centres commerciaux, des institutions de microfinance tijânîes, ou encore des coopératives agricoles, par exemple. En orientant ces fonds vers des projets économiques, il est possible de créer des opportunités d’emploi, d’assurer l’autosuffisance alimentaire et de renforcer la résilience de la communauté tijânîe face aux défis socio-économiques. Ce paradoxe soulève une question primordiale : la générosité des tijânîs ne devrait-elle pas être un moteur d’autonomisation et de développement communautaire plutôt qu’une perpétuelle charité « sans retour durable » ? Il semble très urgent de repenser cet élan de solidarité pour en faire un véritable levier de transformation sociale des communautés tijânîes.
Par ailleurs, selon les récits oraux recueillis à l’échelle locale, dans les périphéries rurales, particulièrement dans des milieux peuls et mbororo, il existe des guides religieux tijânîs qui s’impliquent dans le développement économique de leurs communautés. À Koinderi (nord du Cameroun), par exemple, les leaders tijânîs ne cessent de rappeler que la religion c’est aussi le travail et le développement. C’est pourquoi il existe une coopérative agricole. Les jeunes cultivent et commercialisent ensemble leurs récoltes. À Mogom, à Rumde ou à Katouwal (extrême-nord du Cameroun), les Chuyûkh font pareil. Conscients que « le bien-être du corps aide à renforcer la foi », ils encouragent les tijânîs à se regrouper et à travailler la terre. C’est une preuve que la Tijâniyya a su adapter ses pratiques pour inciter et soutenir divers projets économiques ou initiatives locales (coopératives agricoles, mini-fermes, micro-entreprises commerciales, système de financements communautaires de marchés périodiques des villages ou de points d’eau) qui peuvent servir de levier d’autonomisation des adeptes. Rappelons que ces projets ou initiatives visent à répondre aux besoins spécifiques des populations locales marginalisées. Dans cette optique, il semble qu’à travers une sorte de tontine ou de redistribution des aumônes (obligatoires et volontaires), des microcrédits internes sont octroyés pour soutenir l’investissement dans des activités génératrices de revenus. À titre d’illustration, dans l’Adamaoua et l’extrême-nord, les parcelles de terre sont confiées aux agriculteurs tijânîs en guise de soutien par les grands propriétaires ou les leaders tijânîs. Il en est de même des semences et du matériel agricole offerts pour agrandir les exploitations. Destiné à améliorer les conditions de vie, ce type d’initiatives vise tout aussi à renforcer la résilience locale à travers une culture d’entraide et d’appui financier renforcée par les réseaux financiers informels soufis devant créer des opportunités économiques, tant au niveau national qu’international. Dans ce sens, il n’est pas superflu de rappeler le rôle joué par la Tijâniyya dans la facilitation des échanges commerciaux au sein de ses communautés.
Les réseaux commerciaux, économiques et socioculturels servent de ponts pour établir une véritable « économie spirituelle de la foi » entre les différentes communautés. Reposant sur la confiance mutuelle, l’éthique et la transparence, cette typologie de l’économie circulaire est essentielle pour renforcer les liens entre les communautés, tout en favorisant l’émergence d’un lien de solidarité spirituelle. En s’appuyant sur ces réseaux nationaux et transnationaux, les tijânîs du Cameroun bénéficient de canaux privilégiés qui facilitent l’exportation de produits locaux (bétail, produits agricoles) et l’importation de biens nécessaires à la communauté. Ce qui permet évidemment de renforcer le poids économique des communautés tijânîes.
Repenser l’ordre économique à travers la Tijâniyya
L’ensemble des pratiques économiques, l’entraide financière et la force des réseaux (nationaux et transnationaux) promus par les confréries soufies, telle la Tijâniyya, contribuent à façonner un modèle économique alternatif, lequel invite à repenser et à réinventer l’ordre économique au Cameroun. Basé sur la solidarité communautaire, le développement local et le respect des valeurs spirituelles, ce modèle propose la vision d’un système plus humain, avec en toile de fond le bien-être collectif des tijânîs. En tant que spiritualité soufie, la Tijâniyya qui promeut une économie basée sur les principes d’équité, d’inclusion et de partage, tout en favorisant un développement harmonieux, offre une alternative crédible à toute la communauté. Ce qui démontre que la réussite matérielle et l’épanouissement spirituel peuvent être combinés pour offrir la vision d’une économie inspirante qui intègre les valeurs éthiques et spirituelles.
Comme les zawâya tijânîes sont au centre d’un processus de redistribution économique à l’intérieur de la communauté, le modèle qui témoigne de la capacité de cet ordre confrérique à enrichir le tissu socio-économique au Cameroun invite à une règlementation de toutes les ressources qui alimentent les caisses de la Tijâniyya. Autrement dit, la gestion des formes de donations (quêtes religieuses, octroi volontaire de la sadaqa, aumône légale, waqf, offrandes religieuses) doit évoluer vers un cadre plus productif. En plus des ressources « ordinaires » à systématiser, les tijânîs sont invités à développer d’autres sources de financement qui devraient constituer le trésor de cette confrérie.
Outre les contributions régulières qui sont proportionnelles à la fortune des tributaires, perçues par les Chuyûkh tijânîs, il est nécessaire d’en conserver une partie « pieusement » aux fins d’orienter et de les utiliser vers des projets communautaires définis. À travers sa structuration hiérarchique, la Tijâniyya au Cameroun doit mettre sur pied un système de prélèvement de redevance auprès des membres devant servir à un but précis. Ce système assimilable à une sorte d’impôt personnel pourrait éventuellement reposer sur une contribution versée au Muqaddam par l’ensemble des affiliés. Ainsi, en signe de leur soumission et en échange de la bénédiction du Cheikh, une somme symbolique pourrait être donnée comme contribution ou offrande obligatoire. Dès lors, le fonctionnement de la Tijâniyya au Cameroun pourrait essentiellement reposer sur ce principe de prélèvement obligatoire assimilable à une sorte de « taxe divine », de manière régulière, auprès des musulmans tijânîs opulents. Le principe qui consiste alors à exiger un versement obligatoire fixe aux membres affiliés de la confrérie et aux différents chefs de famille tijânîs pour la cause d’une entreprise collective permettra certainement de multiplier la somme fixée par le nombre de personnes à leurs charges. Ce système de taxation religieuse pratique, justifié par le fait que les fonds collectés doivent être destinés à une entreprise collective déterminée à l’avance (O’Brien, 1970, p. 573), permettra alors de financer les investissements communautaires. Ce qui sera certainement une plus-value économique rendue possible grâce à l’accumulation.
La réinvention de l’économie pourrait consister à privilégier ce système de versements obligatoires de la part des affiliés tijânîs. Évidemment, ce système demande à être élargi aux droits d’initiation ou d’investiture[24] et aux frais de souscription dans les différentes zawâya ou associations tijânîes au Cameroun. Dans ce sens, le versement des adeptes ainsi que les contributions des murîdûn[25] tijânîs peuvent être des sommes d’argent à valeur symbolique allant de 1 000 à 5 000 francs. Il en est de même des visites pieuses et intéressées des fidèles à leurs Chuyûkh ou Muqqaddamûn qui génèrent des sommes considérables. Proportionnelle à la fortune du solliciteur, l’offrande pieuse et intéressée semble, le plus souvent, conséquente. De ce point de vue, elle doit être systématisée, collectée sur une période donnée et réorientée vers des initiatives locales et communautaires. Dès lors, il semble urgent pour la Tijâniyya de disposer et de générer des sources de revenus « supplémentaires », en s’appuyant sur des activités lucratives (commerce, agriculture locale, gérées par le Cheikh ou son mandataire) et ainsi, les revenus seront redistribués à la communauté. En plus des versements périodiques destinés à soulager les plus démunis, en réduisant les inégalités au sein de la communauté, les zawâya doivent systématiquement générer des revenus.
Pour la Tijâniyya, dans le contexte des économies africaines en mutation, les défis et opportunités sont légion. Par l’exemple restreint du Cameroun, le potentiel pour promouvoir un modèle basé sur l’inclusion sociale, la résilience économique et le développement durable existe. De ce point de vue, à travers sa stratification sociale à base économique, la Tijâniyya s’impose comme un modèle de l’économie durable et inclusive. L’efficacité et la réussite de ce modèle économique alternatif permettraient alors d’élargir les horizons. En fonction des réalités locales, du comportement des acteurs et des lois du marché, il semble possible d’émettre des propositions qui intègrent les valeurs soufies dans la réinvention de l’ordre économique continental et mondial. Dès lors, pour urgemment repenser l’ordre économique à travers le modèle alternatif proposé par la Tijâniyya, il devient urgent que la confrérie se réinvente en s’inspirant d’autres modèles économiques soufis, à l’instar de celui de la Mouridiyya au Sénégal, tout en tenant compte des spécificités locales. La création d’institutions de microfinance islamiques communautaires, la mise en place de coopératives agricoles et de centres commerciaux communautaires, le développement d’entreprises sociales ou encore l’investissement dans des infrastructures communautaires constituent autant de propositions pour une vision économique inclusive et durable. Ce qui fera de la Tijâniyya une force socio-économique capable de contribuer à l’amélioration du bien-être collectif.
Conclusion
Cette analyse a porté sur le rôle joué par la Tijâniyya dans le bien-être économique au Cameroun. Il en ressort que la Tijâniyya, bien présente et influente au Cameroun, est une confrérie religieuse musulmane qui peut contribuer à l’autonomisation économique et à la promotion du bien-être au sein des communautés. Grâce à un réseau d’entraide structuré et des initiatives économiques collectives, la Tijâniyya peut offrir un soutien concret à ses adeptes, en particulier dans des domaines tels que l’agriculture, l’élevage, le commerce local et la microfinance. La Tijâniyya contribue ainsi à créer un modèle d’économie solidaire et durable, basé sur les valeurs soufies de partage, d’équité et de solidarité. Ce qui confère à la confrérie de Cheikh Ahmad al-Tijânî le statut potentiel de puissant levier économique alternatif, favorisant une résilience communautaire face aux défis socio-économiques. Bien que cette réflexion pionnière ait montré l’impact positif de la Tijâniyya sur le bien-être de ses adeptes au Cameroun, elle ouvre également des pistes intéressantes pour des recherches futures. Une profonde exploration de l’impact économique de toutes les confréries soufies en Afrique pourrait permettre de mieux appréhender les dynamiques entre spiritualité et économie dans des contextes marqués par la précarité. Il serait pertinent de voir si ou comment les confréries musulmanes soufies contribuent à la transformation socio-économique de leurs membres, en évaluant l’apport de ces modèles aux besoins des communautés. Toutefois, dans le contexte camerounais, ces perspectives de recherche, bien qu’intéressantes, soulèvent l’épineuse question de l’importabilité et de l’adaptabilité des modèles économiques innovants. D’ailleurs, dans un contexte marqué par la quête de modèles économiques durables et plus inclusifs, la Tijâniyya au Cameroun pourrait, davantage, mieux s’inspirer des initiatives similaires dans d’autres pays africains et au-delà, à condition de tenir compte des spécificités propres à chaque réalité. Par conséquent, pour favoriser l’épanouissement des musulmans de cette obédience et celui des communautés à l’échelle locale et globale, toutes les confréries religieuses soufies, à l’instar de la Tijâniyya, sont invitées à constamment se réinventer dans la perspective de repenser les fondements d’une économie alternative au service du bien-être. Ceci, en intégrant des valeurs morales et spirituelles dans leurs pratiques économiques, bien évidemment.
Notes
[1] Pour cet auteur, les relations entre « religion et développement » sont conçues selon trois schémas, à savoir : « en termes positifs, la religion est un facteur de développement qui implique un essor ou un renouveau de la religion ; en termes négatifs, la religion est un obstacle au développement qui implique le déclin de la religion et de ses institutions ; en termes différenciés où religion et développement sont relativement étrangers l’un à l’autre. Leurs relations dépendent des types, des phases ou niveaux de religions et des types ou phases ou niveaux de développement ».
[2] Il convient de souligner, dès l’abord, une distinction d’une grande importance entre Islam (avec majuscule initiale) et islam (en minuscule) qui dépasse la seule convenance typographique pour revêtir une portée épistémologique déterminante. Le recours à cette distinction entre islam (religion ou foi révélée) et Islam (civilisation ou construction historique de la civilisation islamique) est non seulement une exigence de rigueur conceptuelle, mais aussi un préalable méthodologique à toute analyse pertinente de la pluralité des expériences musulmanes. En effet, islam — avec une minuscule — désigne avant tout la religion musulmane dans son acception théologique et normative, à savoir l’adhésion à un dogme fondé sur la foi en un Dieu unique (tawḥîd), la prophétie de Muḥammad, et l’observance des cinq piliers (arkân al-islâm). Il s’agit ici d’un système de croyance, de rites et de prescriptions morales qui se présente comme universel, transcendant les contingences spatio-temporelles. De son côté, Islam — avec majuscule — renvoie à un objet plus vaste et plus composite : il désigne l’ensemble des formations historiques, culturelles, sociales, intellectuelles, politiques et artistiques qui se sont constituées autour de cette religion, dans la diversité des contextes où elle s’est implantée. Il s’agit ainsi d’un construit civilisationnel pluriel, façonné au fil des siècles par les dynamiques propres aux sociétés musulmanes, incluant aussi bien les traditions savantes (théologie, droit, mystique), les institutions politiques (califats, sultanats, États islamiques) que les expressions culturelles localisées (arts, langues, littérature, pratiques confrériques, etc.).
[3] Très vaste, l’aire géographique musulmane s’étend du Maghreb (« le couchant ») avec la Mauritanie, le Maroc, l’Algérie, la Tunisie et la Libye, au Machrek (« le levant ») composé de l’Égypte, la péninsule arabique (Arabie saoudite, Émirats arabes unis, Bahreïn, Qatar, Yémen, Oman et Koweït), la Jordanie, le Liban, la Syrie, l’Irak et les territoires palestiniens, mais aussi la Turquie et le Caucase, ainsi que l’Asie médiane, l’Iran, le Pakistan, l’Afghanistan, l’Indonésie, la Malaisie et une grande partie de l’Afrique subsaharienne (du Sénégal à la Somalie).
[4] Ce terme péjoratif de la littérature européenne employé par Maxime Robinson constitue une sorte de déficience de l’esprit d’entreprise constatée à l’époque médiévale en Orient musulman. Il s’agissait de dénoncer une attitude de l’Islam qui s’en remet à Dieu de pourvoir l’homme des biens nécessaires à la vie si toutefois Il le juge utile et approprié. Lire à ce sujet : Rodinson, M. (1966). Islam et Capitalisme. Éditions du Seuil.
[5] Voir le rapport 2022 sur la liberté de religion dans le monde - Cameroun de l’ambassade des États-Unis au Cameroun du 13 juillet 2023 en ligne à l’adresse : https://cm.usembassy.gov/fr/rapport-2022-sur-la-liberte-de-religion-dans-le-monde-cameroun/.
[6] Le tabligh (Jamâʿat al-Tablîgh wa al-Daʿwa, littéralement Communauté pour la prédication et l’appel) est un mouvement missionnaire et spirituel qui cherche à renouveler la piété des musulmans par la prédication de proximité et l’imitation du modèle prophétique, tout en restant apolitique, non violent et universel.
[7] À l’initiative de l’École doctorale conjointe des Ateliers de la Pensée et Global Africa, à Dakar, du 8 au 13 juillet 2024, 14 candidats retenus ont été encadrés par 7 mentors dans le cadre de leurs communications sur la thématique : « Les nouveaux chemins de l’économie : repenser et réinventer l’ordre économique ».
[8] De l’avis d’Ali Sukayrij, la réalisation du fath d’Ahmad al-Tijânî se fit auprès du tombeau de ‘Abd al-Salâm ibn Mashîsh avant ses déplacements vers Tlemcen, Ayn Mâdî, etc. Il interdira la visite du tombeau d’ibn Mashîsh à Jabal al-‘Alam dans le Sud-Ouest de Tétouan, de même que celui de Mawlay Idris à Fès. L’explication de cette interdiction semble être liée à l’influence somme toute des maîtres indiens ou maghrébins rencontrés par Ahmad al-Tijânî à La Mecque.
[9] D’origine arabe, Moqadam, Muqaddam, Moqadem (pluriel : Muqaddamûn) désigne un Chef, un administrateur, un gérant des biens d’une communauté.
[10] De la Guinée au Niger, en passant par le Sénégal, le Mali et le Nigéria actuels.
[11] C’est un mot d’origine peule qui désigne le point cardinal sud. Il s’agit de tous les territoires périphériques Sud par rapport au centre qui était Sokoto. L’émirat de l’Adamawa aussi appelé émirat de Fombina avec pour capitale Yola, était à la fois une province de l’immense empire peul de Sokoto, et, une vaste entité sociopolitique qui s’étendait du Nord du Nigéria jusqu’à l’actuel Adamaoua (Cameroun).
[12] L’influence de la branche Fayḍa de Shaykh Ibrahima Niasse (1900–1975), éminent maître soufi de Kaolack (Sénégal), au Cameroun est à la fois religieuse, sociale, intellectuelle et transnationale. Elle s’inscrit dans un réseau d’expansion de la Tijâniyya qui dépasse les affiliations nationales, mobilisant spiritualité, mobilité, solidarité économique et autorité morale dans l’espace subsaharien islamisé. À cet effet, de nombreux Chuyûkh tijânîs camerounais se reconnaissent dans la Fayḍa qui structure encore aujourd’hui la formation religieuse, les prêches, les rituels (dhikr, Mawlid) et les chaînes d’initiation (silsila). La doctrine de la Fayḍa valorise la science (la centralité de la connaissance [‘ilm], considérée comme la voie de la liberté intérieure et de l’autorité), l’universalité (l’accessibilité directe à la proximité divine (ma‘rifa) et l’émancipation pour tous. Ainsi, certains leaders communautaires affiliés à la Fayḍa jouent un rôle discret mais réel dans la médiation sociale ou la négociation entre pouvoirs publics et communautés musulmanes. L’influence de la Fayḍa repose sur la création de structures économiques collectives autour des zawâya ; un réseau d’entraide transnational où les disciples camerounais échangent avec leurs frères du Sénégal, du Nigéria, du Niger ou de la diaspora (Europe, États-Unis) et l’émergence d’un entrepreneuriat religieux (vente de livres soufis, vêtements, parfums, organisation de voyages spirituels).
[13] La Mouridiyya ou Murîdiyya est une confrérie soufie d’origine sénégalaise fondée par Cheikh Ahmadou Bamba Mbacké (1853-1927) à la fin du XIXe siècle, avec pour capitale spirituelle et administrative la ville de Touba. Dérivée de l’arabe murîd, qui signifie « celui qui désire [Dieu] » ou disciple, la Mouridiyya s’inscrit dans le soufisme. Ses fondements spirituels et religieux reposent sur une quête spirituelle rigoureuse (purification de l’âme, la prière, le dhikr, la soumission à Dieu), la centralité du travail (manuel ou agricole comme forme d’adoration), la non-violence ainsi que la patience, une éthique de discipline, de dévouement et de service envers le Cheikh. Pour le fondateur, le travail est perçu comme une voie de sanctification. Chez les disciples, le travail est vu comme un prolongement de leur cheminement spirituel. La création des communautés rurales autogérées et de pôles économiques solidaires repose sur la doctrine de cette confrérie. Avec une organisation hiérarchisée, centrée autour du Cheikh et de ses héritiers, la Mouridiyya a développé un réseau de daara (école coranique) et de foyers d’adeptes, qui versent des dons (hadiya) à leurs guides, financent des projets communautaires, et participent au Magal (grand pèlerinage annuel) de Touba.
[14] Généralement, les zawâya, fondées par un Cheikh ou à son intention, sont de véritables institutions où s’exercent la convivialité et le compagnonnage. Leur avènement s’explique par la volonté divine (l’ordre de la fondation vient du Prophète) et le nombre croissant de disciples. C’est un bâtiment religieux qui se découvre de l’intérieur qu’à travers trois espaces, à savoir : un espace réservé à la méditation et à l’éducation ; une salle de prière et de récitation des litanies ; les pièces réservées au Cheikh ainsi qu’à quelques disciples avancés en vue de la méditation et des activités d’écriture. Dans la tariqa Tijâniyya par exemple, la zaouïa représente à la fois une institution et une ‘umma regroupée en zaouïa principale et zawâya secondaires. Si la zaouïa principale, centre de l’élaboration doctrinale, désigne l’habitation ou le mausolée du Cheikh, les zawâya secondaires elles, tenues par les Muqaddamûn, constituent des annexes de la zaouïa principale.
[15] Dans cette étude, l’accent est mis sur le profil masculin comme échantillon d’analyse. Ce choix découle du constat que, dans le contexte camerounais et dans le cadre spécifique de la Tijâniyya, les hommes occupent plus fréquemment des positions de visibilité et de responsabilité dans la gestion des activités religieuses, économiques et communautaires. Leur rôle, historiquement central dans l’organisation des réseaux confrériques et dans la structuration de certaines formes d’économie informelle, justifie l’orientation du présent travail. Cela ne signifie pas que la contribution féminine soit inexistante ou insignifiante. C’est pourquoi, cette réflexion privilégie l’analyse du profil masculin, tout en reconnaissant que des recherches complémentaires centrées sur les expériences féminines seraient nécessaires pour une compréhension plus globale et équilibrée des dynamiques en jeu.
[16] Il s’agit d’une expression consacrée qui désigne au Sénégal les lettrés musulmans qui sont des enseignants/maîtres des écoles coraniques et qui exercent parallèlement le métier d’agriculteur ou d’éleveur. Leurs apprenants constituent alors une main d’œuvre, véritable force de production et un facteur évident de développement. Ces marabouts disposent d’un prestige et d’une influence auprès de la population.
[17] Afin d’appréhender les fondements de l’autorité et de légitimité des tijânîs exercées par les Chuyûkh au Cameroun, il importe de convoquer la forme de domination charismatique et la forme de domination traditionnelle. La première repose sur la croyance au charisme d’un leader religieux pour sa baraka ou karâmât (miracles). La légitimité est liée à la personne elle-même. La seconde repose sur la croyance en la sainteté des traditions immémoriales et en la légitimité de ceux qui sont appelés à exercer l’autorité, liée à un lignage, le plus souvent.
[18] Mot d’origine arabe qui désigne un rituel religieux qui célèbre la naissance du Prophète Muhammad ou la fête d’anniversaire d’un saint.
[19] Mot d’origine arabe issu de la racine « Zara » signifie une visite pieuse ou de respect à une personne d’un rang supérieur. L’action de rendre visite à un lieu saint, un tombeau, ou à une personnalité religieuse, vise le témoignage du respect. C’est un terme spécial employé alors pour indiquer la visite aux personnages religieux ou aux lieux saints. Les pèlerinages religieux, ailleurs qu’à la Mecque, traduisent aussi une Ziara, toujours accompagnée d’un cadeau. On reçoit et on fait la Ziara, on envoie un serviteur faire des Ziara, c’est-à-dire faire des quêtes religieuses.
[20] Coran, Sourate 58 (al-Mujādila), verset 12 : « Ô vous qui avez cru ! Quand vous voulez conférer en particulier avec le Messager, faites précéder votre entretien d’une aumône… ».
[21] Voir aussi Fassin (2009).
[22] Mot d’origine peule qui désigne des lieux d’apprentissage et d’acquisition des connaissances.
[23] Jawleeji, pluriel du mot d’origine peule jawleeru, désigne les vestibules. Généralement, dans la culture des Peuls du Cameroun, les Moodibbe ou Muqaddamûn dispensent les enseignements dans leurs vestibules qui servent aussi de salle de réception et de salle à manger.
[24] Les néophytes et les adeptes élevés à une fonction supérieure offrent à leurs maîtres spirituels des présents destinés à célébrer leur admission ou leur élévation dans la confrérie, mais, en réalité, ces dons vont dans la caisse du Cheikh-khalife ou dans celle du Muqaddam-initiateur.
[25] Mot d’origine arabe qui signifie les aspirants (sing. Murîd). C’est celui qui aspire à la connaissance de Dieu, à travers les enseignements, par l’intermédiaire des intercesseurs.
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Pour citer l'article :
APA
Bah, F. S. (2025). La Tijâniyya et le bien-être économique au Cameroun. Global Africa, (11), pp. 124–141. https://doi.org/10.57832/2mw9-z611
MLA
Bah, Fadel Soubiane. "La Tijâniyya et le bien-être économique au Cameroun." Global Africa, no. 11, 2025, pp. 124-141. doi.org/10.57832/2mw9-z611
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https://doi.org/10.57832/2mw9-z611
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