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Analyses critiques

Le paysage de l’édition scientifique au Maroc

Yousra Hamdaoui

Maître de conférences (Relations internationales)

Faculté de droit, des sciences économiques et sociales - Mohammedia (Maroc)

Yousra1686@gmail.com

numéro :

Publier la recherche africaine

Publishing Africa

Kuchapisha utafiti wa Kiafrika

نشر البحوث الأفرقية

GAJ numéro 02 première.jpg.jpg

Publié le :

20 septembre 2024

ISSN : 

3020-0458

07.2024

Cet article explore l’état actuel de l’édition scientifique au Maroc, en mettant en lumière les problèmes historiques et systémiques qui affectent le domaine. Au cours des vingt dernières années, les universités marocaines ont fait des progrès dans le domaine de la recherche scientifique. Néanmoins, le paysage de l’édition académique est marqué par des défis importants, notamment un nombre limité de revues indexées, des réseaux de distribution et un financement insuffisants. En analysant les données bibliométriques, en réalisant des entretiens avec des acteurs clés et en examinant la littérature grise des organismes de recherche nationaux, l’article propose une évaluation détaillée de l’environnement de la recherche au Maroc. Il retrace l’évolution historique de l’édition académique depuis l’époque précoloniale jusqu’à aujourd’hui, en passant par les périodes coloniales, en mettant l’accent sur des revues influentes telles que Hespéris-Tamuda. L’étude met en lumière des problèmes persistants tels que l’insuffisance des ressources financières, les problèmes de gouvernance et l’irrégularité des publications. Elle appelle à des réformes globales pour améliorer la durabilité, la visibilité et l’impact de la recherche universitaire marocaine, en plaidant pour un écosystème de recherche plus collaboratif et plus solide. 


Mots-clés 

Édition scientifique, Hespéris-Tamuda, recherche scientifique, presses universitaires, production des savoirs, Maroc

Plan de l'article

Introduction


L’histoire de l’édition et de la recherche au Maroc


L’écosystème de la recherche scientifique au Maroc


Les principaux défis de l’édition scientifique au Maroc


Conclusion

Introduction

Le système universitaire marocain a connu deux décennies de transformation, dans le cadre de ses efforts visant à améliorer sa capacité de recherche scientifique et à s’assurer que l’impact économique et social de cette recherche profite à la société marocaine. Le Maroc compte 12 universités publiques qui accueillent 1,3 million d’étudiants, soutenus par 15 880 professeurs. En 2021, comme le note El Aroui (dans ce numéro), les auteurs affiliés aux universités marocaines ont publié plus de 11 000 articles. Pourtant, les recherches bibliométriques menées par la Fondation Al Saoud, qui répertorie la littérature et les ouvrages en sciences humaines et sociales publiés au Maroc, révèlent les contraintes auxquelles sont confrontés les presses universitaires et les éditeurs marocains travaillant dans ces domaines[1]. Selon son rapport 2024 sur le secteur de l’édition et du livre, il n’y a eu que 127 publications de presses universitaires marocaines de 2022 à 2023, et seulement 191 livres publiés en sciences humaines et sociales (Fondation al Saoud, 2024). Seules trois revues scientifiques marocaines sont actuellement indexées dans Scopus. Selon Mohammed Sghir Janjar (2017), ancien vice-président exécutif de la fondation Al Saoud, « les universitaires marocains ont un faible taux de publication : 47,5 % n’ont publié qu’un seul texte sur une période de dix-sept ans, alors que moins de 5 % ont publié plus de 17 textes (soit un par an) », souvent ce texte unique était soit leur thèse, soit un article scientifique, soit un article destiné au grand public[2]. En effet, les presses universitaires sont confrontées à des difficultés de distribution et ont une exposition commerciale limitée en dehors d’événements tels que le salon international du livre et de l’édition, où les universités peuvent présenter leurs publications[3]. Cette année, trois universités[4] et trois facultés[5] ont participé à ce salon. L’exploration de canaux de distribution alternatifs devient cruciale dans un marché du livre difficile, en particulier pour les livres à caractère scientifique qui se heurtent aux réseaux de distribution traditionnels.
La fragilité du secteur de l’édition scientifique au Maroc est révélatrice des dysfonctionnements majeurs du système de recherche scientifique du pays. Le Maroc n’alloue que 0,75 % de son PIB à la recherche scientifique et à l’innovation, le secteur privé contribuant à hauteur de moins de 0,22 % du PIB. La question du financement n’est pas la seule pièce manquante du puzzle. Après l’indépendance du Maroc, le rôle principal des universités n’était pas de produire des connaissances scientifiques, mais plutôt de fournir à l’État les professionnels nécessaires. Ce n’est qu’au début des années 2000, avec l’introduction du système « LMD[6] », issu du processus de Bologne, dans les universités marocaines, que l’accent a été mis sur la recherche scientifique.
Malgré la prise de conscience de l’importance de la recherche scientifique au Maroc, les universités marocaines ne figurent pas dans les classements mondiaux des universités. L’importance croissante accordée à la recherche scientifique à l’échelle internationale a conduit à mettre l’accent sur l’excellence en matière de recherche, laquelle est principalement évaluée au moyen des classements mondiaux des universités. Cela a conduit à ce que Hazelkorn (2007) a appelé une « obsession du gladiateur » concernant les positions occupées par les universités dans ces classements (Sutz, 2020). La « dictature de l’excellence » est amplifiée par les systèmes de classement internationaux qui établissent des comparaisons entre les universités, ainsi que par des indicateurs tels que la Webométrie qui mesure la visibilité des universités et leur production scientifique. Ce système scientifique global comptabilise la publication d’articles scientifiques et leurs facteurs d’impact deviennent les nouveaux déterminants de l’économie de l’édition scientifique (Kraemer-Mbula et al., 2020)
Dans cet article, nous explorerons le paysage général de la recherche au Maroc et, par extension, celui de l’édition scientifique. Pour ce faire, nous commencerons par l’histoire de la recherche en sciences humaines dans le Maroc colonial et postcolonial, en mettant l’accent sur l’évolution d’une revue d’histoire influente : Hespéris-Tamuda. Ensuite, nous nous concentrerons sur les acteurs et les infrastructures de l’écosystème de l’édition contemporaine, avant de revenir sur les défis auxquels sont confrontés les chercheurs et les éditeurs.
Les données utilisées pour cette analyse sont issues d’un projet de recherche à l’échelle continentale intitulé « Renforcer l’état de l’édition scientifique en Afrique », mené entre février 2021 et juin 2022 par l’Institute for Humanities in Africa (HUMA) en collaboration avec le LASPAD de l’université Gaston Berger, avec le financement de l’Open Society Foundations (OSF)[7]. Dans un premier temps, nous avons conduit 12 entretiens semi-structurés avec trois éditeurs, cinq rédacteurs en chef de revues scientifiques et quatre décideurs politiques. Suivant le profil de la personne interrogée, les questions posées portaient sur les points suivants : financement de la recherche et de l’édition, mécanismes de contrôle de la qualité des revues (parties prenantes et procédures), édition numérique, libre accès, presses universitaires, gouvernance de la recherche scientifique, et défis rencontrés par chaque partie prenante dans son secteur. Dans un second temps, les données de la littérature grise portant sur l’édition scientifique et l’industrie de l’édition au Maroc ont été utilisées.
Il s’agit notamment de rapports de la Fondation du roi Abdul-Aziz Al Saoud de Casablanca sur l’édition et les livres au Maroc, qui détaillent les contributions marocaines dans les domaines des sciences humaines, des sciences sociales et de la littérature à partir des bases de données de la Fondation. En outre, nous nous sommes appuyés sur les résultats de deux études d’évaluation menées par le Conseil supérieur de l’éducation, de la formation et de la recherche scientifique (CSEFRS) : l’une publiée en 2022, qui évalue la recherche scientifique et technologique au Maroc, et l’autre publiée en 2018, qui examine le cycle de doctorat dans le pays. Ces diverses sources fournissent une vue d’ensemble du paysage de la recherche et de l’édition au Maroc, mettant en lumière à la fois ses réalisations et les défis qui l’attendent.
 

L’histoire de l’édition et de la recherche au Maroc

La production de livres dans le Maroc précolonial, avant l’arrivée de la technologie de l’imprimerie, reposait sur les manuscrits créés par les scribes et les savants. À partir de 1864, le gouvernement marocain a affirmé son contrôle sur l’imprimerie, comprenant son importance en tant qu’outil au service des objectifs politiques et religieux des sultans (Abdulrazak, 1990). L’historien Germain Ayache note que l’imprimerie dans le Maroc précolonial préservait la tradition, contrairement au rôle qu’elle jouait dans la modernisation au Liban, en Égypte ou en Turquie (Ayache, 1964). La disponibilité croissante des livres imprimés a progressivement affaibli le système éducatif traditionnel basé sur la mémorisation, incitant les éditeurs à se concentrer sur l’innovation des idées et l’exploration de nouvelles formes d’expression jusqu’à ce que le Maroc devienne un protectorat français et espagnol en 1912 (Abdulrazak, 1990).
Pendant la période coloniale, le protectorat espagnol a créé des « centros de investigación » ou instituts de recherche dans le nord du Maroc, favorisant l’émergence et la production du savoir. Dans ce cadre, l’édition a connu un essor avec la création de l’Instituto Jalifiano Muley el Hassan en 1937, le Centro de Estudios Marroquíes en 1938, et l’Instituto General Franco en 1938 qui a permis la publication de plusieurs ouvrages (Abrighach, 2023). Dans le même temps, l’administration française a créé des « instituts d’exploration » pour faciliter la production de connaissances scientifiques (Kleiche et Waast, 2008). Dans le domaine des sciences humaines, l’Institut des hautes études marocaines est créé en 1920 sous l’égide de Lyautey, alors résident général de France au Maroc. Son objectif était de promouvoir la recherche scientifique sur le Maroc, de diffuser la compréhension des langues et de la civilisation marocaines et, en outre, de préparer les candidats à des examens spécifiques de l’enseignement supérieur et des examens professionnels (Kleiche, 2000). En 1921, l’institut a lancé la revue Hespéris à Rabat. Elle se consacrait à la publication d’études historiques et géographiques, de documents inédits, de comptes rendus et de nouvelles publications concernant le Maroc et l’Occident musulman au sens large. Sous le régime colonial, l’Occident musulman, et plus particulièrement l’Andalousie, suscitait un intérêt particulier. Par conséquent, les articles publiés au cours de cette période portaient principalement sur des études relatives au Maroc et à la région du Maghreb, avec une couverture occasionnelle des pays d’Afrique de l’Ouest (Hamdaoui, 2021). En 1959, Hespéris avait publié un total de 47 volumes.
Une autre revue, Tamuda : Revista de investigaciones marroquíes a été créée par le protectorat espagnol dans le nord du Maroc à Tétouan en 1953 sous la direction de Tomás García Figueras, qui était délégué à l’éducation et à la culture (Abrighach, 2023). Cette publication scientifique s’inspirait, pour le contenu et le format, des revues scientifiques contemporaines de l’époque, telles que Hespéris à Rabat, Al-Andalús publiée par les écoles d’études arabes de Madrid et de Grenade, et la revue hébraïque Sefarad publiée à Madrid (Abrighach, 2023). Selon Gozalbes Cravioto, Tamuda : Revista de investigaciones marroquíes n’était pas uniquement consacrée aux études historiques ou philologiques, à l’arabisme ou à l’hébraïsme, elle englobait également d’autres domaines des études marocaines, y compris l’archéologie et les sciences naturelles. Tamuda a évolué par rapport à son format initial qui consistait à publier deux volumes par an, un par semestre (Gozalbes Cravioto, 2007). La revue espagnole contenait une petite section pour les articles en arabe, contrairement à Hespéris où tous les articles sont publiés en français et occasionnellement en anglais et en espagnol[8]. Tamuda a également introduit deux innovations notables. La première est un livret intitulé Ketama, qui sert de supplément littéraire en espagnol et en arabe, et une seconde, beaucoup plus complète, consacrée à la bibliographie marocaine (Gozalbes Cravioto, 2007). Elle a cessé d’être publiée sous sa forme originale en 1959.
Hespéris a continué à exister après l’indépendance du Maroc. En 1956, le ministère de l’Enseignement supérieur, dirigé par Mohammed El Fassi et l’historien Germain Ayache, a choisi de préserver la revue en la fusionnant avec Tamuda, formant ainsi Hespéris-Tamuda. Cette décision coïncida avec la création de la faculté de lettres et des sciences humaines de Rabat, connue à l’origine sous le nom d’Institut des hautes études marocaines fondé par Lyautey[9]. Après l’indépendance, sous la direction de Germain Ayache, l’équipe éditoriale de la revue a choisi de maintenir la ligne éditoriale existante. Elle a fait appel à des auteurs marocains pour écrire l’histoire du Maroc en français et en espagnol (Hamdaoui, 2021).
Après l’indépendance, la revue Hespéris-Tamuda a connu trois phases distinctes. La première phase, de 1960 à 1990, a été dirigée par l’historien Germain Ayache. Le numéro inaugural de 1960 a connu des difficultés de publication dues à un déficit de chercheurs marocains. Ceux qui étaient partis pendant la colonisation pour poursuivre leurs études doctorales en France et dans les pays arabes comme l’Égypte et la Syrie n’étaient pas encore revenus (Hamdaoui, 2021). Ce n’est qu’au début des années 1980 que la revue a pu combler le vide laissé par le départ des chercheurs français qui l’avaient dirigée pendant la période coloniale. À cette époque, Germain Ayache et l’historien Brahim Boutaleb établissent le département d’histoire à la faculté de lettres et des sciences humaines. Cette décision a permis de renforcer la recherche universitaire en histoire, en mettant l’accent sur l’utilisation des archives, en particulier celles rédigées en arabe, qui avaient été négligées par le maghzen[10]. L’utilisation de ces archives a permis de jeter un regard nouveau sur les connaissances produites pendant la période coloniale. Après le décès de Germain Ayache en 1990, la deuxième phase d’Hespéris-Tamuda dans l’ère postcoloniale a commencé.
Durant cette phase, le professeur Brahim Boutaleb, responsable de la coordination scientifique de la revue, a introduit la langue arabe en 1990, constatant la pénurie d’articles publiés en français. Cette décision n’a pas fait l’unanimité au sein du comité de rédaction. Malgré l’introduction de la langue arabe, la production scientifique n’est pas prolifique. La revue a cessé de paraître pendant trois ans. Ce n’est qu’à l’occasion du cinquantième anniversaire de la faculté de lettres et des sciences humaines de Rabat en 2007 que la revue a publié un numéro spécial, mais sous forme d’index, faute d’articles à publier[11]. La revue a continué à connaître des problèmes de qualité et de production.
À partir de 2015, la revue prit une nouvelle direction. Le ministère de l’Enseignement supérieur a décidé de mettre Hespéris-Tamuda sous indexation. Le professeur Khalid Ben Shir se chargeait de la coordination scientifique de la revue. La publication en ligne à partir de 2015 a facilité sa diffusion. De 2019 à 2022, la revue a publié quatre numéros par an (Hamdaoui, 2021). Depuis 2016, Hespéris-Tamuda est indexée dans l’Emerging Sources Citation Index (ESCI) de Clarivate. En 2024, la revue est indexée par Scopus.
 

L’écosystème de la recherche scientifique au Maroc

Malgré la croissance de l’édition académique stimulée par l’augmentation du nombre d’institutions universitaires, les publications académiques rencontrent encore des problèmes de visibilité, dépendant souvent de manière significative des efforts individuels plutôt que d’un soutien institutionnel fort.
La recherche scientifique constitue l'une des pierres angulaires de la société du savoir. Malgré les progrès notables réalisés au Maroc depuis son indépendance, le système de recherche reste en développement, certaines institutions n'ayant été établies qu'au début des années 2000. L’étude d’évaluation publiée en 2022 par le CSEFRS (CSEFRS, 2022) identifie une multitude d’acteurs impliqués dans la gouvernance de la recherche scientifique au Maroc : dans la formulation de la stratégie, dans sa mise en œuvre, dans la gestion des financements et dans la conduite des opérations de recherche. Ce dernier groupe comprend les universités avec leurs laboratoires de recherche et les instituts de recherche publics fonctionnant de manière autonome par rapport aux universités.
Sur la base de l’étude d’évaluation réalisée par le CSEFRS, les orientations stratégiques de la recherche scientifique au Maroc relèvent de deux instances : le ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche scientifique et de l’Innovation, et le Comité permanent interministériel de la recherche scientifique, de l’innovation et du développement technologique (CPIRSIDT). Ce dernier est également chargé de superviser la mise en œuvre des programmes stratégiques dans les domaines de la recherche scientifique, de l’innovation et du développement technologique[12]. Le suivi et la coordination de la recherche représentent des défis majeurs pour le système national de recherche. Selon un ancien président d’une université marocaine, « la présence de multiples entités de gouvernance a un impact sur les processus de suivi et de coordination[13] ». Par conséquent, la loi-cadre 51-17 adoptée en 2019 comprend des dispositions pour la création d’un Conseil national de la recherche scientifique, visant à restructurer le cadre de coordination du système de recherche, tout en préservant la mission confiée au CPIRSIDT (CSEFRS, 2022).
La gouvernance de la recherche scientifique a fait l’objet de recommandations d’amélioration à travers des stratégies, des révisions et des programmes d’urgence depuis 2006. Une stratégie nationale de recherche a été élaborée en 2006, suivie d’un programme d’urgence en 2009, d’une révision de la stratégie nationale de recherche en 2014 et, plus récemment, du pacte ESRI 2030 mis en place en 2022 pour accélérer la mise en œuvre de la stratégie nationale de recherche. Les réformes continues du système de recherche sont également affectées par les fluctuations politiques au sein du gouvernement. Ces ajustements sont souvent le fait d’individus occupant des postes de décision plutôt que des institutions gouvernementales elles-mêmes.
La gestion du financement fait partie intégrante du système de gouvernance de la recherche. Le Centre national pour la recherche scientifique et technique (CNRST) joue un rôle crucial en tant qu’agence nationale de financement. Cependant, l’institution est partagée entre l’administration des programmes de financement et la consolidation des ressources et de l’information scientifiques (CSEFRS, 2022). Cette double mission complique les procédures de gestion et de financement du CNRST. La complexité et la lenteur des procédures découragent souvent les chercheurs de s'engager dans des activités de recherche ou de générer des revenus pour leurs universités.
Les universités publiques marocaines se divisent en deux catégories : les établissements à accès libre, qui accueillent les bacheliers sans conditions d’admission, et les établissements à accès réglementé, qui sélectionnent leurs étudiants par le biais de concours. Les universités à accès libre absorbent la majorité des chercheurs et produisent la quasi-totalité des publications scientifiques. Les effectifs de l’enseignement supérieur au Maroc s’élèvent à 1,35 million d’étudiants, pour une population de 37,46 millions d’habitants. Les chercheurs doctorants représentent plus de 71 % du corps scientifique de l’université, avec plus de 36 850 doctorants contre 15 880 enseignants permanents[14]. Cependant, le rapport entre le nombre de thèses de doctorat soutenues annuellement et le nombre de doctorants est de 5,7 %[15]. Ce ratio donne une idée du taux de finition des études doctorales, indiquant qu’un pourcentage relativement faible de doctorants terminent et soutiennent avec succès leur thèse.
Les études doctorales sont menées dans des laboratoires de recherche affiliés à des Centres d’études doctorales (CEDoc). Bien que sans statut juridique, ces CEDocs gèrent intégralement toutes les procédures administratives liées au parcours académique des doctorants (CSEFRS, 2018). Les laboratoires de recherche au sein des CEDocs sont les seuls centres d’interaction et d’échange de connaissances qui ont facilité l’élimination des barrières entre les disciplines de recherche. Néanmoins, il y a un manque notable de collaboration entre les différents laboratoires au sein d’un même CEDoc[16]. Ces laboratoires de recherche sont souvent créés dans le but d’aider les doctorants à publier dans les revues qui leur sont affiliées. Selon le directeur du laboratoire d’études et de recherches interculturelles et de la revue Relais, la plupart des publications scientifiques transitent par des revues propres à leurs laboratoires respectifs[17].
Les laboratoires reçoivent également des fonds de leurs facultés en fonction de leurs publications. Dans le cas du Relais, le financement provient d’une dotation annuelle déterminée par l’évaluation interne du laboratoire. Cette évaluation porte principalement sur la productivité scientifique annuelle du laboratoire. Ce dernier est évalué tous les deux ans et son accréditation est renouvelée tous les quatre ans. La publication de la revue a été interrompue de 2014 à 2019 en raison d’un financement insuffisant[18].
Le manque de financement constitue un défi important pour la publication régulière de revues scientifiques au Maroc. Sans un soutien financier adéquat, les revues ont du mal à respecter les calendriers de publication et à maintenir les normes éditoriales attendues. Ce problème affecte directement la visibilité et l’impact de la recherche qu’elles publient.

 

Les principaux défis de l’édition scientifique au Maroc

Les défis auxquels est confrontée l’édition scientifique constituent une dimension du déclin plus large du secteur du savoir au Maroc, attribuable à une série de réformes et de politiques éducatives incomplètes au fil du temps. Pendant longtemps, l’évaluation de la recherche a été essentiellement effectuée par les pairs. Depuis les années 2000, cependant, des évaluations externes sur la production de connaissances au Maroc ont été réalisées[19]. Cette évolution a été favorisée par la réforme LMD de l’enseignement supérieur, l’impact des classements mondiaux des universités et la diffusion de la culture de l’évaluation à travers la coopération scientifique internationale (Janjar, 2017, note 20). Les chercheurs et les experts se renseignent d’abord sur le statut d’indexation des revues lorsqu’ils évaluent la production scientifique[20]. Cependant, l’indexation des revues est peu courante dans le contexte nord-africain, où la publication scientifique elle-même est une pratique plus récente[21].
Le problème principal réside dans l’irrégularité des revues scientifiques, dont l’existence et la continuité dépendent souvent d’un petit cercle de chercheurs. La problématique de l’irrégularité est liée à l’absence de ressources humaines et de dispositifs techniques pour la gestion des journaux. Selon le directeur du Relais, « le problème de l’irrégularité est lié à l’insuffisance de personnel et de matériel pour soutenir ce processus. L’impression du journal nécessite des déplacements à Casablanca ou à Rabat pour trouver un imprimeur adéquat[22] ». 
De plus, la gestion de la revue dépend de l’implication bénévole d’un nombre limité de membres du comité scientifique. Le manque de professionnalisation dans l’édition scientifique pose un défi important à la durabilité des revues universitaires. Sur cette base, l’examen d’un modèle économique pour ces revues devient complexe, car il s’agit généralement de parvenir à un équilibre entre les coûts et les bénéfices nécessaires pour que les activités de publication soient durables, voire rentables. La publication est généralement une activité périphérique et peu développée dans les universités marocaines. L’expérience limitée en matière d’écriture et de publication, en particulier en anglais ou en français, contribue à la méconnaissance du paysage éditorial par les chercheurs, ce qui pose des défis importants. Selon la fondatrice de la maison d’édition En toutes lettres, « les chercheurs sont parfois peu au fait des complexités de l’édition, qui comprennent l’édition de textes, les questions de propriété intellectuelle, les contrats, les droits d’auteur et les principes de la politique éditoriale »[23]. Les travaux de recherche ne sont pas toujours distribués par des entités spécialisées. Au lieu de cela, ils sont souvent diffusés par des éditeurs généralistes privés, des associations, ou même par le biais de l’autoédition, parfois des années après la soutenance de la thèse. Il en résulte une variété de stratégies de distribution pour ces travaux de recherche[24].
La diffusion des publications scientifiques est un défi majeur. Au Maroc, il existe deux initiatives importantes pour cataloguer les revues scientifiques et les rendre plus visibles et accessibles aux chercheurs. La première est menée par le CNRST à travers l’Institut marocain de l’information scientifique et technique (IMIST), qui a lancé en 2012 le portail des revues scientifiques marocaines dans le cadre de la valorisation et de la diffusion de la production scientifique marocaine. Ce projet implique que l’institut prenne en charge le processus de publication en ligne des revues scientifiques éditées par les universités publiques, ainsi que l’archivage de leur contenu. La deuxième initiative est entreprise par la Fondation du Roi Abdul-Aziz pour les études islamiques et les sciences humaines à Casablanca. La fondation est en train de construire un catalogue qui comprend toutes les publications marocaines éditées par les universités publiques et privées, les communautés académiques et les éditeurs institutionnels.
Le secteur de la recherche scientifique est entravé par un financement inadéquat. Ce dernier dépend principalement des subventions publiques accordées aux universités et des appels à projets. Les collaborations internationales et les financements privés constituent d’autres sources de financement. Les budgets alloués aux universités pour la recherche sont insuffisants pour couvrir toutes les dépenses nécessaires aux chercheurs. Selon un ancien président d’une université marocaine, « le budget de recherche alloué à l’université ne comprend pas de prévisions pour les billets d’avion. Si un professeur est invité à l’étranger, il doit acheter son propre billet, et nous le remboursons par le biais d’une simulation de frais de voyage[25] ». La complexité de la gestion des ressources financières alourdit le fardeau des chercheurs eux-mêmes. Les appels à projets – instrument essentiel pour obtenir un financement – sont sporadiques. Entre 2008 et 2017, il y a eu 14 programmes distincts d’appels à projets pour un montant total de 969 millions de dirhams[26]. Ils couvraient tous les thèmes et toutes les disciplines. Le budget général est la principale source de financement de ces appels. Le CNRST est la principale agence nationale de financement. D’autres instruments et mécanismes financent également des thèmes de recherche ciblés. Les fonds reçus du secteur privé ne couvrent que 22 % de l’activité de recherche. Ceci est le résultat des multiples dysfonctionnements qui affectent l’université marocaine. La langue d’enseignement constitue également un défi majeur pour les étudiants des universités marocaines qui poursuivent des études supérieures. Le passage brutal de la tradition francophone postcoloniale à l’arabisation du système éducatif a eu un impact important sur l’enseignement supérieur. Le principe de l’arabisation a été influencé par des mécanismes pédagogiques internes, ce qui a entraîné une francisation accrue du personnel d’encadrement. Cette évolution vers la francisation au sein de l’administration et du système politique a eu des répercussions considérables sur l’ensemble du système éducatif (Moatassime, 1978).
Hassan II a privilégié la nomination de personnes ayant une formation moderne et française à des postes à responsabilité. En 1963, lors d’un colloque sur l’éducation présidé par le roi, des inquiétudes sont soulevées quant au déphasage entre l’enseignement primaire arabisé et l’enseignement secondaire en langue française. Les syndicats d’enseignants critiquèrent le maintien du bilinguisme (Vermeren, 2022). La politique linguistique a montré ses limites, voire son échec, aujourd’hui après plus de soixante ans d’indépendance. L’initiative récente d’introduire l’enseignement de l’anglais dans les collèges depuis mai 2023 semble refléter l’engagement irrégulier du Maroc en faveur de la francophonie.
Malgré les obstacles à la recherche et à la publication scientifique, il s’agit d’un domaine crucial qui doit être organisé et développé. Il existe un potentiel de croissance important, soutenu par le grand nombre de personnes engagées dans l’enseignement et la recherche, ainsi que par la cohorte grandissante d’étudiants qui pourraient devenir de futurs contributeurs. Internet a permis d’accéder aux pratiques et tendances internationales, incitant la nouvelle génération à aspirer à une reconnaissance fondée sur de véritables normes académiques. C’est ce qui a été rapporté lors des sessions d’Openchabab[27] selon Kenza Sefrioui, fondatrice de la maison d’édition En toutes lettres.
Openchabab est un programme de formation thématique centré sur les valeurs fondamentales d’un projet de société humaniste, réunissant de jeunes étudiants chercheurs, des journalistes et des acteurs de la société civile. Ces expériences contribuent à renforcer leurs compétences professionnelles et à favoriser un multilinguisme solide, fondement déjà présent au sein de la société marocaine. Il peut s’agir de partenariats pour des cours de langue intensifs proposés par des institutions d’enseignement des langues, ou de la participation à des ateliers d’écriture. Les meilleures productions du programme sont publiées dans la collection Enquêtes d’En toutes lettres.
 

Conclusion

L’édition scientifique au Maroc a été confrontée à des défis importants. Ceux-ci comprennent la sous-évaluation des publications académiques au sein de la communauté, la prévalence de l’autoédition, l’absence d’un système rationalisé de distribution des livres, les préoccupations concernant les pratiques d’évaluation par les pairs, les niveaux élevés d’analphabétisme parmi la classe moyenne marocaine et une partie de l’intelligentsia, et les questions non résolues concernant la langue d’enseignement. Pour promouvoir l'édition scientifique, il est nécessaire de placer les exigences de publication au cœur  des parcours professionnels des chercheurs. Cela implique la mise en place de mécanismes d’incitation, tels que des bourses et des prix, pour encourager la publication. En outre, les universités devraient publier en ligne les thèses achevées, ce qui serait bénéfique pour les étudiants. Une réforme institutionnelle est également nécessaire pour éradiquer la corruption et empêcher la cooptation qui entrave la nomination de personnes qualifiées à des postes de recherche. Dans un sens plus large, l’objectif est de concevoir un nouvel écosystème de recherche innovant qui atténue la compétition excessive et favorise la collaboration entre chercheurs. Cela implique la création de nouveaux espaces et plateformes pour élargir les échanges intellectuels, en allant au-delà des formats traditionnels tels que les séminaires et les conférences.

 


Notes

[1] Disponible à l’adresse suivante : http://www.fondation.org.ma/assets/upload//art_694/Rapport_Latin_2022-2023.pdf 

[2] Entretien réalisé en septembre 2021 avec Mohammed Sghir Janjar, via WhatsApp.

[3] Entretien réalisé le 3 janvier 2022 avec la fondatrice de la maison d’édition marocaine En toutes lettres.

[4] Université Abdelmalek-Essaadi (Tétouan), université Hassan-II (Casablanca), université Mohammed-V (Rabat).

[5] Faculté de droit, des sciences économiques et sociales (Marrakech), faculté des langues, des arts et des lettres (Agadir), faculté des arts et des lettres (Agadir).

[6] Licence-master-doctorat.

[7] L’objectif était de produire de nouvelles connaissances sur l’édition scientifique africaine, les éditeurs indépendants et la diffusion des résultats de la recherche. Le projet considérait la contribution des éditeurs au débat en cours sur la production de connaissances en Afrique comme une composante essentielle du développement durable et du changement. La recherche a cherché à générer des données empiriques sur l’édition et la diffusion de la recherche sur le continent africain, en collectant des données par le biais d’entretiens, de littérature grise, de podcasts et de séminaires, afin de fournir des éléments permettant de repenser les politiques actuelles en matière d’édition.

[8] Entretien réalisé en 2021 avec le coordinateur scientifique d’Hespéris-Tamuda.

[9] Entretien réalisé en 2021 avec le coordinateur scientifique d’Hespéris-Tamuda.

[10] Entretien réalisé en 2021 avec le coordinateur scientifique d’Hespéris-Tamuda. / Le maghzen est à la fois le gouvernement marocain et, par extension, l’administration. Avant le protectorat, le maghzen était le nom du gouvernement du monarque marocain.

[11] Entretien réalisé en 2021 avec le coordinateur scientifique d’Hespéris-Tamuda.

[12] Entretien réalisé en juillet 2024 avec un membre de l’Instance nationale d’évaluation (INE).

[13] Entretien réalisé le 1er octobre 2021 avec un ancien président de l’université Hassan-Ier de Settat via WhatsApp.

[14] Statistiques universitaires de l’enseignement supérieur universitaire public 2022-2023 disponible sur : https://www.enssup.gov.ma/storage/statistique/2023/Statistiques%20Universitaires-Enseignement%20Supérieur%20Universitaire%20Public%202022-2023.pdf

[15] Statistiques de 2017.

[16] Entretien réalisé en 2021 avec le coordinateur d’Hespéris-Tamuda.

[17] Entretien réalisé en 2021 avec le directeur du Relais de la faculté de lettres et des sciences humaines d’El Jadida.

[18] Entretien réalisé en 2021 avec le directeur du Relais de la faculté de lettres et des sciences humaines d’El Jadida.

[19] En 2002, une étude évaluative réalisée par l’Institut de recherche pour le développement (IRD) sur les sciences humaines et sociales au Maroc : regards sur la composition et la production. En 2007, une étude réalisée par un expert de l’IRD à partir des données de la Fondation du Roi Abdul-Aziz sur les sciences humaines et sociales au Maghreb : essai bibliométrique. En 2009, une étude sociologique de Mohamed Cherkaoui pour le ministère de l’Éducation nationale et de l’Enseignement supérieur sur le statut des universitaires en sciences sociales et humaines et leur production intellectuelle.

[20] Entretien réalisé en 2021 avec l’ancien vice-président de la Fondation Al Saoud.

[21] À l’exception de l’Égypte qui a une tradition de publication scientifique.

[22] Entretien réalisé en 2021 avec le directeur du Relais de la faculté de lettres et des sciences humaines d’El Jadida.

[23] Entretien réalisé en janvier 2022 avec la fondatrice de la maison d’édition En toutes lettres.

[24] Entretien réalisé en janvier 2022 avec la fondatrice de la maison d’édition En toutes lettres.

[25] Entretien réalisé en 2021 avec un ancien président de l’université Hassan 1er de Settat.

[26] L’équivalent d’environ 93 millions d’euros. Données extraites du rapport sectoriel sur la recherche scientifique et la technologie au Maroc. Analyse évaluative. Publié par le Conseil de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique, avril 2022.

[27] Entretien réalisé en janvier 2022 avec la fondatrice de la maison d’édition En toutes lettres.

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APA 

Hamdaoui, Y. (2024). Le paysage de l’édition scientifique au Maroc. Global Africa, (7), pp. 128-136. https://doi.org/10.57832/3a47-kn41 


MLA 

Hamdaoui, Y. "Le paysage de l’édition scientifique au Maroc". Global Africa, no. 7, 2024, p. 128-136. doi.org/10.57832/3a47-kn41 


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https://doi.org/10.57832/3a47-kn41 


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