Analyses critiques
Réformer les systèmes de santé « par le bas »
Pistes de travail pour des « modèles voyageurs » locaux
Jean-François Caremel
Chercheur associé au laboratoire d’études et de recherches sur les dynamiques sociales et le développement local (LASDEL)
Mamane Sani Souley Issoufou
Chercheur au laboratoire d’études et de recherches sur les dynamiques sociales et le développement local (LASDEL)
numéro :
Les administrations africaines :
décolonialité, endogénéité et innovation
African Administrations:
Decoloniality, Endogeneity, and Innovation
Tawala za Kiafrika:
kuacha ukoloni, endogeneity na ubunifu
:الإدارات الأفريقية
إنهاء التركة الاستعماريّة، المحلّيّة والابتكار
Publié le :
20 juin 2024
ISSN :
3020-0458
06.2024
En dépit de l’amélioration de certain de ses indicateurs, le système de santé du Niger demeure fragile et reste largement caractérisé par une « médecine inhospitalière ». Cela tient en partie au fait que les schémas d’intervention, les protocoles et la plupart des politiques publiques de santé qui ambitionnent de reformer les systèmes de santé sont largement impulsés et financés par les acteurs de l’aide internationale et peinent à prendre en compte les contextes et le fonctionnement quotidien réel des services de santé. Pourtant, malgré des conditions d’exercices précaires, certaines structures offrent des soins de meilleure qualité. Ces structures ont en commun d’être pilotées par des « réformateurs locaux ». Invisibles, peu connus, peu promus et peu encouragés, ils inventent avec les moyens du bord des solutions adaptées aux problèmes quotidiens des services publics de santé. A partir des données ethnographiques, cet article propose une analyse des solutions et des systèmes d’innovation qu’ils proposent. En revenant sur l’expérience d’une recherche opérationnelle nous invitons à explorer des pistes pour appuyer cette approche de réforme « par le bas » des systèmes de santé qui peut être une alternative, ou à tout le moins, une approche complémentaire essentielle aux stratégies contemporaines d’amélioration des soins de santé.
Mots-clés
Système de santé, réforme, modèles voyageurs, réformateurs de l’intérieure, innovations locales
Plan de l'article
Introduction
Recenser et documenter les innovations « par le bas »
Une multitude d’innovations
Des innovations essentiellement endogènes
Des innovations déployées dans des structures de première ligne
Des innovations « palliatives » et « mélioratives »
Des innovations qui apportent des solutions
Les réformes « par le bas » : un système humain, trop humain
L’impossible définition d’un profil type de réformateur
Défaut de reconnaissance et isolement
Mettre en réseau les réformateurs
Faire émerger des propositions d’innovations grâce à l’intelligence collective
Analyse des systèmes locaux : typologie des formes et des modèles d’innovation
Des innovations isolées ?
Des innovations imbriquées et en grappe
Des « réseaux d’innovations » organisés autour d’un réformateur senior ou d’une structure réformatrice
Dynamique d’innovation « réactive »
Des systèmes locaux orientés vers l’innovation
L’apport inattendu et central des réformateurs locaux aux réussites de modèles de la « santé globale »
Conclusion : Voies et conditions de l’institutionnalisation « par le haut » des réformes « par le bas »
Introduction
Malgré des investissements majeurs et des résultats notables enregistrés au début des années 2000 (Kante et al., 2024), les indicateurs sanitaires au Niger restent faibles. Toutes les recherches menées par le laboratoire d’études et de recherches sur les dynamiques sociales et le développement local (LASDEL) dans ce domaine depuis bientôt vingt ans – des milliers d’entretiens, des centaines d’observations dans les formations sanitaires à travers le pays – montrent la permanence d’une « médecine inhospitalière » caractérisée par une grande insatisfaction et une défiance des populations au regard de la qualité des prestations du service public de santé et des relations souvent difficiles entre soignants et soignés (Jaffré & Olivier de Sardan, 2003).
Il apparaît bien souvent que les promesses d’amélioration de la santé des populations, essentiellement financées par des bailleurs de fonds et issues de nouvelles solutions techniques élaborées par des experts internationaux (Falisse, 2019), se heurtent à un défaut d’adaptation des interventions, des procédures et des protocoles aux contextes locaux, notamment ceux des formations sanitaires, autrement dit au « monde réel » des cases de santé, des maternités, des centres de santé intégrés (CSI) et des hôpitaux (Olivier de Sardan, 2016 ; Caremel 2023 ; Issoufou, 2015, 2020).
Ces limites limites sont en partie liées à la structure même de ces politiques (Atlani-Duault & Vidal, 2013 ; Chabrol & Gaudillière, 2023) et aux approches « projets » (Giovalluchi & Olivier de Sardan, 2009) qui reposent largement sur des « modèles voyageurs » (Behrends et al., 2014 ; Olivier de Sardan, 2021) qui, s’ils visent à répondre à des enjeux centraux des systèmes de santé, peinent à prendre en compte les comportements routiniers, les normes des pratiques du personnel de santé et leur décalage par rapport aux normes officielles qui sont promues (Olivier de Sardan, 2021). Finalement, à de trop rares exceptions près, ces politiques, ces stratégies, ces réformes, ces programmes, ces projets et ces protocoles reposent moins sur une adaptation fine des stratégies et des solutions aux spécificités et potentialités des contextes que sur une ambition de transformation des contextes locaux (méconnus ou non réellement pris en compte) (Fassin, 2005 ; Brives et al., 2016) pour les faire correspondre aux interventions. Ce constat explique l’importance des difficultés rencontrées lors du passage au niveau local, et les nombreux écarts observés (implementation gaps) entre les interventions énoncées et leur mise en œuvre sur le terrain (Hamani, 2013, 2023 ; Olivier de Sardan, 2014)
Ces décalages dessinent les contours de « problèmes négligés des systèmes de santé » qui sont autant de nœuds critiques (Olivier de Sardan, 2021) que les réformes successives, en général venues d’en haut et importées, ne parviennent pas à dénouer
Les logiques standardisées et descendantes conduisent souvent à ignorer les potentialités internes aux systèmes de santé que l’on entend renforcer. Les normes de pratiques déployées au quotidien par les agents de santé ne sont pas seulement des problèmes, elles constituent une réalité essentielle et parfois une ressource. C’est la conclusion à laquelle le LASDEL est arrivé après bientôt vingt ans de travail de recherche de terrain. Ce travail au long cours de description et d’explication des (dys)fonctionnements quotidiens des services de santé (et plus largement des services publics et de l’État) mené par nos équipes nous a donné à voir que certaines structures, bien que confrontées à des conditions d’exercice précaires, offrent, malgré tout, des soins de qualité. Ceux-ci reposent sur des agents isolés ou des équipes de soins qui développent des innovations et des réponses nouvelles et concrètes aux problèmes récurrents du quotidien. Ces solutions sont élaborées en « bricolant » à partir des routines et du dénuement qui font l’ordinaire des formations sanitaires. Ce faisant, ces agents améliorent la qualité des soins et le fonctionnement des structures de santé où ils exercent. Faire de ce « bricolage » un objet pour la recherche et les politiques publiques invite à développer une « bricologie », c’est-à-dire une analyse de l’écologie de « l’habileté comme créativité dans l’acte de production lui-même » (Ingold, 2013), en l’occurrence de débrouillardise et d’inventivité technique et sociale opérées par les acteurs de la santé au quotidien pour faire fonctionner les dispositifs de soins.
Pour les acteurs des systèmes politiques, de développement et de santé, mieux comprendre les innovations locales[2] et la manière dont elles contribuent à l’amélioration « par le bas » et à bas coût des services de santé devrait constituer une opportunité essentielle. Dans le même temps, la compréhension de ces enjeux constitue potentiellement une réponse aux critiques de l’aide au Sahel formulées depuis les années 1970 (Naudet, 1999), et qui sont toujours d’actualité. Promouvoir des solutions endogènes basées en grande partie sur des ressources locales constitue une voie « nouvelle », au regard des pratiques dominantes, potentiellement à même de lever un certain nombre de goulots d’étranglement et de contraintes rencontrées dans la mise en œuvre des politiques publiques et des programmes de santé. Démontrer la faisabilité et la pertinence de cette approche constitue un défi.
Nous avons relevé ce défi dans le cadre d’une recherche opérationnelle avec des moyens réduits[3]. Un travail d’identification, de documentation, de recensement et de recension systématique des innovations « par le bas » dans le domaine de la santé dans cinq régions du Niger et du Bénin a été engagé. Il a permis de construire une typologie des innovations « par le bas » (partie 1). En parallèle, leurs porteurs ont été identifiés et leur mise en réseau a permis de tester, de développer et de diffuser des « modèles voyageurs locaux ». L’intelligence collective des réformateurs et leur bricologie ont conduit à proposer des pistes de solutions aux problèmes négligés de santé (partie 2). Ce travail conjoint, sur la durée, avec les réformateurs au plus près de leur environnement, a conduit à mieux saisir les systèmes d’innovations locales et à en proposer une typologie (partie 3). Ce travail est venu alimenter un courtage de connaissances et l’inscription de cette approche dans les politiques publiques du Niger (conclusion).
Recenser et documenter les innovations « par le bas »
L’activité centrale de cette recherche opérationnelle était de documenter les innovations mises en œuvre localement ainsi que la trajectoire des réformateurs. Nos questions étaient nombreuses : Quelles sont les innovations déployées par les agents réformateurs ? Sont-elles en mesure de constituer une masse critique ? À quelles conditions ? Les innovations déployées par les agents réformateurs constituent-elles un système ? Si oui, ce système peut-il constituer un modèle alternatif ou complémentaire aux interventions verticales qui visent à améliorer la qualité des soins, notamment en santé maternelle et infantile, et à contribuer au renforcement du système de santé ?
Un point de méthode (1) : documenter les réformes locales
Une grille de collecte de données simplifiée a permis d’inscrire les innovations dans leurs contextes, en apportant un éclairage sur leur trajectoire, les acteurs, les difficultés et les succès, et les éventuelles interactions avec d’autres pratiques réformatrices.
Cette documentation écrite basée sur des entretiens et des observations des services de santé s’est doublée d’une documentation audiovisuelle sous forme de schémas, de photographies et surtout de vidéos. Les vidéos sont très utiles pour diffuser les innovations dans un contexte où les acteurs sont peu portés sur la lecture.
Il s’avère, au sortir de cette phase de recherche-action, que de nombreux outils de documentation des innovations existent et qu’un travail d’alignement, notamment avec les cadres proposés par l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), doit être engagé, tout en gardant à l’esprit la nécessaire simplicité des formats et la faisabilité de leur remplissage par les réformateurs eux-mêmes.
Une multitude d’innovations
Un premier corpus d’innovations identifiées suite aux précédentes recherches du LASDEL a été saisi dans une base de données. Il a été complété entre mai 2019 et avril 2021 suite à l’inventaire des pratiques innovantes initiées par des réformateurs dans les zones d’interventions du programme de recherche, qui ont été progressivement étendues au fil de la compréhension et de l’exploration des réseaux d’innovation (voir partie 3).
Plus de 60 réformateurs et plus de 150 innovations ont été identifiés et documentés sur des fiches signalétiques régulièrement mises à jour, des études de cas et des vidéos. Les données ont été intégrées dans une base de données qui a permis de caractériser ces innovations et d’en comprendre les dynamiques.
Des innovations essentiellement endogènes
Les innovations retenues et documentées sont à 94 % des solutions endogènes, c’est-à-dire qui n’ont fait l’objet d’aucun appui de partenaires et n’ont pas été préconisées par la hiérarchie.
Quatre exemples d’innovations endogènes
Mise en place de kits d’urgence dans les salles d’accouchement : dans le cadre de la prise en charge des accouchements, un certain nombre de réformateurs ont pris l’initiative de constituer des kits d’urgence dans les salles d’accouchement de manière à pouvoir réagir rapidement en cas de complications. Le matériel utilisé doit être remplacé par la parturiente ou son entourage avant la sortie des suites de couches. Cela permet d’éviter : 1) de demander aux femmes de faire des dépenses en petit matériel médical qui pourrait s’avérer inutile ; et 2) de perdre du temps aux moments cruciaux. Dans les structures qui n’ont pas mis en place ces kits, il est demandé aux accompagnants de se rendre à la pharmacie en cas de complications. Les coûts d’acquisition des produits peuvent ainsi être réduits pour les patients qui ne sont pas obligés de se précipiter à la pharmacie de garde qui fait souvent face à la structure de santé et qui propose des produits à des prix élevés), et cela contribue à la rotation des stocks, évitant ainsi la péremption de certains produits.
Stock de contraceptifs confié à une fille de salles pour la distribution aux communautés recourant peu aux services de santé sexuelle et reproductive : pour rehausser les indicateurs de planification familiale et en améliorer l’accessibilité sociale, des réformateurs confient à des filles de salle un stock de contraceptifs. Le stock est renouvelé mensuellement selon la consommation documentée dans le registre de suivi (simple cahier). La fille de salle donne des conseils dans les quartiers et assure un renouvellement des moyens de contraception (pilules et préservatifs essentiellement). Cette solution développée dans différents milieux, y compris dans les quartiers urbains périphériques, est une approche complémentaire des logiques de distribution à base communautaire (DBC) déployées dans la stratégie de santé communautaire par le ministère de la Santé mais qui reposent sur des relais communautaires, essentiellement des hommes. Ces derniers n’ont bien souvent que des liens ténus avec les structures de santé qui souffrent de ruptures de stock fréquentes. Une innovation particulièrement pertinente a été de confier ces stocks à une (jeune) fille de salle, issue d’une minorité (Peuls), elle-même issue d’une lignée d’accoucheuses traditionnelles. Cette approche, par le choix raisonné de sa porteuse, favorise grandement l’accessibilité et la confiance des femmes, notamment les femmes les plus exclues des soins, et par là même contribue à l’amélioration des indicateurs de performance de la structure.
Amélioration de la réactivité des services d’analyse biologique : certains réformateurs ont renforcé la continuité des services des laboratoires et amélioré leur réactivité, notamment en instituant un système qui propose : 1) des bons de couleurs différentes (rouge) pour les examens urgents, qui indiquent les heures de demande, de transmission des prélèvements, de réception au laboratoire et de retour des résultats d’examen. Ce système permet d’identifier les points de blocage et les performances du système ; 2) un système de ligne téléphonique au sein de l’hôpital pour que les laborantins puissent communiquer les résultats ou informer le service demandeur de leur disponibilité ; 3) un système de permanence des laborantins, y compris la nuit, qui s’assure que toutes les demandes d’examens urgents puissent être traitées immédiatement.
Éviter les dépenses exceptionnelles en cas d’urgence : des réformateurs ont mis en place un système « d’engagement » auprès du surveillant militaire des structures hospitalières régionales. Celui-ci est pris par les familles des patients qui s’engagent à rembourser les frais de prise en charge engagés par l’hôpital pour soigner leur parent. Cette solution permet d’éviter des délais et des complications, et donc de réduire les coûts de prise en charge, mais aussi d’éviter que la famille ne vende en urgence ses biens pour faire face aux dépenses liées à la prise en charge du patient. Le respect des porteurs de tenue (militaires et policiers) conduit à de très hauts taux de remboursement de ces avances de paiement des frais de santé et a conduit à une mise à l’échelle progressive de ce dispositif.
Les 6 % d’innovations documentées dans la base de données qui ne sont pas endogènes sont des innovations initiées par un partenaire mais qui ont fait l’objet d’une appropriation et d’adaptations locales fortes.
Deux exemples d’innovations non endogènes
Le système de « centime additionnel » permet de développer des systèmes d’évacuation sanitaire gratuits, dont le coût prépayé est mutualisé et proche de l’équilibre comptable. Le principe initial est de mobiliser des ressources locales : 100 francs CFA par consultation, complétés par une contribution des mairies, des personnes de la diaspora, des gros commerçants et des hommes politiques, parfois aussi par des contributions en nature en percevant une mesure de mil après les récoltes. Le centime additionnel permet de raccourcir les délais de prise en charge et de référence vers une structure hospitalière. Ce système, initié par la Coopération Technique Belge, a fait tache d’huile, porté à l’échelle régionale par une ONG puis relayé par des ONG médicales internationales, mais parfois sans (Diarra, 2012).
Le Surge Nutrition[4] est une boîte à outils développée par l’ONG CONCERN en vue d’améliorer la préparation et la réponse à la hausse saisonnière des cas de malnutrition. Il est basé sur un diagnostic et une planification communautaire et s’appuie sur une mobilisation des ressources locales, complétées dans les phases de pic d’activité par les équipes cadres de district et des programmes de plateformes multifonctionnelles (PTF). Nous reviendrons plus loin sur la place déterminante des réformateurs dans la trajectoire de cette stratégie au Niger (Caremel & Issoufou, 2021). Le Surge Nutrition a été étendu dans certaines structures à d’autres pathologies (paludisme, IRA…). Le passage d’une entrée par pathologie à une approche globale de préparation des pics d’activité au niveau des services est en phase d’être normalisé et inscrit dans une stratégie nationale au Niger. Ces solutions sont pour moitié des réponses palliatives à des dysfonctionnements du système de santé – mobilisant de l’argent au-delà des forfaits préétablis pour le centime additionnel, en développant un système ad hoc en réponse aux faiblesses de la microplanification et de l’analyse des données – ; et pour moitié des solutions nouvelles, parfois inattendues, à des problèmes courants.
Des innovations déployées dans des structures de première ligne
Les innovations ont été majoritairement identifiées dans des structures de première ligne (CSI : 49 %), dans les hôpitaux de district (13 %) et dans des structures de seconde référence (centre hospitalier régional et centre de santé mère-enfant : 26 %). Les autres innovations sont essentiellement le fait des équipes cadres de district (12 %).
Selon le site, on retrouve des innovations relativement différentes. Ce constat a conduit à proposer l’introduction d’une première typologie des innovations.
Des innovations « palliatives » et « mélioratives »
Certaines innovations peuvent être regroupées en deux idéal-types principaux. Nous avons ainsi distingué les pratiques réformatrices qui relèvent plutôt d’innovations « palliatives » et celles qui relèvent plutôt d’innovations « mélioratives ». Elles représentent respectivement 48 % et 52 % des innovations documentées.
Par innovation palliative, on entend une solution inédite porteuse de changement qui atténue les symptômes des dysfonctionnements de la structure de santé, sans (forcément) agir sur leurs causes ; qui est souvent en contradiction avec les normes officielles et certaines attentes ou recommandations, dans le sens où elle peut avoir des conséquences potentielles non souhaitées ; mais qui contribue, globalement, à l’amélioration du service.
Trois exemples d’innovations palliatives
La pose systématique d’un cathéter pour les parturientes en phase active de travail a été initiée par une directrice de maternité pour faire face à des problèmes de compétences des sage-femmes (difficultés à trouver une veine pour piquer dans l’urgence), et à l’absence de monitorage du travail (non-usage du partogramme ou remplissage a posteriori, d’où le nom de « postogramme »). La pose systématique du cathéter permet de faire passer les produits en intraveineuse, notamment en cas d’hémorragie. Cette innovation déployée suite au décès d’une femme dans une maternité est aujourd’hui utilisée de manière systématique par les sage-femmes qui exercent dans cette structure, mais aussi par toutes celles qui y sont passées et qui sont aujourd’hui responsables de maternités, privées ou publiques, à Zinder, Maradi, Niamey… Cette pratique est une réponse concrète et simple mais qui n’est pas conforme aux recommandations de l’OMS transcrites dans les protocoles nationaux qui réservent la pose de cathéters aux complications et quand il y a nécessité de faire passer un produit en intraveineuse. Cette limitation est notamment expliquée par le risque accru d’infections nosocomiales que représente la pose de ces dispositifs.
Le centime additionnel consiste à requérir le versement de 100 francs CFA sur toutes les consultations pour garantir une évacuation en cas d’urgence ou la tarification de 50 à 100 francs CFA pour la plastification des carnets de santé (gratuits), pour couvrir certains coûts de fonctionnement des structures, notamment l’acquisition du matériel et des produits d’hygiène. Si ces pratiques permettent d’assurer des évacuations des cas urgents et l’hygiène dans les structures de santé – deux services essentiels à la qualité et à la continuité des soins –, elles se posent en faux de la politique de gratuité des soins pour certains patients (enfants de moins de 5 ans) ou services (consultations prénatales [CPN], planification familiale…).
Une nomination honorifique pour contourner les règles sociales et la chefferie. La maternité d’un hôpital de district voyait ses performances réduites du fait de problèmes liés à sa responsable. Dans un contexte où les sanctions sont difficiles à faire appliquer en général, écarter cette personne était impossible car elle était de la famille du chef de canton, elle était intouchable. Pour contourner le problème, le directeur de l’hôpital a décidé de la nommer infirmière major de l’hôpital. Cette fonction honorifique aux contours flous présentée comme une promotion, et donc ne pouvant être refusée par la sage-femme tout comme le chef de canton, a permis d’écarter celle-ci et a conduit à la reprise en main de la maternité. Le message envoyé est bien évidemment problématique : une personne incompétente n’est pas sanctionnée mais promue. Mais cette solution permet une prise en charge de meilleure qualité des parturientes du district sanitaire.
Les innovations mélioratives, quant à elles, sont des solutions inédites porteuses de changement qui contribuent, globalement, à l’amélioration du service délivré en apportant une réponse à un dysfonctionnement dont elle traite la cause, ou en solutionnant des contraintes auxquelles le dispositif de soins fait face sans conséquence négative pour les patients.
Un exemple type d’innovation méliorative
Les systèmes de référence et de contre-référence sont habituellement organisés autour de la transmission de fiches en papier, souvent indisponibles et remplacées par des feuilles volantes, arrachées de cahiers d’écoliers et acheminées par les ambulanciers au moment de l’évacuation des patients. Elles doivent être récupérées et complétées selon la suite des soins à prodiguer au patient, puis rangées dans des casiers dédiés pour les ramener aux structures de première ligne. Ces fiches de contre-référence ne sont pas systématiquement complétées par les soignants des structures hospitalières, et sont souvent oubliées ou perdues par les ambulanciers, ce qui met en péril la continuité de soins et la formation du personnel dans les structures de santé périphériques par les soignants du niveau de référence.
Pour pallier ces problèmes, un centre de santé mère-enfant (CSME), c’est-à-dire une structure hospitalière régionale spécialisée, a mis en place un groupe WhatsApp de référence/contre-référence pour les femmes enceintes. Les gynécologues du CSME font des retours sur les cas transférés aux membres du groupe qui réunissait initialement les maternités de la ville dans laquelle le CSME est implanté avant que le groupe ne soit étendu à tous les hôpitaux de district de la région. Les contre-références déployées dans ce système sont anonymes (patient et structure émettrice), articulent les fiches de référence papier photographiées et surtout les analyses des gynécologues qui ont pris en charge la patiente. Elles présentent leur analyse, les insuffisances constatées, les améliorations à mettre en place et le rappel des conduites à tenir pour la suite. Le caractère quasi instantané de ces retours (qui sont faits la plupart du temps dans la journée qui suit la prise en charge) opérationnalise la contre-référence en la départissant des contraintes matérielles de la transmission (papier, acheminement par véhicule) et assure la diffusion des recommandations à tous les praticiens de la région qui pourraient se trouver face à de telles situations. Enfin, elle permet une émulation positive entre les structures de première ligne et réaffirme la fonction des CSME comme pôles d’encadrement de formation continue.
Les innovations palliatives et mélioratives sont des idéaux-types, il existe finalement assez peu de forme pure de chacun… Développer une innovation méliorative conduit souvent à remettre en cause une organisation établie (principe de l’innovation), à une prise de risque (pour les agents, la structure ou les patients) et à la définition de nouveaux équilibres, qui doivent être négociés entre les parties prenantes de la délivrance des soins pour maximiser les résultats et réduire les risques.
Néanmoins, tenant compte de la difficulté à classer les innovations et la nécessité de considérer les effets négatifs induits, le constat suivant peut être fait : les innovations palliatives se retrouvent plutôt dans les structures de première ligne, tandis que les innovations mélioratives sont plutôt concentrées dans les structures de référence et au niveau des équipes d’encadrement. Ce constat s’explique, en partie, par les plus grandes latitudes financières en matière de ressources humaines et organisationnelles des hôpitaux et des équipes d’encadrement. Ce constat invite à trouver des solutions systémiques pour libérer le potentiel d’innovation méliorative qui existe, mais qui n’est pas mobilisé dans les structures périphériques, notamment en rendant effectifs des moyens et des marges de manœuvre à ce niveau.
De ce constat en découle un second : les innovations, notamment palliatives, se concentrent sur des fonctions ou piliers « soft », largement immatériels, du système de santé.
Des innovations qui apportent des solutions
Les innovations « par le bas » documentées apportent essentiellement des réponses à des problèmes de gouvernance (22 %), de ressources humaines de santé (22 %) et de prestations de services (30 %). Les innovations identifiées qui répondent aux défis d’amélioration de l’information sanitaire, du financement et de la disponibilité des médicaments et technologies sont plus rares.
Néanmoins, il convient d’aller au-delà de cette lecture quantitative. Les innovations déployées pour répondre aux faiblesses des systèmes d’information sanitaire, ou au manque de disponibilité des produits pharmaceutiques, si elles sont peu nombreuses et isolées, n’en constituent pas moins des innovations clés ou de rupture.
Trois exemples d’innovations isolées ayant des effets importants sur l’information sanitaire, la disponibilité des produits, et les services de biologie et d’imagerie biomédicale dans les structures périphériques
Contribution des systèmes de centimes additionnels à l’approvisionnement au dernier kilomètre. En plus d’apporter des réponses aux problèmes logistiques d’évacuation sanitaire (carburant, vidange, entretien courant et d’usure des ambulances), le centime additionnel conduit à des liaisons régulières entre hôpitaux de district et CSI. Ces occasions sont saisies par les équipes cadres de district et les structures de santé pour acheminer les commandes de médicaments jusqu’au dernier kilomètre, favorisant un approvisionnement régulier, une plus grande rotation des stocks et une réduction des ruptures en périphérie, tout en réduisant les coûts d’acheminement, traditionnellement à la charge des CSI.
Systèmes locaux pour améliorer le remplissage des registres de base de l’information sanitaire. Dans les structures de première ligne comme dans un grand nombre de services hospitaliers, la complétude et la promptitude des rapports d’activité et la remontée des informations sanitaires font défaut. Cette tâche est souvent confiée au major du CSI ou du service, mais le remplissage des supports est négligé par les autres membres de l’équipe, ce qui débouche en fin de mois sur un « bricolage ». Certains réformateurs ont développé une stratégie de responsabilisation du personnel dans la production des données à travers des logiques de dépendance croisée. L’approche conduit le responsable d’une structure à nommer un responsable pour le remplissage d’un registre ou des supports de reporting afférents. Cette délégation de tâches conduit à une responsabilisation du personnel, sa meilleure compréhension des différents supports et l’inscrit dans des logiques de dépendances réciproques. Cette stratégie de mobilisation des soignants dans le remplissage des documents quotidiens est complétée par une implication du personnel de première ligne dans la compilation des données sous forme de statistiques dans les rapports mensuels. Cela renforce la complétude et la promptitude de la remontée des données, même en cas d’absence du major, et permet de développer un regard critique sur le fonctionnement du service.
Stratégie pour améliorer l’entretien du matériel biomédical et d’imagerie. Le laboratoire et la radiologie constituent des services clés de l’offre de soins des structures hospitalières. Ils sont aussi des services qui génèrent des ressources financières essentielles au fonctionnement quotidien des hôpitaux. Malheureusement, les pannes fréquentes limitent l’offre de soins, les recettes de la structure, et détournent une partie des patients vers le privé, ou les obligent à des voyages coûteux pour faire leurs examens. Une solution a été déployée par les réformateurs. Ils ont amélioré les contrats de maintenance passés avec les prestataires privés en charge de l’entretien et de la réparation des appareils d’analyse biologique et de radiographie. Ils ont introduit des conditions contractuelles particulières qui incluent la formation des techniciens de ces services à l’entretien préventif et curatif de leurs équipements. Cette stratégie, là où elle a été déployée, conduit à réduire drastiquement les taux de panne et a permis de dégager des marges financières importantes dans les services de laboratoire et de radiologie. Cette continuité de l’offre a attiré des patients du privé. Les moyens mobilisés ont permis l’achat de réactifs et de nouveaux appareils.
Les innovations analysées visent en priorité à améliorer la qualité et la sécurité des soins (36 %) et la réactivité des services (26 %). Elles contribuent de manière secondaire à l’amélioration de la couverture sanitaire, permettant de systématiser certaines innovations, et à la pérennité des services.
Le travail de recensement et de recension des innovations – mené avec des moyens limités – a permis de montrer qu’un nombre important de pratiques réformatrices existent au cœur du système de santé. Ces innovations apportent des réponses partielles mais essentielles à des problèmes négligés des systèmes de santé. Elles contribuent localement, de manière déterminante, à l’amélioration de la qualité des soins. Leur documentation et leur traitement sous forme de base de données ont permis de commencer à les caractériser à travers des typologies et des analyses de convergence. L’analyse de leur trajectoire conduit à souligner que ces innovations sont rarement reconnues par les pairs et la hiérarchie. Cette reconnaissance constitue un enjeu clé qui invite à s’intéresser aux porteurs et à leurs innovations.
Les réformes « par le bas » : un système humain, trop humain
L’impossible définition d’un profil type de réformateur
Les innovations locales recensées ont été élaborées et mises en œuvre, souvent de manière itérative, par une soixantaine de réformateurs, essentiellement dans des structures de première ligne, mais aussi au niveau de structures de deuxième référence. L’analyse des trajectoires personnelles et professionnelles de ces réformateurs a été initiée et doit encore être complétée par des récits de vie. Les informations disponibles illustrent la grande diversité de leurs profils : ils sont en effet très différents dans leurs fonctions (filles de salle, membres de Comité de Gestion (COGES), infirmiers, médecins généralistes, spécialistes, administrateurs…) comme dans leurs trajectoires (formation de base complétée ou non par des études complémentaires, parfois à l’étranger). Il s’avère impossible de définir un profil type.
Il faut ici noter que nous nous sommes essentiellement concentrés sur le personnel de santé, laissant de côté certaines innovations et certains réformateurs identifiés dans d’autres domaines : agents de santé communautaires, COGES et mairies.
Il est néanmoins important de souligner que la plupart des réformateurs au sein du système de santé ont été influencés au cours de leur trajectoire professionnelle par d’autres réformateurs ou ont été poussés par des circonstances particulières à sortir du fonctionnement routinier du système de santé. Ce constat conforte l’idée d’un fonctionnement spontané en réseaux des réformateurs et de dynamiques incrémentielles des innovations.
Défaut de reconnaissance et isolement
Néanmoins, si le réseau et les logiques d’interconnaissance sont essentiels à la maturation des réformateurs, ils sont bien souvent circonstanciels, présents et cruciaux à un moment de leur trajectoire personnelle mais rarement présents sur le temps long. Ainsi au quotidien, les réformateurs sont quasiment tous confrontés à des problèmes identiques et leur exercice est essentiellement solitaire, caractérisé par une absence de soutien et un défaut de reconnaissance par leur hiérarchie. Tous mettent en avant la précarité de leur statut et la fragilité, de ce fait, des innovations qu’ils déploient.
Mettre en réseau les réformateurs
Ces deux contraintes ont conduit, d’une part, à chercher à inscrire les réformateurs dans des réseaux d’interconnaissance du type « communauté de pratiques » et, d’autre part, à sensibiliser la hiérarchie de l’équipe cadre de district jusqu’au ministère à l’importance des innovations locales. Les défis derrière ces enjeux sont multiples. Il s’agit notamment de contribuer à : 1) sortir les réformateurs de leur isolement ; 2) faire reconnaître leur travail par leurs pairs et leur hiérarchie ; 3) faire émerger une communauté de pratiques de réformateurs ; 4) favoriser la circulation des innovations ; 5) faire émerger de nouvelles idées, les tester sur le terrain et les diffuser ; et 6) faire reconnaître ces dynamiques en leur faisant atteindre une masse critique.
Pour ce faire, différentes approches ont été déployées de concert avec les réformateurs. En s’appuyant sur le recensement des réformateurs et de leurs innovations, la documentation des innovations et leur intégration dans une base de données ont été organisées :
– Une école professionnelle du LASDEL à destination du personnel de santé a non seulement permis de repérer certains réformateurs, mais a aussi été un lieu de rencontres et d’échanges. Les trois sessions ont généré un climat de dialogue, de confiance et de travail entre les chercheurs et les réformateurs, elles ont permis la prise en compte des contraintes et des pratiques réelles dans les formations sanitaires, et une familiarisation avec les savoirs produits par le LASDEL. Les participants ont été initiés à la recherche qualitative. Ils ont pu partager les innovations qu’ils déploient.
– La mise en place de groupes WhatsApp a permis d’engager des échanges directs au sein de la communauté des réformateurs qui ont partagé leurs idées sous la forme de visuels (vidéos, photographies…), communiqué sur leurs innovations, débattu sur certaines innovations problématiques, et mis à jour les activités de la recherche opérationnelle…
– Des voyages d’études ont été organisés afin de permettre aux uns de découvrir les innovations des autres et de comprendre comment les contraintes ont été surmontées, d’engager une discussion directe avec les parties prenantes, et d’apprécier l’intérêt éventuel et les modalités d’adaptation potentielle des innovations observées dans leurs structures d’origine.
Cette mise en réseau a permis d’identifier de nouveaux réformateurs, mais aussi de faire voyager des solutions locales entre les sites et les réformateurs. Ce faisant, les innovations ont été confrontées à de nouveaux contextes, se sont inscrites dans de nouvelles dynamiques sociales et techniques locales, et ont dû s’adapter et évoluer.
Deux exemples d’innovations adaptées à de nouvelles structures suite à un voyage d’études
Le système d’alerte précoce pédiatrique (SAPP) est un outil de suivi de l’état des patients via un système de score établi à partir des constantes. Le calcul et l’évolution du score permettent de décider à quel moment faire évoluer les prescriptions de prise en charge et recourir à l’avis d’un médecin. Déployé par Médecins sans frontières (MSF) pour les programmes pédiatriques, cet outil a séduit les réformateurs du Centre Hospitalier Régional de Tahoua lors d’un voyage d’études. Ils l’ont mis en œuvre dans leur service pédiatrique mais aussi dans leur service « santé femme ». Les premiers résultats enregistrés sont très intéressants. Dans un contexte de pénurie de médecins, ce système a permis de les mobiliser sur les cas les plus critiques et de mieux gérer le recours à leur avis par les infirmiers.
Évolution et extension du système de groupe WhatsApp pour la référence et la contre-référence. Développé par les réformateurs de la région de Maradi, le système de référence/contre-référence dématérialisé grâce à un groupe WhatsApp (voir encadré ci-dessus) a été saisi par des réformateurs des hôpitaux de Tahoua qui en ont un système conjoint aux deux structures de référence, pour la prise en charge des grossesses dystociques, mais aussi des cas d’urgence pédiatrique.
Une communauté de pratiques s’est donc constituée qui contribue à sortir les réformateurs de leur isolement, à faire reconnaître par leur hiérarchie leur contribution à l’amélioration du fonctionnement du système de santé, et à favoriser la diffusion des innovations « par le bas » par une adaptation pragmatique à des contextes nouveaux.
Faire émerger des propositions d’innovations grâce à l’intelligence collective
Au-delà d’une nécessité opérationnelle, la mise en réseau des réformateurs constitue une occasion intéressante de mobiliser l’intelligence collective de ces acteurs et leur connaissance du terrain pour explorer de nouvelles pistes de travail et de réformes, notamment pour des enjeux non couverts par les innovations documentées et qui constituent pourtant des nœuds critiques pour améliorer la délivrance des services de santé ou libérer des énergies du système. C’est ce potentiel que nous avons cherché à explorer à travers un « atelier d’experts contextuels ».
Un point de méthode (2) : des nœuds critiques du système de santé soumis aux réformateurs de terrain – l’atelier d’experts contextuels
Il existe de nombreux nœuds critiques (goulots d’étranglement et problèmes récurrents) auxquels le système de santé nigérien et ses partenaires n’ont jamais trouvé de solution. Nous avons décidé d’en soumettre certains aux réformateurs de terrain, en tant qu’« experts contextuels ».
Un atelier regroupant une vingtaine de réformateurs a été organisé en leur proposant de discuter de trois nœuds critiques : le non-remplissage des partogrammes durant l’accouchement, la non-faisabilité des consultations prénatales recentrées (CPN-R), et l’inefficacité des supervisions.
Un diagnostic des causes de ces problèmes a été conduit de manière collégiale par les réformateurs avant que ces derniers ne proposent des modifications ou aménagements de ces activités, afin de les rendre compatibles avec les formations sanitaires au Niger.
L’atelier d’experts contextuels a confirmé la pertinence de regrouper des réformateurs autour de sujets complexes et de s’appuyer sur leurs expériences individuelles et l’intelligence collective pour faire émerger des solutions pragmatiques, souvent très différentes des réformes top-down qui sont proposées par les experts internationaux et les cadres du ministère de la Santé.
Si la démarche apparaît prometteuse, un travail approfondi de discussion, de diffusion et d’accompagnement des solutions identifiées dans le cadre de ces ateliers doit être engagé pour assurer leur mise en œuvre effective par les partenaires techniques et financiers, les cadres du ministère et les responsables locaux.
Analyse des systèmes locaux : typologie des formes et des modèles d’innovation
Documenter les réformes « par le bas », accompagner les réformateurs, organiser ces données en croisant les entrées qualitatives et quantitatives permet d’esquisser une typologie des dynamiques sous-jacentes de réformes locales des systèmes de santé.
Si la base de données permet de calculer des moyennes, des écarts-types et des degrés de dispersion d’innovation par structure ou par réformateur, cet exercice reste largement artificiel car il tend à masquer la diversité des structures, des situations et des dynamiques. Il nous semble pour le moment plus pertinent de nous intéresser à celles-ci et aux typologies qui peuvent en être tirées et qui contribuent à expliquer les dynamiques et les processus de réformes « par le bas » à l’œuvre dans les systèmes de santé que nous avons étudiés.
Des innovations isolées ?
Un premier constat est qu’il existe des innovations isolées. Celles-ci, mis à part leur isolement, sont assez similaires aux autres réformes documentées. Ces innovations isolées ne représentent qu’une faible partie des innovations que nous avons étudiées. Nous sommes tentés, sur une base empirique, de considérer qu’une des caractéristiques d’un réformateur « par le bas » est sa volonté et sa capacité d’engager plusieurs innovations qui se font écho.
Ce constat s’appuie sur le fait que la plupart des réformateurs déploient au sein d’une structure des innovations multiples qui sont souvent imbriquées et complémentaires, sans forcément dépendre les unes des autres. C’est l’articulation et le processus d’articulation de ces réformes qui permettent de caractériser la dynamique d’innovation ou de réforme « par le bas ».
Des innovations imbriquées et en grappe
La plupart des réformateurs déploient plusieurs innovations, articulant souvent innovations palliatives et mélioratives. Pertinentes individuellement, solutionnant chacune tout ou partie d’un problème, les effets de ces innovations multiples, imbriquées ou en grappe, se potentialisent sans pour autant faire système. Ce fonctionnement en grappe contribue à une amélioration effective et importante de la qualité des soins délivrés au niveau d’un service ou d’une structure.
Ces innovations imbriquées reposent souvent sur un responsable, potentiellement relayé par un autre cadre, qui entraîne tout ou partie de ses équipes dans le processus de réforme. Mais elles font rarement système et ont tendance à péricliter en cas de départ du réformateur.
Cas d’un service de pédiatrie réformateur
Dans un service de pédiatrie, le médecin et le major ont mis en œuvre, avec leur équipe, plus d’une quinzaine d’innovations pertinentes, essentiellement organisées autour d’enjeux techniques : organisation du staff ; mise en place de groupes WhatsApp pour assurer un recours au savoir collectif en cas de problèmes lors d’une garde ; indemnisation du personnel « volontaire » (mais essentiel au fonctionnement des structures et des services, notamment les stagiaires, les bénévoles) par la mise en place d’une caisse alimentée par une partie des per diem perçus par le personnel statutaire en cas de formations, de missions, ou autres ; mise en place d’une crèche pour éviter que les enfants des infirmiers ne soient présents dans les salles… Mises en réseau, ces innovations offrent des performances remarquables au regard des maigres moyens disponibles dans cette structure.
Cas d’un CSI urbain
Une approche similaire, à plus petite échelle, est également à l’œuvre dans un CSI urbain où ont été développées une réduction des paiements informels exigés des patients ; une amélioration de la CPN à travers une nouvelle organisation des phases de sensibilisation en groupes et de conseils individuels ; une cotisation du personnel pour investir dans l’achat de réactifs pour le laboratoire de manière à ce que le laborantin puisse proposer d’autres examens comme la Tuberculose et le VIH qui font l’objet d’appui des PTF, en vue notamment de rendre effectif le paquet d’analyses et d’examens attendus en CPN dans une structure de santé.
Des « réseaux d’innovations » organisés autour d’un réformateur senior ou d’une structure réformatrice
Un deuxième modèle s’organise autour de réformateurs en charge d’une structure ou d’un service et qui, du fait de leurs fonctions, peuvent imposer au personnel des solutions innovantes. Inscrits dans le temps long et développant souvent des modes de management inclusifs, ces réformateurs sont des « anciens » qui servent de référents aux employés plus jeunes qu’ils ont formés au début ou au cours de leur carrière, et qui reproduisent certaines de ces réformes dans les structures où ils sont affectés. Ce faisant, les réformateurs « seniors » constituent le centre d’un réseau où sont diffusées et adaptées les innovations.
Une innovation largement diffusée par les employés ayant exercé dans une maternité pilotée par une réformatrice senior est la constitution systématique d’un kit d’urgence répondant aux besoins immédiats d’une parturiente, dont l’entourage devra renouveler les produits s’ils ont été utilisés.
Dynamique d’innovation « réactive »
Ce troisième modèle renvoie à des systèmes d’innovation qui concernent différentes structures de soins ou services. Le point de départ est souvent une innovation imposée par une structure de référence ou par la hiérarchie, qui conduit à des réactions adaptatives des structures périphériques qui peuvent prendre la forme de nouvelles innovations.
Un exemple d’innovation réactive
C’est le cas du groupe WhatsApp déployé au niveau du Centre de Santé Mère Enfant de Maradi (voir ci-dessus). Les responsables de cette structure ont essentiellement communiqué sur les faiblesses des pratiques des structures périphériques. Cette innovation a donc été perçue comme une critique et un mode de surveillance des sages-femmes en charge des accouchements dans les maternités périphériques. Celles qui vivent en milieu urbain et qui étaient organisées en foyendi (groupe de sociabilité féminine, ici sur une base professionnelle) ont décidé d’organiser un système d’autoformation. Les sages-femmes les plus anciennes ont proposé aux plus jeunes des thèmes en fonction des besoins de formations qu’elles ont identifiés. Les jeunes sages-femmes et infirmières des maternités ont préparé des exposés qu’elles ont présentés aux seniors lors de réunions. Celles-ci ont fait des retours et les formations ont été amendées et complétées. Les cours ont ensuite été photocopiés et distribués dans toutes les maternités de la ville, ce qui a constitué un mode d’autoformation local, non dépendant des per diem et des acteurs extérieurs.
Des systèmes locaux orientés vers l’innovation
Enfin, bien que plus rares, nous avons pu identifier des structures dont le management est orienté vers l’innovation, voire dans lesquelles l’innovation est une méthode de management. Hôpital ou service hospitalier, ces structures orientent leur organisation interne vers l’identification, le test, la validation de réformes locales « par le bas » pour proposer des alternatives au discours dominant sur la pénurie des moyens. Cette approche est organisée autour d’un projet d’équipe qui propose des solutions locales, lesquelles, une fois validées, sont mises en commun et reproduites dans d’autres services. Ces logiques prennent place dans un contexte d’amélioration continue des services mais aussi d’émulation entre les équipes, avec des concours d’innovations, des classements et des prix annuels en fonction des performances.
Cas d’un centre hospitalier régional (CHR) dont le management est orienté sur l’innovation
Certaines innovations présentées précédemment sont issues d’un hôpital régional qui, à la différence des autres structures visitées, ne déploie pas seulement des innovations pour résoudre les problèmes du quotidien, mais a fait de la réforme et de l’innovation un mode de management. Cette stratégie est une survivance d’un projet d’assurance qualité déployé par La coopération américaine au début des années 2000 dans la région. Le directeur du CHR s’est approprié l’approche de travail en « collectifs d’assurance qualité » et l’applique de manière systématique dans son quotidien pour améliorer l’organisation de ses équipes et des soins dans sa structure.
Ces collectifs ont permis de déployer un grand nombre d’innovations. La recherche a pu en documenter une vingtaine, par exemple : l’amélioration du fonctionnement du laboratoire et de la radiologie par des contrats d’entretien incluant des clauses de formation du personnel utilisateur à la maintenance préventive et curative ; une nouvelle méthode de suivi des patients en service de santé mentale qui permet un accompagnement amélioré et qui a servi de base pour la réforme du dossier patient au niveau national ; une adaptation des outils du CMAM Surge (Gestion Communautaire des Urgences de la Malnutrition Aigue Urgence Nutritionnelles - voir ci-dessous) et leur extension au paludisme ; la mise en place d’un système d’« engagement » auprès du surveillant militaire du CHR qui permet le préfinancement des coûts des soins des patients admis aux urgences et qui évite à l’entourage de devoir vendre leurs biens à vil prix…
Ces innovations s’alimentent les unes les autres, elles font système et prennent place dans un système qui teste et valide des innovations avant de les proposer à d’autres services. Ces innovations mises au service de la qualité des soins et de la performance des services font l’objet d’une évaluation externe et d’une journée annuelle du personnel du CHR où des prix sont remis au personnel et aux services du CHR les plus performants.
L’apport inattendu et central des réformateurs locaux aux réussites de modèles de la « santé globale »
La documentation des innovations déployées par les réformateurs a conduit à une observation inattendue : le rôle, parfois central, qu’ils occupent dans l’adaptation, la diffusion et les succès de « modèles voyageurs » issus de la santé globale.
Deux cas évoqués plus hauts attestent de l’adoption et de l’adaptation par les réformateurs de protocoles initiés de l’extérieur par des ONG médicales. Il s’agit, d’une part, du système d’alerte précoce pédiatrique de MSF, adopté spontanément dans un service pour adultes, et, d’autre part, de Surge Nutrition, un dispositif de diagnostic précoce des pics d’activité dans les services de nutrition et de pédiatrie. Celui-ci a été mis en œuvre avec succès dans les structures pilotées par un réformateur ou encadrées par une équipe cadre de district réformatrice, et a été un échec en l’absence de réformateurs locaux, étant alors utilisé de manière mécanique et très partielle (Caremel & Issoufou, 2021).
Ce rôle des réformateurs dans l’adoption d’un modèle importé passe par une stratégie d’adaptation créatrice. Ce constat issu des observations de terrain souligne le lien entre, d’une part, le rôle central des réformateurs dans la mise au point de solutions endogènes adaptées aux contextes locaux et, d’autre part, le rôle positif qu’ils peuvent jouer dans l’adaptation réussie de certains modèles issus de la santé globale. Est ainsi confortée l’idée que l’approche de réforme « par le bas », par des innovations locales déployées par des acteurs de première ligne, n’est pas seulement une solution alternative ou complémentaire aux approches de la santé globale mais elle se situe aussi en plein cœur de celles-ci.
Conclusion : Voies et conditions de l’institutionnalisation « par le haut » des réformes « par le bas »
L’enjeu est alors de savoir s’il faut, et comment, institutionnaliser « par le haut » les réformes « par le bas ». Cette ambition apparaît de prime abord comme contradictoire tant les dynamiques documentées sont locales et ancrées dans des microréalités contextuelles, et semblent s’opposer aux logiques d’institutionnalisation traditionnelles essentiellement surplombantes et descendantes.
La voie identifiée pour dépasser cette apparente contradiction au Niger a été, avec l’appui de réformateurs nommés à des postes de direction au niveau du ministère, d’intégrer cette approche dans le Plan de développement sanitaire et social (PDSS) 2023-2027 et d’en faire une réforme structurante. Celui-ci mentionne « la relance des processus de collaboratifs d’assurance qualité et de promotion des réformes “par le bas” et des bonnes pratiques » comme une des réformes clés de la période à venir.
Pour ce faire, la démarche engagée aujourd’hui intègre les innovations « par le bas » dans les processus de validation des « bonnes pratiques » déjà appuyés par l’OMS et la Banque mondiale. Cela permet de continuer d’identifier et de faire remonter des réformes locales et de les présenter au cours des revues annuelles de performances du ministère de la Santé. Dans le cadre des missions préparatoires d’appui de ces exercices au niveau régional, les réformateurs identifiés sont invités à présenter les réformes qu’ils déploient et les directions régionales de la santé à plus documenter ces approches et leurs résultats. L’objectif est de disposer de bases factuelles pouvant confirmer l’intérêt de ces solutions présentées par leur porteur devant les plus hauts cadres du ministère et des partenaires techniques et financiers dans le cadre des comités techniques nationaux de santé semestriels. Les réformes « par le bas » considérées comme pertinentes sont transcrites dans les recommandations clés et font l’objet d’un passage à l’échelle et d’un suivi accompagné par le ministère et ses partenaires.
Effet induit, la démarche conduit à une reconnaissance des réformateurs par les autorités centrales comme par le personnel encadrant et ouvre de nouvelles perspectives d’articulation de réformes du système de santé, tout comme de partenariats entre acteurs opérationnels et de la recherche.
Notes
[1] Intitulé d’un programme de recherche conduit par le LASDEL sur financement du Centre de recherches pour le développement international (CRDI).
[2] Nous proposons une définition non économique et marchande de l’innovation pour ce texte, basée sur une variation de celle proposée par Olivier de Sardan (1995) comme une greffe inédite porteuse de changement opéré dans un dispositif sanitaire local par l’un de ses acteurs ou par une partie prenante.
[3] Cette recherche-action, animée par J.-F. Caremel et M. S. Souley Issoufou, constituait la seconde phase d’un programme de recherche du LASDEL sur la santé maternelle au Bénin et au Niger, financé par le CRDI (Canada) et coordonné par A. Elhadji Dagobi. Elle a été conduite sur un reliquat de fonds qui a permis le financement de 0,5 équivalent temps plein de chercheur sur un an, d’un ET de postdoctorant et d’assistant de recherche, pour conduire cette recherche sur le Niger et le Bénin, sur une période de dix-huit mois, durée prolongée du fait de la pandémie de Covid-19.
[4] Gestion des urgences de prise en charge communautaire de la malnutrition aiguë.
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Pour citer l'article :
Caramel, J.-F. & Issoufou, M. S. (2024). Réformer les systèmes de santé « par le bas ». Pistes de travail pour des « modèles voyageurs » locaux. Global Africa, (6), pp. 101-116. https://doi.org/10.57832/kb6w-c664
Caramel, J.-F. & Issoufou, M. S. "Réformer les systèmes de santé « par le bas ». Pistes de travail pour des « modèles voyageurs » locaux". Global Africa, no. 6, 2024, p. 101-116. doi.org/10.57832/kb6w-c664
https://doi.org/10.57832/kb6w-c664
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