top of page
Editorial
Le courage de continuer !
Firmin Mbala
Spécialiste des droits humains et du développement international
Cheikh Sadibou Sakho
Anthropologue et sociologue, Université Gaston Berger, Sénégal
Membre du comité de rédaction de Global Africa
///
Plan de l'article
///
Ce numéro de Global Africa paraît dans un contexte géopolitique et international des plus préoccupants. Alors qu’elle faisait jusque-là l’objet d’un relatif consensus, la lutte contre les violences basées sur le genre (VBG) est gravement menacée par le maelström global qui ébranle le monde dit du développement, cible d’une vendetta sans précédent. Les avancées laborieusement acquises au fil des décennies sont désormais fragilisées par des forces multiples et convergentes, tant à l’échelle internationale que continentale.
Il ne faut pas s’y méprendre : la baisse tendancielle et annoncée de l’aide internationale a beau se parer de rationalité économique et financière, elle est d’abord, et surtout, idéologique. Le moindre paradoxe n’est pas le narratif qui accompagne cette réduction drastique, voire brutale, du moins pour sa dimension américaine. Alors que les donateurs prétendent se concentrer désormais sur les activités life-saving – censées sauver des vies –, ils délaissent des périls aussi graves que les mutilations génitales féminines (MGF), les mariages d’enfants, les violences sexuelles et leurs conséquences dramatiques et durables. Ces violences, pourtant mortifères, sont reléguées au second plan, comme si elles ne méritaient plus l’attention et les ressources nécessaires pour les combattre.
L’autre violente charge idéologique est continentale, soit l’influence grandissante en Afrique de néo-souverainismes nostalgiques de valeurs et savoirs endogènes prétendument dédaignés, si ce n’est délibérément détruits par le colonialisme. On aurait tort de n’y voir qu’un populisme essentiellement numérique, opportunément endossé par des prétoriens de retour et quelques politiciens habiles. Ces politiques de la nostalgie s’enracinent dans des réalités politiques et sociales complexes, comme l’actualité ouest-africaine récente en fait la démonstration contrastée. En Gambie, une tentative avortée de re-légalisation de l’excision a montré à quel point ces pratiques traditionnelles, pourtant néfastes, peuvent être défendues au nom de la préservation de l’identité culturelle. En Sierra Leone, la criminalisation enfin effective des MGF, après des décennies de luttes, a été un pas en avant, mais reste fragile face à l’intensité des résistances sociales et des pressions politiques. Songeons aussi que, sans alternative viable pour l’instant, les écolières nigériennes sont depuis peu privées d’éducation à la sexualité sous prétexte de dévoiement des valeurs religieuses. Ces exemples montrent que nous ne sommes pas simplement en présence de phénomènes viraux ou de débats abstraits, mais bien d’une réelle menace pour les droits des femmes et des filles.
Résister : l’urgence de consigner[1] et de poursuivre
C’est bien là la plus grave menace des assauts en cours : entériner non pas un statu quo, mais un recul alarmant qui détricoterait des années de travail acharné et patient entrepris par des travailleurs sociaux et des organisations avec et au sein même des communautés africaines pour éradiquer les VBG, souvent durablement ancrées ou exacerbées par des changements sociaux rapides.
Or, bien que l’Afrique conserve de tristes records mondiaux en matière de VBG – qu’il s’agisse des MGF, des mariages d’enfants ou de violences liées aux conflits –, il est indéniable que des progrès significatifs ont été réalisés. Ces avancées sont le fruit de l’éducation, de la sensibilisation et du plaidoyer en faveur des droits des femmes. Pour être laborieuses et parfois concurrentes, les innombrables interactions de terrain n’ont pas moins généré une masse appréciable de connaissances, des pratiques stabilisées et repérables qu’il faut se donner la peine d’éclairer.
C’est à cet indispensable travail de documentation et d’évaluation des savoirs de terrains que plusieurs articles de ce varia ont choisi de se consacrer. Ces savoirs, issus d’interactions entre les acteurs locaux et des intervenants extérieurs, sont le produit baroque de processus d’hybridation et de réappropriation où, bon an mal an, des solutions pragmatiques et adaptées aux réalités locales émergent des dynamiques quotidiennes des communautés.
Ce faisant, la présente somme fait aussi œuvre de résistance. Sevrée de ressources matérielles et attaquée en légitimité, la lutte contre les VBG entre en effet dans un cycle incertain de backlash contre lequel nous avait mis déjà en garde une Susan Faludi en visionnaire lucide[2]. Empêcher ce recul consiste d’abord ici à consigner, à documenter et à valoriser les luttes et les savoirs. Aussi, les textes rassemblés ici ont-ils en commun de poursuivre l’œuvre engagée en montrant comment l’espace littéraire ou l’espace juridictionnel peuvent se constituer en arènes et ressorts de déconstruction d’un ordre social et politique étroitement masculin.
Dans ce contexte critique, le courage de continuer est plus que jamais nécessaire. Certains pourraient y voir une forme d’appel à l’espoir. Sans angélisme toutefois, car plusieurs contributions à ce varia montrent bien que, malgré les obstacles, des solutions minimales existent, qu’elles émergent de « bricolages sociaux » ou qu’elles soient portées par des acteurs déterminés. La production locale de connaissances, loin d’accoucher des recettes miracles, apparaît à la fois comme un levier de lutte contre les VBG et de transformation sociale. Accorder toute leur importance à ces démarches en les documentant et en les diffusant, c’est en fin de compte faire écho au conseil avisé de Winston Churchill, témoin résilient et privilégié, s’il en est, de bouleversements antérieurs de la scène internationale. En la matière, il faut garder à l’esprit qu’il n’y a ni succès final, ni échec fatal, « seul compte le courage de continuer » !
Ce courage de continuer, on en fait sacerdoce à Global Africa ! Dans notre marche vers l’excellence de l’édition scientifique en Afrique, nous venons de franchir un pas nouveau, celui de l’indexation dans Scopus après AJOL et DOAJ. C’est une belle consécration, la reconnaissance d’une œuvre collective. Ensuite, dans le prolongement de notre engagement en faveur de la promotion des jeunes chercheur·e·s, nous lançons une nouvelle rubrique dédiée aux jeunes talents de la recherche en sciences humaines et sociales. Cette initiative s’inscrit dans la continuité des actions menées par les Écoles Jeunes Chercheur·e·s pour renforcer les capacités en écriture et en édition scientifiques, tout en offrant un cadre propice à la diffusion de leurs travaux. Nous continuons enfin à offrir une visibilité accrue aux langues africaines avec des résumés en wolof, lamnso et mooré.
Nous vous souhaitons une belle lecture !
Pour citer l'article :
APA
Mbala, F., & Sakho, C. S. (2025). Le courage de continuer !. Global Africa, (9), pp. 6-7. https://doi.org/10.57832/vde7-m929
MLA
Mbala, Firmin & Sakho Cheikh Sadibou. « Le courage de continuer ! ». Global Africa, no. 9, 2025, pp. 6-7. doi.org/10.57832/vde7-m929
DOI
ttps://doi.org/10.57832/vde7-m929
© 2025 by author(s). This work is openly licensed via CC BY-NC 4.0
bottom of page