G-RPL8H870J8
top of page

Disponible en :

France.png
usa.png
arabe.png
Kenya.jpg

Analyses critiques

Diamniadio smart city : entre concept et réalité

Cheikh Cissé

Urbaniste-géographe, consultant et chargé d’enseignement à l’École supérieure des professions immobilières (Espi), Paris, France

c.cisse@groupe-espi.fr

numéro :

Varia

Miscellaneous

Vinginevyo

متفرقات

GAJ numéro 02 première.jpg.jpg

Publié le :

20 septembre 2025

ISSN : 

3020-0458

11.2025

Le concept de « ville intelligente » est largement promu à l'échelle mondiale comme une marque de modernité et d'innovation, en particulier en Afrique, grâce à des campagnes de marketing comme celle d'IBM. Cette idée séduit les décideurs africains en quête de développement futuriste, attirant ainsi touristes et investisseurs avec la promesse de solutions technologiques avancées et d'une qualité de vie améliorée. Toutefois, la définition et l'application de ce concept varient considérablement, englobant diverses initiatives utilisant les technologies de l'information et de la communication (TIC) pour optimiser la gestion urbaine, la mobilité, l'efficacité énergétique et la qualité de vie des citoyens. L'article se focalise sur Diamniadio, une nouvelle ville en construction à 30 kilomètres à l’est de Dakar, au Sénégal, qui illustre l'ambition de créer une cité moderne intégrant les dernières technologies pour devenir un modèle de développement urbain durable. La démarche se distingue par une analyse croisée mobilisant à la fois la littérature internationale sur les smart cities dans les pays du Sud global et un matériau empirique original résultant d’entretiens semi-directifs individuels entre 2017 et 2020. L’objectif est non seulement de documenter l’expérience sénégalaise en démontrant les défis, les progrès et les perspectives de cette initiative, mais également d’interroger les conditions de viabilité et d’appropriation locale d’un modèle largement façonné par des logiques globalisées.


Mots-clés

Ville intelligente, technologie, innovation urbaine, développement durable, Diamniadio

Plan de l'article

Introduction


Méthodologie


Définition du concept de « smart city »


Modélisation de « Diamniadio smart city »


Discussion


Conclusion

Introduction

L’expression « ville intelligente » ou « smart city » est désormais un concept largement promu à l’échelle mondiale, et particulièrement en Afrique, par une campagne de marketing orchestrée par l’entreprise américaine IBM. Ce terme, souvent attribué à la modernité et à l’innovation, a séduit de nombreux décideurs africains qui l’ont adopté pour façonner leurs villes. Dès lors, le concept devient presque une panacée pour attirer les touristes et les investisseurs étrangers, souvent avec des promesses de solutions technologiques avancées et d’un cadre de vie amélioré.
L’idée de smart city s’est rapidement imposée dans les discours politiques et économiques, bien que la définition et la mise en œuvre de ce concept varient d’un endroit à un autre. Elle englobe une multitude d’initiatives visant à intégrer des technologies de l’information et de la communication (TIC) pour améliorer la gestion urbaine, la mobilité, l’efficacité énergétique et la qualité de vie des citoyens. Cependant, cette vision souvent idéalisée des smart cities se heurte à une réalité complexe en Afrique où les défis urbains sont nombreux. ll s’agit alors de distinguer la smart city comme horizon politique et discursif, de sa matérialisation opérationnelle. De nombreuses recherches soulignent que, dans les pays du Sud, la transposition de modèles importés doit composer avec des cadres juridiques, des capacités techniques et des cultures de gouvernance très spécifiques (Söderström et al., 2014 ; Odendaal, 2016).
La question n’est donc pas seulement de savoir « comment » intégrer la technologie dans la ville, mais « pour qui », « à quel rythme » et « selon quelles priorités » cette intégration doit se faire. Ainsi, comment peut-on réellement comprendre le concept de smart city, et quelles sont ses implications concrètes sur le terrain ? L’exemple de Diamniadio, une nouvelle ville en construction à 30 kilomètres à l'est de Dakar, au Sénégal, constitue un terrain d’observation privilégié pour traiter cette question. Diamniadio illustre, depuis 2014, une ambition nationale de l’État du Sénégal de créer une cité moderne intégrant les dernières technologies pour devenir un modèle de développement urbain durable. Ce projet, soutenu par des partenariats publics-privés nationaux et internationaux, aspire à transformer une zone autrefois rurale en un pôle urbain de référence.
L’article commence, après avoir expliqué la méthodologie employée, par une revue de la littérature scientifique et historique pour définir précisément ce qu’est une smart city en analysant ses différentes dimensions et ramifications. Ensuite, il étudie comment ce concept se traduit concrètement dans le cadre de la création de la ville nouvelle de Diamniadio, en exposant les défis, les avancées et les perspectives de ce projet.

 

Méthodologie

Une approche méthodologique systématique a été employée, articulant une revue de la littérature et des entretiens pour analyser le projet de smart city à Diamniadio. La recherche bibliographique a été réalisée via des bases de données telles que Google Scholar, Scopus, en utilisant des termes de recherche comme « ville intelligente », « smart city », « transformation numérique urbaine », « Diamniadio »… Les critères de sélection concernaient des publications académiques récentes, des études de cas africaines et internationales, et des articles traitant des infrastructures de base, des défis de réalisation et des impacts socio-économiques des technologies intelligentes. Cette recherche bibliographique a permis d’avoir un ancrage théorique autour des principales dimensions constitutives du concept de smart city et les critiques récurrentes émises à son sujet, notamment dans les contextes du Sud global.
En complément de la revue documentaire, nous avons conduit des entretiens semi-directifs entre 2017 et 2020, dans le cadre de nos recherches doctorales, avec des acteurs clés du projet, notamment des responsables de la Délégation générale des pôles urbains (DGPU). Ces entretiens visaient à recueillir des visions spécifiques sur les défis et les avancées du projet. Les données collectées, croisées avec des documents institutionnels ont été analysées qualitativement à l’aide de la méthode d’analyse de contenu, permettant de confronter les ambitions initiales du projet à l’état réel de sa mise en œuvre. Cette confrontation a également permis d’identifier des points de convergence et de divergence entre le discours officiel, les observations de terrain et les réalités constatées dans d’autres villes intelligentes africaines et internationales.
Enfin, la posture réflexive adoptée au cours de la recherche a conduit à interroger les conditions mêmes de production des données et les biais possibles liés à la temporalité des entretiens, réalisés dans un contexte où le projet Diamniadio connaissait des avancées mais aussi des incertitudes politiques et financières (liées au temps des acteurs institutionnels). Cette prudence interprétative vise à garantir que les résultats trouvés et les conclusions avancées restent contextualisés et évitent toute généralisation.

 

Définition du concept de « smart city »  

La définition de smart city est complexe et varie selon les contextes. Selon Albino et al. (2015), il existe au moins vingt-trois (23) définitions différentes de ce concept. Cette pluralité de perception du concept découle de la multidisciplinarité inhérente à la smart city englobant divers domaines de recherche (Angelidou, 2015).
Initialement, cette notion évoque une ville « connectée », en faisant référence à l’accès au numérique, à la technologie et à l’Internet. Dupuy (1992) évoque même « l’informatisation de la ville » pour décrire ce lien entre la ville et la technologie. Cette relation entre les deux semble évidente, bien qu’elle puisse englober une multitude d’utilisations et de niveaux d’appropriation (Douay & Henriot, 2016). Ainsi, la smart city véhicule un discours normalisé, une sorte « d’imaginaire socio-technique » (Jasanoff & Kim, 2015 ; Datta, 2015) forgée par des entreprises technologiques afin d’attirer des acteurs urbains et de conquérir de nouveaux marchés (Hollands, 2015 ; Sadowski & Bendor, 2019 ; Wiig, 2015), valorisant la connexion numérique, la fluidité des mobilités, l’efficacité énergétique et la compétitivité économique comme critères centraux de modernité. Toutefois, cette projection idéalisée tend à invisibiliser les contraintes récurrentes des villes africaines : déficits d’infrastructures de base, inégalités socio-spatiales, faiblesse de la planification participative (Watson, 2014 ; Robinson & Parnell, 2019). En ce sens, la smart city, en tant que « label » (Vanolo, 2014), renvoie au marketing territorial qui ne garantit pas sa traduction effective en bénéfices tangibles pour les populations locales.
La smart city, en réponse à divers défis démographiques, économiques et environnementaux, est désormais perçue comme un système devant être optimisé pour mieux fonctionner. Pour relever ces défis, les entreprises technologiques se positionnent comme des « points de passage obligés » (Söderström et al., 2014), offrant des solutions technologiques pour relier les systèmes urbains à travers la collecte, l’usage et l’analyse des données. Cette vision repose sur l’hypothèse que l’augmentation de la quantité et de la qualité des données disponibles permet systématiquement  une amélioration de la gouvernance urbaine (Shelton et al., 2015). Or, plusieurs travaux insistent sur le fait que les données ne sont pas neutres : elles sont produites, sélectionnées et interprétées dans des cadres politiques, économiques et culturels spécifiques (Kitchin, 2014). Dans les contextes africains où la capacité de traitement et de mise à jour des données est souvent limitée, le risque est de reproduire des inégalités ou de privilégier des secteurs déjà bien dotés au détriment d’autres, moins connectés mais tout aussi stratégiques pour la vie urbaine.
En outre, la réalité dépasse le cadre de la technologie pour englober plusieurs autres éléments : loisirs, habitat, transports, accès aux services de base comme l’eau, l’électricité et plus récemment l’Internet. Les différentes composantes urbaines sont des éléments d’un ensemble de systèmes qu’il faut considérer pour répondre aux principaux enjeux urbains. L’entreprise IBM est à l’origine de la conception de smart city, articulée autour de la planification, de la gestion des services, des infrastructures et des aspects humains. Ces piliers constituent des systèmes individuels, la ville étant un « système de systèmes » (Söderström et al., 2014). Cette idée d’IBM est ensuite érigée en modèle, diffusée et adoptée par des villes du monde entier, servant d’argument politique, jusqu’à devenir une image de marque (« urban labelling » pour certains [Albino et al., 2015]). Selon IBM, « la ville doit être appréhendée comme le lieu de l’intégration, de la collaboration et de la gestion de systèmes multiples interdépendants… » (Guérin-Jabbour & Bauchot, 2016, p. 6) offrant des techniques de gestion des infrastructures urbaines grâce aux données collectées.
De plus, le paradigme systémique rappelle la pensée urbaine de la « cybernétique » des années 1950-1970, où la ville était envisagée comme un système d’information. Cette vision se concentre sur l’interconnexion des éléments urbains à travers des boucles de rétroaction (Townsend, 2013). Dans cette perspective, Giffinger et al. (2007) identifie six dimensions pour définir la smart city : une économie, une administration, un environnement, une mobilité et des habitants intelligents. En d’autres termes, une ville intelligente harmonise plusieurs sous-systèmes autour des thématiques économique, sociale et environnementale, avec les usages numériques comme outils.

 

Figure 1 : Fonctionnement globalisant de la smart city
Figure réalisée par Cheikh Cissé, 2022, inspirée de Giffinger et al., 2007
Toutefois, dans le cadre des pays du Sud, plusieurs auteurs (Watson, 2014 ; Datta, 2015 ; Odendaal, 2016) évoquent l’importance d’une adaptation contextuelle. Il ne s’agit pas seulement de transposer des technologies « prêtes à l’emploi », mais de penser la smart city comme un processus incrémental et hybride, capable de combiner infrastructures modernes et pratiques informelles. La « smartness » ne se limite pas aux technologies avancées ; elle repose surtout sur la capacité à les adapter aux réalités sociales et culturelles locales, de façon à être réellement utiles aux habitants et à répondre à des besoins urbains concrets comme l’accès à l’eau, la gestion des déchets ou l’organisation du transport artisanal.
Plusieurs États africains, dans une course effrénée à la création de villes nouvelles en périphérie de leurs grandes villes capitales, cherchent à s’inscrire dans une dynamique internationale d’innovation, de technologie, de modernité et de durabilité. L’économie numérique est au cœur de leurs stratégies avec un accent sur les villes intelligentes. Des exemples tels que Konza Technology City, Smart City Kwame Nkrumah, dans les périphéries respectives de Nairobi et d’Accra, Eko Atlantic City, dans le Grand Lagos, ou encore l’initiative de l’Alliance Smart Africa, sous présidée par le président rwandais Paul Kagamé en 2014, et le New Deal Technologique lancé par le Sénégal en 2025 dans tous les secteurs urbains, illustrent cette tendance. Si la progression de l’accès au numérique et à l’Internet est considérée comme un atout, voire un argument, par les politiques pour communiquer sur la smart city, la fracture numérique et l’accès limité aux services de base, comme l’électricité, persistent en Afrique et posent des défis pour la concrétisation des villes intelligentes. En réalité, l’Afrique est l’un des continents les moins raccordés à l’électricité, avec un taux d’électrification de 43 % en 2016. Or, on ne peut pas penser à une smart city, telle que définie communément, sans un accès suffisant à l’électricité. Chenal (2020) souligne que l’électrification demeure le principal défi pour les villes connectées, puisqu’une meilleure connexion Internet est corrélée à la croissance économique (Tchounand, 2020).

 

Modélisation de « Diamniadio smart city »

Dans la ville nouvelle de Diamniadio, le premier des quatre arrondissements prévus est spécifiquement réservé au pôle numérique (le parc numérique) pour instaurer une gestion « intelligente » de la ville. Diamniadio a été sélectionnée, en 2016, comme « ville affiliée » dans le cadre du concours dit « I3E », qui vise à soutenir la création de villes intelligentes axées sur les usages numériques, surpassant ainsi Casablanca, Tunis et Buenos Aires[1].
Ainsi, le parc numérique de Diamniadio, conçu comme une oasis s’étendant sur 25 hectares, a vu le jour en 2016. Cette course à l’innovation a conduit à l’installation d’infrastructures orientées vers les technologies de l’information et de la communication au sein de la nouvelle ville. L’État du Sénégal, avec l’ambition de positionner Diamniadio en tant que première technopole du pays, voire de toute l’Afrique de l’Ouest, similaire à d’autres nations ayant déjà pris une avance dans ce domaine comme le Nigéria, l’Afrique du Sud ou le Maroc, a prévu des infrastructures numériques de pointe. Celles-ci concernent, d’après la responsable de la smart city de la ville nouvelle[1] , « le haut débit et le très haut débit Internet, des “datacenters” destinés au stockage de données numériques, ainsi que des efforts visant à optimiser les flux énergétiques au niveau des bâtiments pour réduire la consommation d’énergie et répondre aux besoins contemporains des habitants ».
Au moment de nos recherches, le projet de la smart city de Diamniadio, en plus d’être considérée « ville affiliée », bénéficie d’un financement partiel de la Banque africaine de développement (BAD) à hauteur de 71 millions d’euros. D’abord simple concept, la smart city de Diamniadio devient une préoccupation des autorités sénégalaises, pilotée par l’organisme d’aménagement, la Délégation générale à la promotion des pôles urbains (DGPU). La responsable de la gestion du projet et de la smart city nous a précisé, lors de notre entretien en 2019, que celui-ci reposait sur trois grands axes : « une performance énergétique avec des techniques d’isolation thermique efficaces, la construction de bâtiments intelligents avec des capteurs et l’introduction de diverses solutions numériques ».
Figure 2 : Projet de datacenter à Diamniadio
Source : Magazine Nouvel Horizon, spécial Diamniadio, nouvelle ville hors-série n° 8 couplé à l’édition n° 1021 du 5 au 11 janvier 2017.
Parmi les orientations, le numérique occupe une place prépondérante, en tant que levier d’amélioration des conditions de vie locales. Au moment de nos enquêtes, le pôle numérique commençait déjà à attirer des entreprises et des start-up spécialisées dans l’innovation technologique, avec la présence d’opérateurs de télécommunications tels qu’Orange, Tigo, Expresso, de grands groupes informatiques comme Atos, ainsi que d’agences du secteur énergétique telles que l’Ademe.
Ce positionnement s’inscrit dans un contexte politique dominé par le plan Sénégal émergent (PSE), adopté en 2014 sous la présidence de Macky Sall, qui faisait de la création de pôles urbains (Diamniadio, lac Rose, etc.) un outil de décongestion de Dakar et de stimulation de l’investissement privé. Dans cette logique, Diamniadio n’a pas été conçue uniquement comme une zone résidentielle, mais comme un hub multifonctionnel regroupant des espaces administratifs, des centres de conférence, des zones commerciales et des industries légères. L’objectif affiché est d’attirer non seulement de nouveaux habitants, mais aussi des entreprises et des institutions internationales.
La conception de Diamniadio emprunte beaucoup aux logiques « greenfield cities » analysées par Watson (2014), c’est-à-dire des projets urbains aménagés ex nihilo sur de vastes terrains vierges afin d’incarner une vision urbaine futuriste. Cependant, ces initiatives sont régulièrement critiquées pour leur orientation vers une clientèle solvable, excluant de fait les populations modestes. Cette sélectivité socio-spatiale alimente le caractère impopulaire et élitiste de la démarche (Moser, 2015).
Concrètement, la planification de Diamniadio repose sur trois étapes successives : la phase d’émergence (2014–2019), la phase de développement (2020–2025) et la phase de finition (2025–2035). Si les services numériques (notamment les réseaux de télécommunications) figurent bien dans le plan directeur de planification de Diamniadio, leur déploiement n’a pas été considéré comme une priorité, lors des premières phases de la ville nouvelle. Le lancement du déploiement numérique était ainsi attendu seulement à partir de la deuxième phase. Lors de notre entretien, mené en juillet 2019, le chargé du déploiement du pôle numérique de la DGPU déclarait que « le numérique est encore perçu comme un bonus, pas une nécessité. Aucun délai précis n’a été fixé pour son déploiement définitif », le projet se trouvant alors encore en phase diagnostique.
Or, en 2025, le phasage de la planification de la ville nouvelle n’est pas scrupuleusement respecté : certaines tâches relevant des premières étapes, telles que l’assainissement, restent inachevées. Ce décalage s’explique en partie par l’alternance politique de 2024, qui a conduit à l’arrivée d’un nouveau président : Bassirou Diomaye Faye. Ses priorités urbaines ne coïncident pas nécessairement avec celles de son prédécesseur, Macky Sall, principal initiateur du projet Diamniadio selon son programme politico-économique d’alors.
Par ailleurs, la dépendance aux financements extérieurs rend le projet vulnérable aux fluctuations de l’aide internationale et aux conditions fixées par les bailleurs. Si la BAD soutient une partie du projet, d’autres composantes reposent sur des partenariats public-privé dont les négociations se révèlent longues et complexes. L’expérience d’Eko Atlantic City, au Nigéria, illustre bien les risques liés à ce type de montage : le projet y a permis la réalisation d’infrastructures de très haut standing, mais sans véritable intégration au tissu urbain existant (Grant, 2015). Diamniadio, encore en construction, conserve donc une marge de manœuvre pour éviter un tel écueil.

 

Discussion

L’analyse de la smart city de Diamniadio montre un écart entre les ambitions technologiques et les réalités pratiques. Les discours qui ont été portés par l’État à son lancement peinent à se concrétiser sur le terrain, comme l’illustrent le retard du déploiement numérique et la faible implication des populations locales. En réalité, la ville nouvelle attend toujours ses habitants ; elle n’est pas encore suffisamment habitée. Le projet, bien qu’ambitieux, est freiné par des défis logistiques et financiers ainsi que par l’inadéquation des infrastructures de base, notamment l’électricité. Ces contraintes soulignent la nécessité d’une approche progressive et réaliste, prenant en compte les conditions locales pour assurer un arrimage entre vision et pratique.
La situation observée à Diamniadio n’est pas isolée ; elle s’inscrit dans une tendance plus large concernant les projets de smart cities en Afrique. Ainsi, Konza Technopolis au Kenya, annoncé en 2008 comme la « Silicon Savannah », connaît encore aujourd’hui de nombreux retards. Ces difficultés s’expliquent par des problèmes de gouvernance, la complexité de la mobilisation des financements, un manque de clarté quant aux besoins réels des usagers, mais aussi par une incohérence spatiale liée à sa proximité avec Kibera, le plus grand bidonville d’Afrique. De même, Eko Atlantic City au Nigéria, bien qu’avancée sur le plan immobilier, fait l’objet de critiques en raison de son caractère élitiste et de son absence d’intégration aux réalités socio-économiques de Lagos, où persiste le bidonville de Makoko. Ces exemples soulignent qu’un projet de smart city qui ne s’ancre pas dans le contexte local risque de se réduire à un projet vitrine, sans réelle capacité de transformation urbaine intégrée.
Pour réussir une transition vers une véritable smart city, le développement technologique doit s’accompagner d’une amélioration des infrastructures de base. L’implication des entreprises technologiques locales et le recours à une approche participative intégrant les habitants et leurs aspirations quotidiennes apparaissent comme des conditions nécessaires pour stimuler l’innovation et garantir l’acceptabilité sociale des solutions proposées.
Un autre enjeu réside dans la fracture numérique. Comme le rappellent Söderström et al. (2014), une ville ne peut être qualifiée d’« intelligente » si une partie importante de sa population est exclue de l’accès aux infrastructures numériques. Dans le cas du Sénégal, où l’accès à Internet reste marqué par de fortes disparités régionales et sociales, la priorité devrait s’orienter vers l’élargissement de l’offre de services numériques abordables avant de déployer des technologies de pointe, concentrées dans un espace restreint comme Diamniadio.
La gouvernance du projet révèle par ailleurs un paradoxe : bien que la smart city Diamniadio soit présentée comme un projet novateur et tourné vers l’avenir, son processus décisionnel reste largement top-down, piloté par l’État, via un aménageur, la DGPU, et ses partenaires internationaux, sans véritable mécanisme de participation citoyenne. Cette absence de consultation formalisée limite les possibilités d’appropriation sociale des infrastructures et peut nourrir des résistances implicites. Or, des expériences menées à Kigali (Kigali Innovation City) ou au Cap démontrent que l’intégration de dispositifs participatifs comme des ateliers communautaires, des enquêtes locales et des plateformes de cocréation, contribue à renforcer la pertinence et la durabilité des solutions urbaines (Odendaal, 2016 ; Robinson & Parnell, 2019).
Enfin, l’articulation de Diamniadio avec le reste de la région métropolitaine de Dakar est une vraie préoccupation. Si le projet évolue comme un îlot high-tech isolé, il risque de renforcer les contrastes spatiaux et économiques avec les villes périphériques déjà existantes, accentuant ainsi les inégalités. À l’inverse, une intégration fonctionnelle via des réseaux de transport efficaces, des complémentarités économiques et des échanges de services pourrait transformer Diamniadio en un moteur de développement au bénéfice de l’ensemble de la métropole dakaroise.

 

Conclusion

L’ambition de faire de Diamniadio une « ville intelligente » traduit une volonté d’innovation, intégrant des avancées technologiques dans le projet de ville nouvelle. Toutefois, l’adaptation de ces dispositifs aux besoins locaux demeure un défi constant. L’écart entre la conceptualisation idéale et la concrétisation invite à adopter une approche plus réaliste, attentive à la complexité des pratiques et des réalités locales.
La trajectoire actuelle du projet montre qu’une smart city ne se réduit ni à des infrastructures numériques ni à des bâtiments connectés. Elle doit s’inscrire dans une vision systémique qui articule impératifs sociaux, économiques et environnementaux, en veillant à ce que les innovations technologiques répondent à des besoins concrets plutôt qu’à des objectifs symboliques ou promotionnels.
L’équilibre entre vision et contraintes pratiques suppose d’orienter le projet vers une forme urbaine réalisable, tenant compte de l’hybridité des pratiques formelles et informelles. Concrètement, la transition vers une smart city exige une intégration harmonieuse des technologies avec les modes de vie, les besoins et les spécificités culturelles des habitants, et repose d’abord sur le renforcement de l’accès universel à l’électricité et aux infrastructures de base, condition préalable à tout déploiement numérique.
Sur le plan opérationnel, cela consiste à mettre en place des mécanismes institutionnels de participation citoyenne à toutes les étapes du projet ; d’impliquer les start-up et PME locales dans la conception, l’exploitation et la maintenance des services numériques afin de renforcer le tissu économique national ; de planifier l’intégration fonctionnelle de Diamniadio dans la métropole dakaroise par des liaisons de transport performantes et accessibles ; et d’adopter une démarche progressive, avec des évaluations régulières de la cohérence entre objectifs initiaux et réalisations effectives.
À plus long terme, une évaluation comparative avec d’autres villes nouvelles africaines et asiatiques permettra d’identifier les conditions de réussite d’une smart city dans le Sud global, en soulignant le rôle des politiques publiques, des partenariats stratégiques et d’une gouvernance multiniveaux.

Notes

[1] Information recueillie lors de notre entretien, à Ouakam, avec la responsable de la smart city de la Délégation générale des pôles urbains du Sénégal (DGPU) en 2016.

Bibliographie

Albino, V., Berardi, U., & Dangelico, R. M. (2015). Smart cities: Definitions, dimensions, performance, and initiatives. Journal of Urban Technology, 22(1), 3–21. https://doi.org/10.1080/10630732.2014.942092

Angelidou, M. (2015). Smart cities: A conjuncture of four forces. Cities, 47, 95–106. https://doi.org/10.1016/j.cities.2015.05.004

Datta, A. (2015). A 100 smart cities, 100 utopias. Dialogues in Human Geography, 5(1), 49–53. https://doi.org/10.1177/2043820614565750

Douay, N., & Henriot, C. (2016). La Chine à l’heure des villes intelligentes. L’Information géographique, 80(3), 89–102. https://doi.org/10.3917/lig.803.0089

Dupuy, G. (1992). L’urbanisme des réseaux: Théories et méthodes. Armand Colin. https://www.armand-colin.com/lurbanisme-des-reseaux-9782200211035

Giffinger, R., Fertner, C., Kramar, H., Kalasek, R., Pichler-Milanović, N., & Meijers, E. (2007). Smart cities – Ranking of European medium-sized cities. Centre of Regional Science (SRF), Vienna University of Technology. https://www.smart-cities.eu/download/smart_cities_final_report.pdf?utm_source=perplexity 

Grant, R. (2015). Sustainable African urban futures? Stocktaking and critical reflection on proposed urban projects. American Behavioral Scientist, 59(3), 294–310. https://doi.org/10.1177/0002764214550301

Guérin-Jabbour, M., & Bauchot, F. (2016). Les technologies de l’information au service des villes intelligentes. IBM.

Hollands, R. G. (2015). Critical interventions into the corporate smart city. Cambridge Journal of Regions, Economy and Society, 8(1), 61–77. https://doi.org/10.1093/cjres/rsu011

Jasanoff, S., & Kim, S.-H. (Eds.). (2015). Dreamscapes of modernity: Sociotechnical imaginaries and the fabrication of power. University of Chicago Press. https://doi.org/10.7208/chicago/9780226276663.001.0001

Kitchin, R. (2014). The real-time city? Big data and smart urbanism. GeoJournal, 79(1), 1–14. https://doi.org/10.1007/s10708-013-9516-8

Lazzarotti, O. (1994). Le ventre de la ville: Dupuy G., L’informatisation des villes. Annales de Géographie, 103(577), 329–330. https://doi.org/10.3406/geo.1994.13795

Moser, S. (2015). New cities: Old wine in new bottles? Dialogues in Human Geography, 5(1), 31–35. https://doi.org/10.1177/2043820614565867

Odendaal, N. (2016). Getting smart about smart cities in Cape Town. In C. McFarlane & O. Söderström (Eds.), Smart urbanism: Utopian vision or false dawn? (pp. 143–160). Routledge. https://www.routledge.com/Smart-Urbanism-Utopian-vision-or-false-dawn/Marvin-Luque-Ayala-McFarlane/p/book/9781138844230

Robinson, J., & Parnell, S. (2019). African urban fantasies: Dreams or realities? International Development Planning Review, 41(2), 107–119. https://doi.org/10.3828/idpr.2019.7

Sadowski, J., & Bendor, R. (2019). Selling smartness: Corporate narratives and the smart city as a sociotechnical imaginary. Science, Technology, & Human Values, 44(3), 540–563. https://doi.org/10.1177/0162243918806061

Shelton, T., Zook, M., & Wiig, A. (2015). The “actually existing smart city.” Cambridge Journal of Regions, Economy and Society, 8(1), 13–25. https://doi.org/10.1093/cjres/rsu026

Söderström, O., Paasche, T., & Klauser, F. (2014). Smart cities as corporate storytelling. City, 18(3), 307–320. https://doi.org/10.1080/13604813.2014.906716

Tchounand, R. (2020). L’Afrique à l’ère des « smart cities ». La Tribune Afrique. https://afrique.latribune.fr/journalistes/ristel-tchounand-269b

Townsend, A. (2013). Smart cities: Big data, civic hackers, and the quest for a new utopia. W. W. Norton & Company. https://www.scirp.org/reference/referencespapers?referenceid=2170534

Vanolo, A. (2014). Smartmentality: The smart city as disciplinary strategy. Urban Studies, 51(5), 883–898. https://doi.org/10.1177/0042098013494427

Watson, V. (2014). African urban fantasies: Dreams or nightmares? Environment and Urbanization, 26(1), 215–231. https://doi.org/10.1177/0956247813513705

Wiig, A. (2015). IBM’s smart city as techno-utopian policy mobility. City, 19(2–3), 258–273. https://doi.org/10.1080/13604813.2015.1016275

Pour citer l'article :

APA
Cissé, C. (2025). Diamniadio Smart City : entre concept et réalité. Global Africa, (11), pp. 308–320. https://doi.org/10.57832/mkz5-7456

MLA
Cissé, Cheikh. "Diamniadio Smart City : entre concept et réalité." Global Africa, no. 11, 2025, pp. 308-320. doi.org/10.57832/mkz5-7456

DOI
https://doi.org/10.57832/mkz5-7456

© 2025 by author(s). This work is openly licensed via CC BY-NC 4.0

bottom of page