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Analyses critiques

V.-Y., puissions-nous t'honorer non seulement par notre chagrin, mais aussi par notre réflexion

Toussaint Murhula Kafarhire, S.J.

Professeur de science politique

Université Loyola du Congo, RDC

kafmurhula@gmail.com


Zubairu Wai

Professeur en science politique et études du développement global

Université de Toronto

zuba.wai@utoronto.ca

numéro :

Savoirs protecteurs, savoir protéger

Protective Knowledges, The Wisdom to Protect

Maarifa ya kinga, kujua
jinsi ya kulinda

معارف وقائيّة، ومعرفة وسائل الوقاية

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Publié le :

20 juin 2025

ISSN : 

3020-0458

10.2025

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Plan de l'article

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Le 31 mai 2025 marquait le 40e jour du décès du philosophe, essayiste, poète et romancier Valentin-Yves Mudimbe, figure fondatrice des études africaines. Professeur Toussaint Kafarhire, S.J., rédacteur de Global Africa, a coorganisé avec Professeur Zubairu Wai un webinaire pour célébrer la pensée, les luttes et l’humanité d’un homme exceptionnel. Nous avons voulu restituer quelques moments forts de cet hommage.

Zubairu Wai, Université de Toronto

Nous avons choisi cette date parce qu'en Afrique, du moins en Sierra Leone d'où je suis originaire, j'ai d’ailleurs confirmé cela avec le Révérend Professeur Toussaint Kafarhire, S.J., et il en est de même au Congo : lorsqu’une personne décède, le 40e jour est important parce qu’il marque l'étape finale des rites funéraires. Ensuite, une commémoration a lieu chaque année. Nous avons donc pensé que cette date serait appropriée pour nous souvenir du professeur Mudimbe.
Avant de passer la parole au professeur Toussaint Kafarhire, je voudrais dire une chose : le professeur Mudimbe avait une relation très compliquée avec l'Église. Comme il l'a lui-même reconnu dans certains de ses écrits, cette relation n'a jamais été rompue. Il a essayé, et il nous a même dit que le fait d'être agnostique était une sorte de posture intellectuelle et publique. 
Ceux d'entre nous qui ont eu l’occasion de lui rendre visite dans sa maison de Caroline du Nord, savent qu’il commençait ses journées en écoutant de la musique grégorienne. Il avait une chapelle et une salle de méditation dans sa maison. De plus, je me souviens que pour son 60e anniversaire, le pape Jean-Paul lui avait envoyé, j'ai oublié le nom, une sorte de prière et de bénédiction. Ce geste montre que même si cette relation était compliquée, il s'agissait toujours d'une (vraie) relation, et nous devons l'honorer. 
C'est pourquoi nous avons souhaité commencer cette réunion par une prière, avant de passer aux différentes interventions que nous avons prévues. Ensuite, nous donnerons la parole à tous ceux et toutes celles qui souhaitent parler de leur relation ou de l'impact du professeur Mudimbe sur leur vie, etc. Il ne s'agit donc pas ici d'un cadre académique, où des communications scientifiques seront présentées, mais plutôt d'un moment de réflexion, de souvenir, d’hommage à quelqu'un qui nous a profondément touchés de multiples façons. Maintenant, professeur Toussaint, je vous cède la parole.

Toussaint Kafarhire

Merci beaucoup, Zuba ! Merci infiniment parce que, comme vous venez de le dire, nous sommes réunis ici parce que nous formons une communauté, qui s'est construite à travers le monde, à travers l'histoire, et à travers le professeur Mudimbe. Nous l'avons tous connu d'une manière ou d'une autre, de près ou de loin, à travers ses écrits ou personnellement. Et c'est tout à fait juste de pouvoir lui rendre cet hommage et de reconnaître que c'était une âme profondément en quête de Dieu. 
Je m'exprime en français, parce que je crois que nous sommes une communauté internationale, et il est important que ceux qui viennent de pays non anglophones sentent eux aussi que cet espace leur appartient, qu'il est fait pour nous tous. Peut-être que certains parleront en portugais, d'autres en espagnol, parce que Mudimbe était un homme universel, un homme du monde. 
Je voudrais juste profiter de ce petit moment d'introduction pour faire une courte prière, que je vais subdiviser en quatre parties. Tout d'abord, je lirai un court passage de l'Écriture. Ensuite, je lirai un petit poème de Khalil Gibran. Ensuite, je prononcerai une brève exhortation qui sera suivie d’une prière. 
Comme je viens de le dire, Mudimbe était un homme universel. Zuba nous a rappelé qu’il avait des relations plutôt difficiles avec l'Église, avec sa foi. J'ai eu le privilège de l'entendre raconter l'histoire de son entrée et de sa sortie au monastère. J'ai également raconté à Zuba qu’un jour, Mudimbe était venu me rendre visite à Chicago. À un moment donné, je devais partir pour remplir des obligations liées à mes fonctions sacerdotales. L'aumônerie universitaire avait des étudiants catholiques pour lesquels je devais célébrer la messe ce jour-là. Mudimbe me dit : « Je viens avec toi. » J'étais surpris. Il le remarqua et s'empressa de me rassurer : « Non, non ! Je ne vais pas me mêler de ce qui ne me regarde pas. Je ne vous dérangerai pas, mon Père. Je vais m'asseoir au fond de l'église. Je lirai mon bréviaire et vous continuerez votre service d'autel. » Et c'est exactement ce qu'il a fait. 
Ce que nous faisons aujourd'hui, nous le faisons en tant que croyants, chrétiens, catholiques, en tant que musulmans, bouddhistes, mais en tant qu'Africains, c'est-à-dire avec cette foi ancestrale que nous portons et qui nous amène à croire fermement que la mort ne met pas fin à la vie. Et que Mudimbe, d'une manière ou d'une autre, continuera à vivre avec nous, à nous inspirer et à nous pousser à aller de l'avant. Ainsi, pour ceux qui sont catholiques comme moi, et selon les traditions représentées dans cette salle virtuelle, je voudrais commencer ce moment au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit. Amen.
Lecture de l'Évangile selon saint Jean. Nous lisons le chapitre 14, versets 1-4. Il est écrit :
Que votre cœur ne se trouble pas. Vous croyez en Dieu, croyez aussi en moi.
Dans la maison de mon Père, il y a de nombreuses demeures.
S’il n’en était pas ainsi, vous aurais-je dit que je vais vous préparer une place ?
Et si je vais vous préparer une place, je reviendrai et je vous prendrai avec moi,
afin que là où je suis, vous soyez, vous aussi.
Et du lieu où je vais, vous en savez le chemin. (L'Évangile, la bonne nouvelle du Seigneur). Loué sois-tu, Seigneur Jésus.
J'ai dit que la deuxième partie consisterait à attirer votre attention sur un court poème de Khalil Gibran. En y réfléchissant, je me suis dit que Khalil Gibran aurait pu être un grand ami de Mudimbe s'ils avaient vécu à la même époque. Je veux donc ouvrir cet espace et ce moment en citant Gibran au lieu de citer directement Mudimbe qui, comme nous le savons tous, a énormément écrit. Car, vous en conviendrez avec moi, les mots que vous allez entendre résonnent comme une vérité tranchante, comme s’ils étaient écrits pour le professeur Mudimbe lui-même. Gibran dit :
Ne fréquente pas ceux qui sont à moitié amoureux
Ne sois pas l’ami de ceux qui sont à moitié des amis
Ne lis pas ceux qui sont à moitié inspirés
Ne vis pas la vie à moitié
Ne meurs pas à moitié
Ne choisis pas une moitié de solution
Ne t’arrête pas au milieu de la vérité 
Ne rêve pas à moitié
Ne t’attache pas à la moitié d’un espoir
Si tu te tais, garde le silence jusqu’à la fin, et si tu t’exprimes, exprime-toi jusqu’au bout
Ne choisis pas le silence pour parler, ni la parole pour être silencieux
Si tu es satisfait, exprime pleinement ta satisfaction et ne feins pas d’être à moitié satisfait
Et si tu refuses, exprime pleinement ton refus, car refuser à moitié c’est accepter.
Vivre à moitié, c’est vivre une vie que tu n’as pas vécue…
Parler à moitié, c’est ne pas dire tout ce que tu voudrais exprimer
Sourire à moitié, c’est ajourner ton sourire
Aimer à moitié, c‘est ne pas atteindre son amour
Etre ami à moitié, c’est ne pas connaître l’amitié
Vivre à moitié, c’est ce qui te rend étranger à ceux qui te sont les plus proches, et te les rend étrangers à toi…
La moitié des choses, c’est aboutir et ne pas aboutir, travailler et ne pas travailler, c’est être présent et… absent…
Quand tu fais les choses à moitié, c’est toi quand tu n’es pas toi-même, car tu n’as pas su qui tu étais
C’est ne pas savoir qui tu es …
Celui que tu aimes n’est pas ton autre moitié, c’est toi-même, à un autre endroit, au même moment.
Boire à moitié n’apaisera pas ta soif, manger à moitié ne rassasiera pas ta faim…
J'aime ces mots de Khalil Gibran parce qu'ils semblent faire référence au géant Mudimbe, qui ne faisait pas les choses à moitié, qui allait jusqu'au bout quand il croyait en quelque chose. Sa quête du savoir, il l'a vraiment menée jusqu'au bout, à l'extrème, aux ancêtres. 
Et si nous sommes ici aujourd'hui pour célébrer son héritage, c'est parce que nous le connaissons et le reconnaissons comme un modèle. Nous reconnaissons que sa lumière continuera à éclairer et à inspirer nombre d'entre nous, dans notre quête et nos efforts pour produire des connaissances sur nos peuples, notre continent et le monde. Nous croyons donc au sens et à l'éternité, tout comme Mudimbe l'a fait. Je pense d'ailleurs que c'est la raison pour laquelle il a adopté la plupart d'entre nous. 
Nous sommes donc ici parce que nous avons aimé un homme dont le voyage terrestre s'est achevé il y a quarante jours, mais dont la force spirituelle ne s'éteindra jamais, parce que nous sommes des hommes et des femmes de foi, chacun à sa manière. Foi en la vie, foi en l'amour, foi en l'amitié, foi en l'humanité, foi en Dieu, et j'en passe. 
Nous sommes ici parce qu'il y a quarante jours exactement, quelqu'un que nous aimions profondément a rendu son dernier souffle, et a fermé les yeux à la lumière du soleil, pour les ouvrir de l'autre côté de cette vie. Nous sommes sa famille et ses amis. Nous sommes ses étudiants et ses élèves. Nous sommes ses collègues et ses héritiers. Nous sommes aussi ses fils et ses filles, pas uniquement sur le plan biologique, mais sur les plans spirituel et intellectuel.
Chacun dans cet espace peut prétendre avoir connu Mudimbe, un aîné et un soutien d'une manière ou d'une autre, de près ou de loin. Son héritage, son legs, son testament est celui de l'esprit. C'est pourquoi, une fois encore, nous avons réuni des personnes du monde entier pour commémorer sa vie. Nous sommes réunis pour célébrer les dons de la vie du professeur Mudimbe. 
Pour ceux qui ont eu la chance de partager avec lui sa foi, il a clairement montré qu'il savait distinguer sa quête intellectuelle et sa soif spirituelle. Lorsqu'il est venu s'asseoir discrètement au fond de l'église pendant que je célébrais l'eucharistie, je n'ai pu que penser à l'humilité d'un homme dont l'expérience de vie lui avait appris à se taire, à écouter les autres, à écouter Dieu, à écouter même le silence.

Elisio Macamo, Université de Bâle

Je ne parlerai pas de lui à titre personnel, même si je peux affirmer que je le connais depuis la fin des années 1980, lorsque j'ai acheté son livre L'invention de l'Afrique et que je l'ai lu pour la première fois. Ce livre a joué un rôle majeur dans mon propre développement intellectuel. À tel point que dix ans plus tard, lorsque j'ai rédigé ma thèse de doctorat, je me suis essentiellement inspiré de son ouvrage. 
Le révérend professeur Toussaint a mentionné l'Évangile de Jean. Je pense que les paroles de Jésus dans cet évangile, qu'il nous a interprétées avec tant d'éloquence, parlent aux cœurs troublés, offrant non seulement un réconfort mais aussi la vision d'une maison préparée, un lieu où l'amour ne s'arrête pas et où personne n'est oublié. 
Nous sommes donc réunis ici ce soir pour honorer un penseur dont la disparition laisse un silence que seule la pensée elle-même peut commencer à appréhender. Le professeur Mudimbe était plus qu'un érudit. Il était une force intellectuelle, subtile, rigoureuse, inflexible. À travers des concepts tels que la bibliothèque coloniale et L'invention de l'Afrique, il a révélé à quel point les structures du savoir avaient été façonnées pour contenir et méconnaître l'Afrique. Mais la critique ne s'est pas arrêtée là, le travail de Mudimbe a mis le doigt sur quelque chose de plus exigeant, la nécessité de reconstruire les disciplines, en puisant dans les univers de sens africains, dans les voix africaines et dans les vérités africaines. Il nous a montré que l'Afrique n'a jamais manqué de pensée, mais seulement de reconnaissance. Et par sa recherche, il a démontré, s'il en était besoin, que les Africains peuvent tenir tête à n'importe qui, non seulement en participant à la recherche mondiale, mais aussi en la transformant, comme lui-même l'a fait. 
Le professeur Mudimbe n'a jamais cherché à être applaudi, mais son audace tranquille, sa persistance à poser l'autre question, ont marqué tout le monde. Nous prenons les idées au sérieux. Ce soir, je ne pense pas que nous soyons seuls à porter le deuil. Nous portons le deuil avec des livres, avec des questions, avec la flamme qu'il a allumée dans nos esprits. Puissions-nous la porter avec courage, avec soin et avec clarté. Qu'il repose en paix et que nous lui rendions hommage non seulement par notre chagrin, mais aussi par notre réflexion.
Dans un monde d'incertitudes, il a vécu avec un but précis. À une époque de vacarme, sa présence était source de calme. Aujourd'hui, alors qu'il suit un chemin que nous emprunterons tous un jour, nous sommes réconfortés de savoir que la voie est tracée, que les demeures sont nombreuses et qu'une place l’attend, comme elle nous attend tous. Il n'a pas disparu dans le néant. Il est allé de l'avant. Et bien que nous soyons en deuil, nous rendons grâce pour cette vie vécue avec honneur, pour les empreintes qu'il laisse derrière lui et pour l'amour qui continue à prononcer son nom. 
Merci, et merci à notre révérend professeur Toussaint et à Zuba, mon ami, d'avoir organisé cet événement.

Ainehi Edoro, Université du Wisconsin-Madison

C'est un privilège et un honneur d'être dans cette communauté aujourd'hui. Et je pense que ce qui nous relie tous, c'est le fait que nous avons été touchés d'une manière ou d'une autre par le professeur Mudimbe. Je ne vais pas parler de la manière dont ses idées ont entièrement remodelé nos hypothèses et notre connaissance de la pensée africaine. Je vais plutôt parler des rencontres personnelles que j'ai eues avec lui et de l'influence qu'il a eue sur moi en tant qu'étudiante. 
J'ai rencontré le professeur Mudimbe en 2010, lorsque je suis arrivée à l'université Duke. Son cours intitulé « Sacré et existentialisme » a été la première série de cours que j'ai suivie lorsque j'ai commencé mon programme de doctorat. Comme vous pouvez l'imaginer, un programme de doctorat peut être difficile, surtout la première année. On doute beaucoup de ce que l’on sait ou croit savoir. La charge de travail est intense. Tout cela était donc nouveau pour moi. En outre, j'ai toujours été consciente de mon identité, je suis nigériane. J'étais une femme africaine dans une institution américaine essayant de devenir universitaire. Toutes ces expériences étaient intimidantes et me semblaient nouvelles. Je me suis rendu compte qu'il y avait des aspects qui allaient être difficiles, et c'est pourquoi je me considère très chanceuse que l'un des premiers espaces dans lequel j'ai pénétré en tant qu'étudiante en doctorat dans le monde universitaire ait été celui du professeur Mudimbe. 
C'était une personne très spéciale, et cela se voyait dans l'éthique du cours. Dès qu'il entrait dans la classe, c’était le silence absolu, car on avait le sentiment d'être en présence de quelqu'un de puissant, de quelqu'un que l'on admirait et dont on comprenait l'importance de la présence ; on était dans une classe où le professeur Mudimbe, qui a écrit L'invention de l'Afrique, allait enseigner. 
Il avait un look très particulier. Il s’habillait toujours en noir et portait des lunettes, ce qui donnait l'impression qu'il était toujours attentif à ce que nous ne disions pas. Lorsqu'il arrive en classe, le tableau est généralement devant et nous sommes assis en face de lui. Il s'agit d'une salle de séminaire avec une fenêtre sur la gauche. Parfois, il parlait en regardant par la fenêtre, en contemplant la nature. D'autres fois, il se tournait vers nous pour se reconnecter. Il y avait donc cette sorte de présence et de performance unique de soi qui semblait très vraie et si distincte. 
J'avais l’impression d’être en présence de quelqu'un de spécial et d’exceptionnel. Il utilisait beaucoup le tableau. Aujourd'hui, lorsque j'enseigne et que je dispose d’un tableau dans ma classe, je l'utilise entièrement, principalement en raison de cette première expérience que j'ai eue avec lui. Un jour, j'ai même pensé à prendre une photo du tableau, parce qu'à la fin du cours, il était entièrement couvert d’écritures en grec, en latin, en français, en anglais. Cela donnait une idée de l'étendue et de la profondeur de ses connaissances. 
En tant que doctorante, je n'avais jamais été confrontée à la manière dont le professeur Mudimbe incarnait le savoir avec une telle authenticité au cours de toutes mes années d'études. La manière dont il se connectait aux idées avec lesquelles il travaillait et auxquelles il réfléchissait. Le cours « Sacre et existentialisme » commençait par le Discours de la méthode de Descartes, puis Husserl, pour finir par L’Être et le Néant, un parcours d'une grande densité. Il nous a ensuite fait parcourir ce texte, page après page, chapitre après chapitre, avec une clarté et une intensité remarquables. Son amour pour la philosophie était palpable. La classe était très ouverte. Aucune question n'était jamais jugée trop rudimentaire ou stupide. Il répondait à chacun avec attention et d'une manière qui donnait l'impression d'être vu. C’était quelqu'un qui possédait tant de connaissances et qui pouvait mettre ses étudiants à l'aise et les accueillir dans le savoir, en particulier dans une discipline comme la philosophie où de nombreux étudiants se sentent exclus. C'est certainement ce que j'ai ressenti. 
Mais dans cette classe, il y avait un vrai sentiment d'accueil qui vous donnait l'impression que, peu importe qui vous étiez, dans la mesure où vous êtes ici, vous faites le travail tous les jours, lisez, essayez, réfléchissez. Nous formions une famille et nous allions creuser les questions, aussi difficiles soient-elles. 
De nombreuses personnes connaissent le professeur Mudimbe en tant qu'érudit, à travers ses ouvrages. Mais il y a quelque chose de spécial à rencontrer un penseur à travers son enseignement. En effet, un enseignant est un érudit, mais il est aussi bien plus que cela. Ce moment intime où l'on essaie de façonner les esprits et d'initier les gens à des idées qui peuvent être très complexes demande de la patience. Et il en avait beaucoup. Plus tard, j’ai découvert qu'il se considérait lui-même comme très patient. Il a expliqué dans des interviews que sa formation de moine bénédictin lui avait inculqué une extraordinaire capacité à être patient. Cela se voyait dans ses cours, dans sa façon de parler, dans sa façon de se comporter : « Nous n’allons nulle part. Nous allons rester ici pendant trois heures. Prenons le temps de réfléchir, de discuter et d'explorer les textes ». Je me rendais souvent dans son bureau pour discuter, ce qui témoigne de l'ouverture d'esprit dont il faisait preuve. 
Son bureau était rempli de livres, issus de traditions, de formes et de langues différentes. On sentait que c'était quelqu'un qui valorisait l'apprentissage, la diversité ou le « cosmopolitisme » dans la connaissance. Je m'adressais à lui pour toutes sortes de questions et de problèmes, lorsque j'étais dans l'impasse sur un document, je m'arrêtais à son bureau et nous parlions. D'une certaine manière, je dirais qu'il avait la posture d'un oncle bienveillant, toujours prêt à me soutenir et à m'aider. 
Je tiens à rappeler qu'en tant que Nigériane et Africaine essayant de se frayer un chemin dans le monde universitaire, il était important que je rencontre quelqu'un comme le professeur Mudimbe très tôt, car il a su m'insuffler un certain type de confiance et de soutien que j'ai gardé tout au long de ma vie. Je tiens à célébrer sa vie et à dire qu'il a vécu une vie pleine et belle. Bien qu'il soit décédé et qu'il me manque déjà, je veux célébrer le fait qu'il a vécu une vie bien remplie. Merci beaucoup de m'avoir donné l’espace pour partager cette expérience.

Professeure Gertrude Mianda, Université de York, Glendon

Merci professeur Zuba et Révérend professeur Toussaint d’avoir organisé ce moment pour célébrer la vie du Professeur Mudimbe et nous permettre de nous rappeler de qui il était. 
Je ne vais pas parler du professeur Mudimbe en tant qu'érudit, mais en tant que personne très proche de ma famille et de moi-même. En parlant de lui au passé, je me demande par où commencer. Comme je sais que le professeur Mudimbe n’aimait pas les étiquettes, j'espère qu'il me pardonnera de dire qu'il était un véritable humaniste. Il croyait en l'être humain, indépendamment de sa race, de son sexe, de son appartenance ethnique, de sa classe sociale, de sa religion, de sa sexualité ou de son handicap. Il était opposé à l'injustice et à la discrimination. 
C'était un homme d'une grande humilité. Il ne se mettait pas sur un piédestal malgré sa réputation internationale d'érudit africain brillant et très estimé. Il voulait que je l'appelle Valentin-Yves, mais suivant les conventions de mon éducation luba, j'avais l'habitude de l'appeler professeur, ce qu'il n'aimait pas. En réponse, il me taquinait en m'appelant docteur Mianda ou professeur Mianda. Aujourd'hui, je me permettrai de l'appeler donc simplement Valentin-Yves. C'était une personne accessible qui pouvait engager la conversation avec n'importe qui. 
Depuis qu'il a quitté ce monde, j'ai une image de lui qui revient constamment. Je le vois avec un verre de vin, assis à sa table, écrivant quelques lignes, sur fond de musique grégorienne. J'ai cette image de lui depuis des années, depuis le jour où je l'assistais régulièrement dans la rédaction de son livre Le Corps Glorieux des Mots et des Êtres en 1993. Est-il toujours resté un bénédictin dans l'âme ? 
Il ne cessait de dire qu'il était agnostique. L'une des dernières fois qu'il est venu à Toronto — je crois que c'était à l'occasion de l'invitation du professeur Pablo Idahosa à l'université de York —, Jean Pierre et moi sommes allés le chercher au Schulich Building. Il lisait la Bible en nous attendant. Nous étions curieux alors il nous a dit que c'était un livre qu'il fallait disséquer. 
Pour moi, il a été un mentor, un père intellectuel, un grand frère et un ami. Au début des années 1990, à une époque où il n'était pas facile d'être acceptée comme féministe dans le milieu universitaire ou dans ma communauté africaine et congolaise, il a été le premier à me soutenir. Notre relation personnelle a commencé lors de ma soutenance de thèse, alors qu'il était mon examinateur externe. Après la délibération du jury, il m'a offert son roman Les Carnets de Mère Marie-Gertrude. Après l'avoir lu, j’ai ressenti le besoin de lire chacun de ses autres romans. Lors de la soutenance de mon doctorat, il m'a encouragé à m'accrocher à mes convictions car défendre l'équité et l'égalité pour les femmes en tant qu'être humain était un combat juste et bon. Il me l'a répété à plusieurs reprises. Je garderai en mémoire ces longues conversations que nous avons eues sur la justice, les inégalités de genre, la race et le capitalisme, nos traditions et coutumes luba communes, la colonisation et particulièrement la colonisation belge. Avec le recul, je me rends compte que ces conversations ont façonné ma lecture de son œuvre de manière importante.

Amidu Mutaru, Université de Toronto

J'ai été un étudiant de Valentin-Yves Mudimbe, mais pour moi, il était avant tout le Mwalimu – non pas un simple professeur, mais un maître au sens profond du terme. D’ailleurs c’est pour travailler avec lui que je suis allé à Duke en tant qu'étudiant diplômé. À l’époque, L'invention de l'Afrique venait de paraître et était la grande nouvelle du moment, voire des décennies suivantes. J’ai ainsi eu la chance de collaborer de près avec lui à la fin des années 1980 et au cours des années 1990. Je n'entrerai pas dans les détails de son enseignement et de l'impact qu'il avait sur ses étudiants, mais plutôt évoquer les réseaux professionnels dans lesquels il m’a introduit. 
Je passais beaucoup de temps dans son bureau ou à l'extérieur. Nous avions l'habitude de sortir et de nous tenir sous l'arbre. Ce sont là quelques-unes des conversations les plus joyeuses, les plus instructives et les plus riches que j'ai eues. Durant toutes les années passées à travailler avec lui, jamais il ne m’est arrivé de le trouver indisponible ou de l’entendre s’excuser en me proposant un autre rendez-vous. Il prenait toujours le temps de sortir de son bureau pour échanger. Et je n’étais pas un cas isolé : d’autres membres de ma cohorte bénéficiaient de la même attention. J’en suis venu à penser qu’il réservait ses travaux personnels pour la nuit, tant il était constamment présent pendant la journée. Il suffisait de se rendre à son bureau pour le trouver, sauf lorsqu’il enseignait. Cette disponibilité s’étendait même aux étudiants à distance, puisqu’il dispensait aussi des cours en ligne à travers un réseau de laboratoires de langues.
Nous recevions des conférenciers invités. À cette époque, le professeur Mudimbe dirigeait activement, la Société de philosophie africaine en Amérique du Nord (SAPINA), et j’ai eu l’honneur de l’assister dans plusieurs de ses initiatives. Nous avons accueilli de nombreuses figures marquantes, parmi lesquelles Lucius Outlaw et Bogomil Jasinski. Ces rencontres avaient lieu notamment lors de la grande conférence annuelle de l'Association des études africaines. Pendant plusieurs années, SAPINA a organisé deux ou trois panels par an. J'ai eu la chance de contribuer à l’organisation de certains d’entre eux, ainsi qu’à la rédaction du bulletin d’information de l’association. Le professeur Mudimbe était très aimable. Non seulement il a fait participer ses étudiants à certains de ces travaux collectifs, mais il a aussi contribué à faire publier certains d'entre nous. Grâce à lui, certains de mes premiers écrits – des entretiens avec des figures telles que Richard Rorty et Nawal El Saadawi – ont pu être publiés dans SAPINA. Je lui en suis très reconnaissant. 
En 1990, un entretien que j’ai eu avec lui a été publié dans la revue Kalalu. Trente-cinq ans se sont écoulés depuis cette conversation, mais pour me replonger dans ses mots, je suis allé relire cet échange. J'ai remarqué que l'une des questions que je lui avais posées portait sur la mort et la fête. En effet, j'avais entendu dire qu'il avait été diagnostiqué à un moment donné de sa vie, par erreur, comme souffrant d'une maladie en phase terminale. Je l'ai donc interrogé à ce sujet. Je voudrais aujourd’hui vous en faire entendre un extrait, car jusque-là, nous n'avons pas encore entendu Mudimbe lui-même. Voici ce qu'il m’a répondu à propos de la mort, et de la manière dont il la concevait à l’époque :
Je pense qu'il y a une complémentarité entre la régularité rituelle de la vie bénédictine, qui est divisée en trois parties de huit heures, huit heures de prière, huit heures de sommeil, et huit heures de travail intellectuel et manuel, de distraction, d'exercice physique, etc. C'est une chose. Une autre chose est que l'une des choses les plus intéressantes à propos de la tradition bénédictine, de mon point de vue, est que ces personnes sont, comme elles le prétendent, très spéciales. Ils se reproduisent en intégrant de nouveaux membres, de nouveaux adultes, de nouveaux jeunes dans une philosophie, dans une tradition, en leur donnant une simple devise : Ora y labora (Priez et travaillez). Et cela signifie que vous pouvez faire tout ce que vous voulez après votre éducation et votre intégration dans l'ordre. Rien n'est exclu et tout est possible. Vous savez que vous appartenez à une tradition qui remonte au fondement même du monachisme occidental. Et vous savez aussi qu'après votre passage, cette tradition se poursuivra. Ainsi, à bien des égards, vous pensez, vous vivez sub specie aeternitatis (du point de vue de l'éternité). Le temps est là, mais vous le transcendez grâce à une affiliation spirituelle et généalogique. L'accident qui m'est arrivé est une erreur de diagnostic, le cas d'un docteur belge incompétent à Lubumbashi et d'un autre en Suisse, à Genève, qui m'ont tous deux dit que j'avais un cancer des os et que j'étais en train de mourir. Comment réagissez-vous à cela ? Commencer à se plaindre ou à pleurer ? Et alors ? Ma réaction a été de m'occuper et de ne pas penser à ce diagnostic. Le meilleur moyen pour moi de m'occuper était d'écrire. Comme je n'enseignais pas, j'ai commencé à écrire trois choses complètement différentes : un recueil de poésie, un roman et un livre d'essais théoriques. Lorsque j'étais fatiguée de rêver à un roman, je pouvais passer à quelque chose de plus solide intellectuellement et vérifier mon raisonnement. Puis, lorsque j'en avais assez, je pouvais écrire un poème. En même temps, j'avais avec moi mes deux enfants : mon fils aîné venait du Zaïre et ma filleule de Belgique. J'étais donc très occupé.
Nous sommes donc tous, bien sûr, très reconnaissants qu'il s'agisse d'une erreur de diagnostic et qu'il ait pu vivre encore plusieurs années. Mais je tenais à vous partager ces mots du Maître lui-même. Qu'il repose en paix. 

Alírio Karina, Université de Warwick

Je suis très reconnaissante d'être ici, parmi tant de personnes qui se soucient tant du professeur Mudimbe. Je serai brève dans mes remarques. Je n'ai pas eu le privilège de rencontrer Valentin-Yves Mudimbe en tant qu'homme, et je dois dire que je suis très envieuse de tous ceux qui sont ici aujourd'hui et qui ont eu la chance de connaître l'homme derrière les livres. J'ai plutôt rencontré Mudimbe, l'auteur, à plusieurs reprises. 
D'abord en tant que jeune étudiante de premier cycle à l'université du Cap, où il ne figurait pas dans mon programme, mais où il était omniprésent dans les notes, le plus souvent dans les références aux termes “'invention” et “idée” de l’Afrique. Pourtant, en y repensant aujourd'hui, cette citation étrange a permis au charisme du professeur Mudimbe de se révéler à moi qui, à dix-neuf ans, voyais toutes sortes d'ouvrages. Pourtant, il y avait là quelque chose qui lui permettait d'avoir un effet sur moi et de m'attirer dans un véritable travail intellectuel. Depuis, je n’ai cessé de revenir à son œuvre tout au long de mon parcours doctoral. J’ai toujours été trop timide pour oser déranger le grand professeur avec un e-mail, ce que je regrette profondément aujourd'hui. Mais cette timidité m'a poussée à retourner à ses livres pour chercher dans ses écrits les énigmes qui me laissaient perplexe et qui semblaient si essentielles à sa pensée.
Ce que j'ai trouvé dans ces livres a été un cadeau remarquable pour moi en tant que jeune penseure, en particulier en tant que personne désireuse de s'engager dans les questions théoriques qui façonnent la pensée africaine. En tant que jeune personne sur le continent africain, entourée de débats qui semblaient être piégés dans une sorte de machinerie d'anxiété post-coloniale, les écrits de Mudimbe m'ont offert une sorte de schéma pour naviguer dans cette complexité. Il a révélé une série de questions que je ne savais même pas qu'il était possible de poser. Son travail, il l'a fait avec un humour profond et une espièglerie intellectuelle que je n'avais pas réalisé que nous étions autorisés à avoir en tant que penseurs. Je me souviens encore de la toute première fois où j'ai lu L'invention de l'Afrique, que je comprenais à peine, et où j'ai été stupéfaite par le passage venimeux et hilarant contre Carl Sagan. Ce passage est toujours aussi drôle ! Et pourtant, on sentait bien que le professeur Mudimbe se retenait encore ! 
À mesure que j'apprenais à poser plus de questions, je découvrais qu'il avait, à travers son travail, jeté les bases pour répondre à presque toutes les problématiques. Je me suis surprise à revenir plus souvent à ses travaux qu'à ceux de certains théoriciens africains contemporains qui prétendaient les avoir dépassés. Et, lorsque j'ai fini par absorber suffisamment de ses interrogations pour pouvoir formuler les miennes, j’ai continué à trouver dans ses écrits un ensemble d'orientations qui sapent les réponses faciles et poussent à des fins fécondes. 
Mudimbe a entrepris ses recherches dans un paysage théorique alors déserté de toute pensée africaine autonome. Son travail y a apporté une contribution inégalée, sans laquelle, je crois, ce paysage en serait resté là. Je pense pouvoir parler ici au nom de toutes celles et ceux qui partagent cette gratitude : merci, professeur Mudimbe, pour votre œuvre, et pour avoir rendu notre réflexion possible. Merci d’avoir créé un espace depuis lequel nous pouvons continuer à penser ensemble.

Zubairu Wai, Université de Toronto

Je voudrais commencer par dire que ma relation avec le professeur Mudimbe a commencé par accident. J'étais étudiant de troisième cycle à l'université York de Toronto. J'avais survécu à la guerre civile en Sierra Leone. Et dans le cadre de mes études doctorales, je voulais comprendre pourquoi, en grandissant, on disait toujours en Sierra Leone : Saloona peace country (la Sierra Leone est un pays pacifique). Puis, soudainement, nous avons commencé à nous entretuer. Et lorsque la guerre a pris fin, tout le monde est redevenu gentil. C'est un peu fou. 
J'ai donc voulu comprendre ce basculement. J'ai commencé à lire des analyses sur la guerre et je me suis rendu compte que les récits académiques ne reflétaient en rien mon expérience vécue. Il y avait une véritable dissonance. Un jour, alors qu’un collègue et moi étions à l'arrêt de bus de l’université de York et nous exprimions notre frustration face à la façon dont les gens écrivent sur les régions d'où nous venons. Il s'agissait d'une collègue originaire de Bosnie-Herzégovine. Un professeur qui se tenait derrière moi m'a dit : « Vous devez lire Mudimbe ». J'étais surpris, je ne le connaissais pas. Je n'avais jamais entendu parler de lui. Elle m'a dit en substance « tu dois lire L'invention de l'Afrique ». Je ne suis pas monté dans le bus. Je suis allé à la bibliothèque et j'ai pris le livre. J'ai passé les deux jours suivants à le lire. J'étais très enthousiaste parce que certains passages étaient tellement énigmatiques, mais à d'autres endroits, comme le disait Alírio, c'était aussi très drôle. Je lui ai donc envoyé un e-mail pour lui dire : « Je ne sais pas si je comprends ce que vous avez écrit, mais c'est le sujet de ma thèse de doctorat, et je pense que vous serez la personne qui me guidera dans cette matière étonnante ». Il a répondu le jour même. 
Nous avons commencé à avoir cette conversation en va-et-vient, mais par courrier électronique. À un moment donné, il m'a dit qu'il serait à Toronto. J'ai donc terminé la rédaction de ma proposition, que je lui ai envoyée. Je garde encore cette proposition annotée de sa main. Je l’ai conservée précieusement. 
Lorsqu’il est venu à Toronto pour ma soutenance, c’est à ce moment-là que notre amitié est née. Avec le temps, notre relation s’est tellement renforcée que Justin Bisanswa s’est mis à me surnommer « le fils de Mudimbe ». Je n’ai jamais pris cette appellation à la légère — non pas dans un sens biologique, bien sûr, mais à l’image de la manière dont Mudimbe lui-même désignait la professeure Mianda comme sa fille intellectuelle. Je le considérais comme un père intellectuel. Et une partie de mon travail a toujours consisté à m'asseoir sur ses épaules, pour pouvoir poser ce genre de questions. 
Comme Karina l’a mentionné plus tôt, revenir à Mudimbe permettait justement cela : poser ses propres questions. En ce qui me concerne, tout ce que j'ai lu ensuite, même chez les auteurs dits « décoloniaux » comme Mignolo et d'autres, je l'avais déjà trouvé chez Mudimbe. Je prends donc Mudimbe très au sérieux. 
Je voudrais terminer par la dernière section de la postface du livre que nous avons publié l'année dernière. Elle exprime une forme de gratitude que je ne saurais mieux formuler spontanément. Alors, soyez indulgents avec moi. Pour terminer, j'ai dit :
Pour conclure, permettez-moi de sanctionner en trois registres une manière d'honorer le travail intellectuel et les réalisations de toute une vie. Tout d'abord, j'apprécie votre passion et votre engagement extraordinaires pour l'Afrique, ainsi que la contribution remarquable que votre travail représente pour les systèmes de pensée africains. Comme l'atteste ce recueil d'essais, votre œuvre vaste et étendue, la singularité de votre voix, la prescience de vos interventions et vos contributions remarquables à de nombreux corpus d'études dans des domaines tels que la philosophie, l'anthropologie, la littérature, les études postcoloniales, la critique littéraire et, plus généralement, les études africaines, ont non seulement ouvert de nombreuses perspectives dans les sciences sociales et humaines, remettant en question la façon dont elles rencontrent et construisent l'Afrique en tant qu'objet de discours, mais elles ont également porté à notre connaissance de nouvelles idées et de nouveaux concepts, qui ont permis d'améliorer notre compréhension de l'Afrique, mais elles ont également porté à notre connaissance de nouvelles façons et raisons de développer des stratégies supplémentaires pour engager les discursivités des disciplines modernes, leurs modalités, tendances, fétiches, possibilités et limites, ainsi que des façons de pluraliser leurs sources et de repenser leur région épistémique de possibilité, la façon dont elles rencontrent l'Afrique et la construisent en tant qu'objet de connaissance, les discours qu'elles rendent possibles et les implications que cela a pour les continents et leurs peuples. En outre, votre travail nous a incités à jeter un regard neuf sur la condition africaine, sur l'ensemble des circonstances historiques et contemporaines qui ont contribué à la constituer en tant que telle. L'ensemble des circonstances historiques et contemporaines qui ont contribué à la constituer en tant que telle et à faire preuve de vigilance épistémique dans la manière dont nous produisons des connaissances à son sujet et proposons des stratégies pour la rajeunir. Deuxièmement, la reconnaissance de votre remarquable intelligence et de votre puissante érudition en tant que penseur d'une classe à part, ainsi que de votre extraordinaire humilité et générosité d'esprit. Quelqu'un a récemment fait remarquer que la philosophie africaine pouvait être divisée en deux époques : avant et après Mudimbe. Cette remarque n'est pas exagérée. Comme on l'a déjà noté, l'impact de votre travail à cet égard a été inégalé. Tous les grands débats philosophiques en Afrique, et même tous les textes majeurs dans ce domaine depuis les années 1980, ont été influencés par vos travaux, en particulier L'invention de l'Afrique. Pendant plus de quatre décennies, vous avez touché du doigt et éclairé les angles morts par le biais de divers engagements critiques, de fouilles archéologiques et d'explorations généalogiques de la modernité coloniale, et en particulier de la discursivité des disciplines modernes pour et sur l'Afrique, en proposant des leçons conceptuelles et méthodologiques pour l'Afrique et les disciplines. Il s'agit en effet d'une magnifique réalisation, qui témoigne de la puissance de votre autorité intellectuelle. C'est l'actualisation de processus intellectuels complexes qui qualifie la disposition et témoigne à la fois de votre orthodoxie et de vos intentions subversives, ainsi que des exigences transdisciplinaires de votre érudition. Je suis en admiration devant votre brillance et votre érudition époustouflante, et à la mesure de votre humilité et de votre générosité extraordinaires. Enfin, une célébration de votre accomplissement exemplaire, une contribution extraordinairement importante aux systèmes de pensée africains et à divers champs disciplinaires. La prolificité de votre production intellectuelle, la complexité de vos idées et votre engagement éthique envers l'Afrique sont autant de raisons de vous honorer et de vous célébrer. Pendant des décennies, vous nous avez mis au défi, vous nous avez inspirés, vous vous êtes élancés sur des chemins de traverse et vous nous avez montré comment procéder en brandissant des lampes pour éclairer les angles morts. De ce point de vue, nous ne pouvons que célébrer les remarquables archives que représentent votre vocation intellectuelle, ainsi que les leçons éthiques qu'elles offrent, le défi critique qu'elles posent, les motifs et les principes de discernement pour les modes d'inscription dans les sciences sociales et humaines. Avec gratitude, on ne peut que reconnaître la mesure de votre engagement exemplaire pour l'Afrique, admirer la qualité de votre discipline, et apprécier la valeur de votre humilité et de votre générosité extraordinaires. C'est une marque indélébile. C'est une dette impayable que nous vous devons. 
 Zubairu Wai.

Professeur Jean Paul Biruru, Université de Lubumbashi

Merci beaucoup de nous avoir donné l’opportunité de participer à cet événement important, centré autour d’une figure véritablement remarquable. Remarquable, et pourtant, en ce qui me concerne, je n'ai pas vraiment eu la chance de le connaître de près. Mais il y a eu au moins deux moments marquants, qui ont attiré mon attention sur lui. 
Tout d'abord, vers 1976, alors que je débutais à l'université, il était déjà professeur dans notre faculté à Lubumbashi. je le voyais très souvent dans les couloirs, dans les salles de classe. Sa prestance, son attitude, sa manière d’être, son style de vie suffisaient à capter l’attention. Bien que je ne sois pas étudiant en littérature romane et ne puisse suivre ses cours, je n'ai jamais manqué aucune de ses conférences publiques. Cette époque fut déterminante, car elle marquait l’arrivée de la première génération de professeurs congolais après les missionnaires et les professeurs blancs qui avaient auparavant occupé ces postes. C'était le début d'une génération de grands universitaires congolais. Avec lui, nous avons connu d'autres grands noms, comme le professeur Kä Mana (Godefroid Kangudie Tshibembe) en philosophie, le professeur Célestin Dimandja en histoire et le professeur Mufuta Thsimanga, qui est devenu plus tard mon mentor en littérature africaine. C'était une période d’émergence intellectuelle. Mais Mudimbe se distinguait nettement, par sa façon de travailler, son indépendance intellectuelle. Il a tracé une voie unique qui a attiré l'attention de tous. Je l'ai donc observé de loin, plein d'admiration. Je suis profondément heureux d'être ici, d'apprendre de ceux qui l'ont côtoyé, de ceux qui se sont engagés profondément dans son œuvre. C'était un personnage immense, si immense qu'il transcende le Congo et même l'Afrique. C'est un privilège pour moi de contribuer, à ma manière, à élargir cet espace qu'il a ouvert pour l'Afrique dans le monde. 
La deuxième chose qui m'a rapproché de lui est le fait qu'il a occupé le poste de doyen de notre faculté. Je crois que je venais d'arriver quand son mandat s'est terminé. Et des années plus tard, je suis moi-même devenu le dix-septième doyen de cette même faculté. C'est donc avec une émotion toute particulière que j'ai pris ce poste, assis dans le même fauteuil que je l'avais vu occuper, au même bureau que celui où il travaillait. J'ai fini par exercer le plus long mandat d'un doyen dans l'histoire de notre faculté. L'estime que je lui portais a eu une influence considérable sur la manière dont je gérais la faculté. On racontait des anecdotes à son sujet. C'était un intellectuel unique. Il pouvait avoir des désaccords avec des collègues, mais il ne se disputait jamais en personne. Il s'engageait intellectuellement. Il écrivait et l'autre répondait par écrit. C’était des joutes d'idées, pas d'échauffourées dans les couloirs ou d'affrontements dans les bureaux. C'est l'héritage que j'ai cherché à préserver et à promouvoir en tant que doyen. À cette époque, la faculté s'était considérablement agrandie, probablement dix fois plus qu'à l'époque du doyen. Néanmoins, je veillais à mettre l'accent sur ces mêmes valeurs lorsque je m'adressais à mes collègues. C'est l'image, l'héritage que Mudimbe nous a laissé : « Les professeurs d'université, les intellectuels, ne doivent pas s'affronter en public ou en privé. Ils doivent plutôt s'engager à travers des idées, à travers l'intellect. C'est ainsi que nous exprimons ce que nous sommes, que nous nous défions les uns des autres ». Cela m'a profondément marqué et je n'ai jamais cessé de rappeler cette approche à mes collègues. C'est l'exemple que j'ai retenu de Mudimbe.
Au fur et à mesure que j'avançais dans mes recherches, en tant que linguiste et africaniste, je me suis progressivement tourné vers la littérature congolaise et la littérature francophone. C'est alors que j'ai commencé à m'intéresser à certaines de ses œuvres : ses romans, ses recueils de poèmes, etc. Et peu à peu, j'ai commencé à comprendre la place unique qu'il occupait, et qu'il occupe encore, dans l'histoire de la littérature francophone congolaise.
Dans les années 1960, 1970, voire 1980, la littérature congolaise francophone était marginalisée, éclipsée par la littérature francophone d'Afrique de l'Ouest. En raison de la colonisation belge, la littérature congolaise n'était ni valorisée, ni reconnue. Elle était à peine critiquée, à peine visible. Mais Mudimbe est arrivé avec ses écrits et a ouvert ce champ littéraire, le plaçant sur la scène publique, dans le paysage plus large de la littérature francophone à travers le continent. Il a permis à la littérature congolaise d'être reconnue à l'échelle du continent et même du monde. C'est une chose que nous devons absolument lui reconnaître et pour laquelle je suis profondément reconnaissant. En effet, au cours de mes propres recherches, j'ai finalement choisi de travailler sur la littérature congolaise. Cela m'a amené à mettre en lumière ses romans les plus importants et ses œuvres majeures dans une anthologie à laquelle j'ai contribué et qui a été éditée par le professeur Dr Vilicis en Géorgie (États-Unis). Plus tard, j'ai publié mon propre livre, Histoire abrégée de la littérature francophone congolaise, où je lui ai accordé une place très spéciale, en reconnaissance du rôle critique qu'il a joué dans l'ouverture du champ de la littérature francophone congolaise.

Notes

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Bibliographie

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Pour citer l'article :

APA 

Kafarhire, T. M. & Wai, Z. (2025). V.-Y., puissions-nous t'honorer non seulement par notre chagrin, mais aussi par notre réflexion. Global Africa, (10), pp. 84-95 . https://doi.org/10.57832/1y1j-af62 


MLA 

Kafarhire, Toussaint Murhula & Wai, Zubairu. « V.-Y., puissions-nous t'honorer non seulement par notre chagrin, mais aussi par notre réflexion ». Global Africa, no. 10, 2025, pp. 84-95. doi.org/10.57832/1y1j-af62 


DOI 

https://doi.org/10.57832/1y1j-af62 


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