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Iconographie
Koyo Kouoh, notre ancêtre
Felwine Sarr
Professeur titulaire des universités et agrégé en économie
Titulaire de la chaire Anne-Marie Bryan, professeur distingué d’études romanes, Université de Duke
Marie Hélène Pereira
Conservatrice principale, Haus der Kulturen der Welt à Berlin, Allemagne
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Plan de l'article
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Le 14 juin à Dakar, les amis, la famille et les collaborateurs et partenaires de Koyo Kouoh se sont retrouvés pour célébrer et honorer la vie et l’œuvre de Koyo Kouoh, récemment disparue. Toutes et tous ont rendu hommage à une vie et à une œuvre centrés sur l'humain, où le collectif, l'amour et l'éthique relationnelle ont été essentiels. En reconnaissance de l'héritage qu’elle nous laisse, Global Africa a souhaité partager et amplifier cet hommage en publiant les textes d'ouverture et de clôture de cette journée commémorative.
Biographie
Koyo Kouoh a fondé RAW Material Company en 2008 et en a dirigé les programmes avec soin et conviction jusqu’en 2019, date à laquelle elle a été nommée directrice exécutive et conservatrice en chef du Zeitz Museum of Contemporary Art Africa (Zeitz MOCAA), au Cap, en Afrique du Sud. En 2024, elle a été nommée directrice du département des arts visuels de la 61ᵉ exposition internationale d’art de la Biennale de Venise, sur recommandation de son président Pietrangelo Buttafuoco. Tout en menant des expositions et des programmes dans sa propre institution, Koyo Kouoh a conçu des expositions percutantes et visionnaires à travers le monde, telles que Body Talk: Feminism, Sexuality and the Body in the Works of Six African Women Artists, présentée pour la première fois au Wiels, à Bruxelles (Belgique) en 2015. Elle a été commissaire de l'exposition Still (the) Barbarians, lors de la 37e édition d'EVA International, la biennale d’art contemporain d’Irlande, à Limerick, en 2016.
Elle a participé à la 57e Carnegie International à Pittsburgh, en Pennsylvanie (États-Unis), avec l’exposition Dig Where You Stand (2018-2019), fruit d’une recherche approfondie : une exposition dans l’exposition, conçue à partir des collections de Carnegie Museums of Art and Natural History. Elle a initié le projet de recherche Saving Bruce Lee: African and Arab Cinema in the Era of Soviet Cultural Diplomacy, présenté au Garage Museum of Contemporary Art à Moscou et à la Haus der Kulturen der Welt à Berlin (2015-2018). Elle a également participé à la curation de Douala Metamorphosis lors du Salon urbain de Douala, au Cameroun, en 2013, ainsi qu’à l’exposition Make Yourself at Home: Contemporary Hospitality in a Changed World, conçue en collaboration avec Charlotte Bagger Brandt pour le Kunsthal Charlottenborg à Copenhague, en 2010.
Très active sur les scènes critiques, panafricaines et internationales, Koyo Kouoh a siégé au sein de plusieurs conseils d’administration d’organisations artistiques internationales, dont celui du DAAD (Service allemand d’échanges universitaires). Elle a également été membre de jury de nombreux prix et distinctions, notamment du Celeste Prize en 2015, du Vera List Center for Art and Politics de 2018 à 2020, et des Art Basel Awards ce 2025, une initiative destinée à célébrer les artistes, commissaires et figures influentes qui transforment la scène artistique mondiale. Koyo Kouoh laisse derrière elle une œuvre intellectuelle importante en tant qu’autrice, éditrice ou directrice de publication. When We See Us : A Century of Black Figuration in Painting (2022), qui a accompagné l'exposition du même titre inaugurée au Zeitz MOCAA en novembre 2022 ; Shooting Down Babylon (2022), la première monographie de l'œuvre de l'artiste sud-africaine Tracey Rose ; Breathing Out of School : RAW Académie (2021) ; Condition Report on Art History in Africa (2020) ; Word!Word?Word ! Issa Samb and The Undecipherable Form (2013) ; et Condition Report on Building Art Institutions in Africa (2012), entre autres. Elle a été commissaire du programme éducatif et artistique de la foire 1-54 Contemporary African Art Fair à Londres et à New York de 2013 à 2017, et a fait partie des équipes curatoriales de documenta 12 (2007) et documenta 13 (2012) à Kassel, en Allemagne. En 2020, elle a reçu le Grand Prix Meret Oppenheim, la plus haute distinction artistique suisse, qui récompense des personnalités emblématiques de l'art, de l'architecture, de la critique et de leur mise en exposition. Durant son temps au Zeitz MOCAA, Koyo Kouoh a lancé des programmes novateurs et visionnaires, comme l'Atelier Residency Program, qui étend les activités du musée à la production sur site, et le Museum Fellowship Program, en collaboration avec l'université du Western Cape, destiné aux jeunes professionnel·l·e·s et chercheur·e·s des musées du continent. Son travail curatorial s’est concentré sur des expositions monographiques approfondies d’artistes africain·e·s et de la diaspora. Tout au long de sa carrière, elle a offert une visibilité sans précédent aux artistes du continent africain et de ses diasporas. À RAW Material comme ailleurs, elle a notamment organisé des expositions avec des artistes comme Otobong Nkanga, Johannes Phokela, Senzeni Marasela, Abdoulaye Konaté, Tracey Rose et Mary Evans.
Kër Koyo, par Marie Hélène Pereira
Je m’appelle Marie Hélène Pereira et je fais partie de l’équipe de RAW Material Company prêtant ma voix pour vous adresser ce message de bienvenue au nom de toute l’équipe : Fatima Bintou Rassoul Sy, Mame Farma Fall Borom Xaliss, Marie Cissé, Filly Gueye, Haja Fanta, Kerry Etola Viderot, Marie Flavienne Sambou, Aminata Cissé, Fatou Sané, Omar Koné.
Daal len ak jaam, Nous vous souhaitons la bienvenue, Land in peace.
Bienvenues à RAW Material Company, centre pour l’art, le savoir et la société OUI, mais surtout Kër Koyo, la maison que Koyo Kouoh a bâtie de ses mains, avec une générosité et une rigueur intellectuelle sans pareil. Une maison où l’humain est au centre de toute pensée et de toute action. Un foyer d’art et d’humanité.
Kër Koyo en a connu du beau monde, mais la journée d’aujourd’hui est exceptionnelle, elle est remplie d’amour, elle est chargée en émotions tristes et désarroi mais elle est couverte d’espoir et d’énergies protectrices.
OUI, Kër Koyo est remplie d’amour aujourd’hui même si sa voix et ses longs câlins nous manquent énormément. Vous êtes nombreux à avoir fait le déplacement pour l’honorer et la célébrer dans sa maison et nous vous en sommes très reconnaissantes. Ceci nous montre que même n’étant plus de ce monde, Koyo ne nous a pas laissées orphelines. Son esprit veille sur nous depuis qu’elle a brusquement rejoint le monde des ancêtres le 10 mai dernier.
Accompagner Koyo dans sa demeure éternelle est sans doute l’exercice le plus douloureux que nous ayons eu à faire après avoir partagé tant de chemins et de combats avec elle depuis la création de RAW Material Company en 2008 et 2011 à Dakar jusqu'à aujourd'hui et pour toujours.
Chère Koyo, toutes les Amazones de RAW te disent MERCI du plus profond de leurs cœurs et te dédient cette citation de l’inébranlable Maryse Condé que tu as tant admirée :
Les morts ne meurent que s'ils meurent dans nos cœurs. Ils vivent si nous les chérissons, si nous honorons leur mémoire, si nous posons sur leurs tombes les mets qui de leur vivant ont eu leurs préférences, si à intervalles réguliers nous nous recueillons pour communier dans leur souvenir. Quelques mots suffisent pour les appeler, pressant leurs corps invisibles contre les nôtres, impatients de se rendre utiles.
On dit que personne ne peut pleinement comprendre le sentiment de perte sans avoir aimé tendrement. Tu n'étais pas seulement une mentore, Koyo, mais pour nous toutes, tu as été une mère, une tante, une grande sœur, une conseillère visionnaire et une organisatrice remarquable. Ton départ nous a toutes laissées le cœur brisé, en deuil et remplis d'un profond sentiment de perte. Tu étais une véritable force de la nature, une source de joie, de gentillesse, de générosité et d'une intelligence profonde. Même si la douleur et le chagrin sont encore bien présents dans nos yeux, nous ressentons une immense gratitude pour avoir eu l'honneur et le privilège de te connaître.
Recevoir était ton art, toujours à veiller à ce que chacun soit à l'aise. Tu nous as appris à toujours donner à manger aux gens, mais à ne jamais toucher à ton miondo, celui-là était sacré !
À RAW, on se retrouvait toujours avec des plats faits maison et du jus de gingembre énergisant. Du vin et du champagne étaient toujours disponibles au cas où on voudrait se laisser aller à une soirée de rires et de contes. Les sœurs chanceuses recevaient bien sûr des cadeaux : chaussures, sacs et vêtements pour tout le monde !
Koyo, tu nous as montré la voie, tu as pris soin de nous avec professionnalisme, tu as exercé avec acharnement ton intuition, que nous considérons comme l'un de tes plus grands talents. Tu as toujours su repérer les problèmes et anticiper les solutions pour nous et pour RAW, un véritable pilier en toutes circonstances.
Nous avons partagé tant d'amour, d'énergie positive, de larmes, de joie, de défis et de succès avec toi. Le chemin est long, mais nous resterons debout, fortes de toutes les leçons que tu nous as enseignées.
Merci pour ta grâce et ta générosité, Madame Koyo ! Les mots ne suffisent pas pour te remercier, nos cœurs le font et le feront tous les jours.
Merci de nous avoir tenu la main, toujours et partout.
Merci de nous avoir ouvert la voie.
Merci pour ta lumière.
Merci pour ta sororité.
Merci pour cette école de vie qu’est RAW Material Company.
RAW, nous la perpétuerons, sachant l’essence du combat que tu as mené pour établir une institution pérenne pour servir les générations à venir.
Sois bénie Koyo, qu'Issa t'accueille à bras ouverts comme il l'a toujours fait, que ton esprit continue de cheminer avec nous d’une présence éternelle.
Entourée de ta famille, de tes amies et collègues, nous sommes tous rassemblés ici aujourd‘hui en communion pour te célébrer à ton image, avec grâce, lumière et force. Il y aura des larmes, bien sûr, la tristesse est inévitable. Mais il y aura aussi des éclats de rire, de la chaleur, des anecdotes racontées, un repas partagé, de la musique et surtout beaucoup d’amour.
Toute l’équipe de RAW accompagnée des membres de son Conseil d’administration Sylvain Sankalé, Felwine Sarr, Roger Buergel, Laetitia Catoir te disent jërëjëf Koyo, Gacce ngalama !
Il y a eu de la musique par Felwine Sarr
Depuis ce matin, Il y a eu de la musique, des mots, des témoignages, des rituels, des films, de la danse, des poèmes, des incantations, de la pensée, des émotions silencieuses se lisant sur les visages, d’autres débordant généreusement et devenant contagieuses.
Nous sommes tous venus avec un bout de quelque chose de précieux, à offrir et à partager : une parole, un sourire, une écoute attentive, des pensées, des souvenirs.
Depuis ce matin, Il y a la communauté de Koyo ; sa famille, ses parents, ses amis, sa communauté affective et élective qui aujourd’hui s’est réunie au Raw pour la célébrer ; célébrer sa vie, qui elle fut, qui elle est, qui elle demeure dans la vie vaste et infinie. Qui elle demeure dans la vie qui perdure, qui elle demeure dans nos cœurs et nos esprits.
Koyo avait choisi son ministère, elle avait décidé d’enrichir l’âme de la communauté, d’éveiller l’esprit, de nourrir la sensibilité, d’affiner le regard, de tisser le lien.
Koyo a laissé un héritage en grenaille ; un geste ample qui essaime, un cœur lumineux qui réfracte ses lumières, un tison qui allume d’autre feux. C’est ce qui fait que nous sommes toutes et tous, autant que nous sommes réunis ici autour d’elle.
Aucun propos ne pourrait conclure, ni rendre compte de ce qui nous a traversé durant cette journée, de ce qui s’est passé, de ce qui encore continue à creuser en nous son sillon.
Les quelques mots que j’aimerai partager avec vous, sont là pour prolonger ce temps suspendu ; cette atmosphère, ce sentiment de communion et de co-présence.
Les quelques mots que j’aimerai partager avec vous ne seront pas des mots de promesses. Mieux que promettre, juste dire que nous allons simplement continuer le travail, le mouvement, le chemin, l’élan.
Nous allons prolonger le geste, nous nous passerons le tison, nous continuerons à élargir la lueur.
Ce désir de continuer le chemin, il est quelque part en nous, dans un lieu où se niche ce qui échappe au temps et à l’oubli.
Cette journée continuera en nous, nous l’emporterons comme un don que Koyo nous a fait d’avoir pu la vivre ensemble.
Notes
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Bibliographie
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Pour citer l'article :
APA
Sarr, F. & Pereira, M. H. (2025). Koyo Kouoh, notre ancêtre. Global Africa, (10), pp. 28-33. https://doi.org/10.57832/80r7-d418
MLA
Sarr, Felwine & Pereira, Marie Hélène. « Koyo Kouoh, notre ancêtre ». Global Africa, no. 10, 2025, pp. 28-33. doi.org/10.57832/80r7-d418
DOI
https://doi.org/10.57832/80r7-d418
© 2025 by author(s). This work is openly licensed via CC BY-NC 4.0
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