Analyses critiques
Le maintien de l’ordre patriarcal par voie de
silenciation : territoires littéraires de la subordination féminine au Cameroun
Nadine Machikou
Agrégée de science politique, Professeure des universités
Vice-Rectrice enseignements, professionnalisation et développement des TICs, Université de Dschang, Cameroun
Vice-Présidente de l’Association africaine de Science politique
Le présent article s’intéresse à la manière dont la gestion de la parole féminine est un des sites les plus efficaces de maintien de l’ordre patriarcal par voie d’imposition du silence. En décryptant le pouvoir d’énonciation littéraire d’une jeune autrice camerounaise s’intéressant à différents sites de violence patriarcale, il montre comment opère les dispositifs d’invisibilisation, de marginalisation et de silenciation des cadets en tout genre. L’injonction du silence s’inscrit dans une écologie de positions et de prises de positions patriarcales tenues par des agents centraux et auxilliaires de maintien de l’ordre. La silenciation, production de l’absence et de l’effacement du bruit de la condition féminine, donne lieu à l’affrontement entre désir et institution au cœur d’un ordre de discours (au sens de Michel Foucault). L’article repose sur une mise en dialogue et un retour réflexif sur des trouvailles ethnographiques, éclairés par la mise en récit littéraire de la condition féminine à Idool. Il met en tension une fictionnalisation revendiquée sans grand succès et une transgression sociale comme moteur d’autodétermination.
Mots-clés
Patriarcat, cadets sociaux, maintien de l’ordre, domination masculine, littérature, Cameroun
Plan de l'article
Introduction
Une fictionnalisation revendiquée sans succès
Chronique d’une controverse
L’État, facilitateur de l’harmonie patriarcale au nom de la défense du patrimoine
De la transgression thématique à la transgression sociale : poids de la volonté d’autodétermination féminine
Quand une cadette sociale écrit
Deux figures féminines miroir : la mère et la référence littéraire
Introduction
Saisir une écriture comme fait social représentant et reproduisant le réel, porte à poser la question suivante, à l’échelle d’un évènement littéraire dans la partie septentrionale du Cameroun : est-il permis à une jeune femme d’écrire son désir d’échapper à la prison patriarcale par des énoncés fictionnels maladroitement montés[1] considérés comme trop marqués par une inclinaison factuelle ? Une querelle, sur fond d’une mièvre production littéraire, en est l’occasion. L’autorité de cette parole, dont la jeunesse n’échappe à personne, est dans l’art que l’autrice déploie dans sa capacité à faire passer par l’écriture une vérité strictement et radicalement ancrée dans une trajectoire et une expérience personnelles qu’elle rend intelligible. Cette occurrence est saisie à partir de la notion de violence patriarcale, ici entendue comme violence subie par les filles et les femmes dans le cadre de systèmes patriarcaux (Habeas Corpus Working Group, 2006)[2]. Les instigateurs en sont les pères, frères, oncles, amis de la famille, époux, compagnons, ex-époux, amis, pairs, enseignants, coachs, collègues, voisins, superviseurs, mais aussi étrangers. Elle est physique (MacKinnon, 2007) et les aspects symboliques ont été inscrits dans la mécanique de la domination masculine par Pierre Bourdieu (1997). Sous des expressions innombrables, cette violence genrée a pour fonction idéologique, montre Rona Kaufman, de créer, maintenir de la puissance patriarcale ou en venger la perte, en vue de la subordination féminine[3].
Au cœur de cette production, le travail de résilience créative[4] d’une écrivaine en herbe, Marzouka Oummou Hani, ayant choisi de rendre compte dans son premier roman, entre autres sujets, de certaines formes de la violence patriarcale. La réception sociopolitique et administrative de son œuvre est prise en étau par une machine de maintien de l’ordre patriarcal et d’assignation au silence. Dans la lignée des travaux sur les dispositifs et dynamiques d’invisibilisation, de marginalisation et de silenciation des cadets en tout genre[5], il apparaît que l’injonction du silence s’inscrit dans une écologie de positions et de prises de positions patriarcales. Le cumul de trois traits spécifiques donne toute la mesure à la force de cette parole féminine de l’écrivaine jugée transgressive : jeune lycéenne, musulmane, originaire du septentrion camerounais. Son roman jugé transgressif est saisi par un système de domination patriarcale prononçant non une fatwa mais saisissant le tribunal pour une condamnation judiciaire de la jeune autrice. Par-delà la dimension et la valeur proprement linguistiques du texte et la jeunesse – voire la relative immaturité du récit –, la controverse qu’inaugure cette sortie littéraire est un traceur puissant des dynamiques d’autodétermination sous contrôle de forces patriarcales lorsqu’elles sont le fait de cadets sociaux. A l’origine de la polémique, la sortie d’un roman dans lequel l’autrice, jeune bachelière de 17 ans, raconte la vie d’Astawabi confrontée au patriarcat oppressif et son lot de violences machistes à l’œuvre dans l’espace rural à partir d’un repère, celui d’un village de la commune de Bélel dans la région de l’Adamaoua. La réception par la communauté d’Idool, village nommément cité dans l’ouvrage, est glaciale et s’accompagne d’une lourde procédure judiciaire, au cœur de laquelle la jeune autrice se voit réclamer, en guise de réparation, la somme de 150 millions de FCFA. Diverses négociations sont conduites et une issue obtenue sous la médiation active d’Asta Djam Saoudi, directrice des spectacles et des industries créatives au ministère des Arts et de la Culture. Autant la plainte initiée par la communauté que l’intervention du gouvernement camerounais posent la question de la régulation étatique du pouvoir d’énonciation littéraire au féminin. Cet épisode révèle le poids des contraintes de la mise en récit de diverses formes de violence, manifestes ou cachées, subies par les femmes dans les sociétés africaines, en particulier lorsqu’elles sont jeunes. Il est assorti d’une réflexivité quant au coût de la rupture d’avec les structures qui tentent, de diverses manières, de les réduire au silence (Lashgari, 1995).
La mise en roman, à travers laquelle transpire une revendication, celle d’une liberté d’énonciation, met parfois en tension valeur littéraire et vérité sociohistorique et anthropologique. La revendication de la nature fictionnelle du récit fonde une valeur de l’œuvre, intrinsèque. Cette tension entre la valeur d’une œuvre et la vérité de l’écriture est l’expression d’un travail de composition et d’agencement situé et signifiant. Soumise à des règles, la liberté d’écrire portait Guy de Maupassant à être dubitatif et à se demander « quelles sont ces fameuses règles ? D’où viennent-elles ? Qui les a établies ? En vertu de quel principe, de quelle autorité et de quels raisonnements ? » (Maupassant, 1887, p. 17). Ces questions s’expriment de manière singulière dans les espaces où l’autorité de la parole fictionnelle, parole sur les êtres et sur les choses, est déterminée par des structures pratiques et symboliques parfois écrasantes. Comme le rappelle très justement Josette Gaudreault-Bourgeois, « le roman est créateur de ses propres règles, de ses propres lois » (Gaudreault-Bourgeois, 2018, p. 104)[6]. Il faut bien reconnaître que la confrontation entre le pouvoir littéraire et les règles de toutes sortes, formelles et informelles, se construit dans un espace disciplinaire, comme le montre une histoire sociale du champ littéraire et de la figure légitime de l’écrivain africain. Claire Ducournau en restitue les mécanismes matériels et symboliques qui assurent la publication et la reconnaissance d’auteurs forgées dans des dynamiques transnationales, mais aussi les échanges inégalitaires entre eux (Ducournau, 2017). Par-delà ces dynamiques d’extraversion dans les rapports de pouvoir au sein du champ littéraire et des biais postcoloniaux divers qui les traversent, il paraît important de souligner l’importance des ressorts du dedans à l’œuvre (Dabla, 1986 ; Wynchank & Salazar, 1995 ; Lawson-Hellu, 2008 ; Ndiaye & Samujanga, 2004), tout particulièrement le poids de l’engagement littéraire comme critère performant de la valeur de l’écriture (Kouvouama, 2004 ; Kesteloot, 2012 ; Leperlier, 2018). Nocky Djedanoum souligne à ce titre que l’engagement des écrivains contre la barbarie « peut conduire jusqu’à la mort, quand ce n’est pas l’exil forcé. Dans leur écrasante majorité, ils ont trempé et continuent de tremper leur plume dans l’encre de la résistance. Ce n’est pas un hasard si la littérature apparaît comme l’expression majeure de la liberté en Afrique » (Djedanoum, 2004, p. 12). Deux figures littéraires camerounaises, à deux époques différentes, en sont une illustration forte : Mongo Béti et Patrice Nganang. Le premier a un parcours d’engagement jalonné de frustrations et de vexations diverses, y compris après son premier retour de 32 ans d’exil en 1991 (Kemedjio, 2016) tandis que le deuxième, universitaire et écrivain, finit dans les geôles de la prison centrale pour « apologie de crimes » et « menaces » après un post sur son compte Facebook visant la plus haute autorité politique du Cameroun en décembre 2017 (Machikou, 2024).
L’écriture est aussi un mécanisme et un « point de désencastration, de fuite, d'esquive » (Césaire, 1939) face à l’oppression du quotidien. En elle réside le courage d’une poétique de l’énonciation littéraire soumis à une entreprise intensive de domestication structurelle. Au féminin, l’autonomie du sujet qui choisit par l’écriture de s’exprimer est essentiellement éprouvée par les structures de la domination masculine. Rangira Béatrice Gallimore rappelle ainsi que le discours hégémonique patriarcal est une contrainte majeure de l’écriture féminine en Afrique (Gallimore, 2001) avec comme traits « un topos, celui du silence, délimite un espace, celui de la marginalité. Le discours des femmes qui s’élabore après une trop longue période de silence porte les marques de l’ostracisme et se confronte au discours hégémonique patriarcal » (Ouédraogo, 1998, p. 2). De Mariama Bâ, Aminata Sow Fall en passant par Calixthe Beyala, Léonora Miano, Ken Bugul, Hemley Boum, Djaïli Amadou Amal par exemple, écrire ce que l’on pourrait qualifier de condition féminine en Afrique, est une épreuve. Cet afro-féminisme littéraire, est souvent un acte de transgression (voir notamment les analyses en la matière faites par Gafaïti & Crouzières-Igenthron, 2005 ; Détrez, 2010) dans une économie symbolique de l’écriture travaillée par des rapports sociopolitiques.
Cet article prolonge l’exploration des territoires de l’ordre (Pommerolle & Machikou, 2015 ; Machikou, 2015 ; 2016 ; 2022) en s’intéressant à la manière dont la gestion de la parole féminine est un des sites les plus efficaces de maintien de l’ordre patriarcal par voie d’imposition du silence. Il opère par la production sociale et politique du silence telle que le démontre Alain Corbin dans son Histoire du silence : de la Renaissance à nos jours (Corbin, 2016), et d’autres (Vincent, 2017 ; Hernández Gómez, 2023)[7]. C’est un des traceurs les plus impensés imprégnant le fonctionnement des sociétés contemporaines. Il s’agit ici d’envisager, à partir d’une occurrence particulière, la manière dont la silenciation est une production de l’absence et de l’effacement du bruit de la condition féminine. Envisagée au sens d’un ordre de discours (pour reprendre Michel Foucault) sur les territoires littéraires de la subordination féminine, la silenciation donne lieu à l’affrontement entre désir et institution. L’épreuve, analyse l’auteur, est dans le fait que « dans toute société, la production du discours est à la fois contrôlée, sélectionnée, organisée et redistribuée par un certain nombre de procédures qui ont pour rôle d’en conjurer les pouvoirs et les dangers, d’en maîtriser les événements aléatoires, d’en esquiver la lourde, la redoutable matérialité » (Foucault, 1970)[8].
Cette analyse requiert une mise au point épistémologique relative au matériau qualitatif à partir duquel le processus de remaniement autoritaire, fait inédit au Cameroun[9], est reconstitué et interprété. La question de l’inférence causale dans la traçabilité des processus est épineuse. L’affirmation causale de la recherche de l’harmonie patriarcale comme trame explicative est réinscrite dans une observation ethnographique antérieure. Dans le cadre du programme Contending Modernities Project de l’Université Notre-Dame de l’Indiana (États-Unis), j’ai effectué deux séjours de recherche dans le village d’Idool (région de l’Adamaoua) en 2018 et par la suite des entretiens avec des ressortissants du village, y compris des membres de la famille princière[10]. La recherche portait sur l’identification des points d’entrée à partir desquels les femmes d’Idool consolident leur communauté, renforcent et/ou remettent en question l’autorité dans des contextes où elles font usage des outils de leur foi pour revendiquer leurs droits, s’émanciper spirituellement, et s’autonomiser économiquement et politiquement vis-à-vis des structures d’autorité établies tant par l’État que par les acteurs de l’aide et du développement et les forces religieuses. L’épisode littéraire vient relancer la question de la contextualisation des luttes féministes et la prise en charge des cadres et régimes, plus ou moins protecteurs, dans lesquels les femmes évoluent. La précaution à laquelle appelle Françoise Vergès, notamment vis-à-vis du paternalisme développementaliste et plus largement du féminisme civilisateur d’essence occidentale (Vergès, 2019, p.15), a été un prisme critique central dans le cadre de notre recherche antérieure sur les femmes du village Idool.
La demande de liberté spécifique et contextuelle, observée pendant ce terrain ethnographique six ans plus tôt, n’est pas une sorte de prédiction créatrice ou prophétie autoréalisatrice au sens de Robert King Merton (1949)[11]. Cet épisode n’est pas une correspondance figurative de la quête de liberté des femmes d’Idool. En tenant bout à bout les résultats de ces deux terrains investis en six ans d’écart, il ne s’agit pas de « ré-férer » (au sens de se rapporter) aux trouvailles antérieures dans l’interprétation de ce moment littéraire, mais de montrer comment cet épisode autour de Marzouki Oummou Hani est un point d’entrée servant à « pro-férer » (au sens de mettre au dehors) la difficulté à vivre dans et à s’affranchir de la prison patriarcale (Watzlawick, 1988). Le présent article est une mise en dialogue et un retour réflexif sur des trouvailles ethnographiques, éclairés par la mise en récit contestée de certaines de ces situations dans le roman de Marzouki Oummou Hani. Il se veut une chronique de ce processus de production de l’assignation littéraire d’une cadette sociale[12] dans un contexte de violence patriarcale. L’analyse est centrée sur le processus de maintien de l’ordre patriarcal par un procès autour de la fictionnalisation revendiquée sans grand succès par une jeune autrice tentant de s’affranchir d’un carcan posé et renforcé par des figures probables et improbables (I). L’analyse entend mettre en évidence l’articulation entre transgression thématique et transgression sociale comme moteur d’autodétermination (II).
Une fictionnalisation revendiquée sans succès
Le roman, quelle qu’en soit l’envergure, n’est pas seulement un acte artistique, mais aussi un échange symbolique au sein d’une communauté qui l’accueille ou non et lui confère une valeur donnée. L’épisode camerounais de la construction et de la réception d’une écriture amatrice ou « profane », pour reprendre la formule de Claude F. Poliak (2006, p. 4), rappelle qu’elle ne peut être séparée des cadres de sa production, marqués par des situations de marginalisation et de subordination. Après une chronique de la polémique (1), l’on examinera comment elle a été une occasion pour L’État de se constituer en facilitateur de l’harmonie patriarcale (2).
Chronique d’une controverse
Le 18 mai 2023, Mohaman Ahman, Djaourou (chef du village) d’Idool, au nom de la chefferie et de la population de son village saisit le ministre des Arts et de la Culture sous couvert du délégué régional du ministère pour la région de l’Adamaoua pour « Dénonciation en vue du retrait de l’œuvre de Mlle Marzouka Oummou Hani, intitulée ‘‘Mon père ou mon destin’’ (tome 1), parue aux éditions MD ». Dans sa missive, il exprime sa désolation et sa tristesse consécutives à la parution du roman de la lycéenne, qui y présente : « le village Idool et son père fondateur ‘‘Sidi’’ (…) de façon malsaine et blasphématoire, toute chose qui est de nature à induire en erreur le lectorat sur les faits scientifiques ou les faits historiques de mon village ». Dans un premier temps, le chef lui conteste ainsi qu’à ses parents la qualité de ressortissants de son village. Il souligne ensuite « l’imposture » s’accompagnant de la dénonciation de faits non avérés. Le grief porte surtout sur l’invocation de pratiques de sorcellerie dont le fondateur du village serait l’auteur : « ‘‘Mon père ou mon destin’’ n’est en réalité que le résultat d’un projet ubuesque et malsain planifié par des personnes tapies dans l’ombre avec le seul objectif de retarder et freiner les projets et ambitions de développement ». La réclamation contre ce « projet ubuesque » n’est pas qu’administrative. Le 20 juillet 2023, l’autrice est convoquée en citation directe devant le tribunal de grande instance de Ngaoundéré pour des faits de diffamation. Le Djaourou Mohaman Ahman introduit une demande de « confiscation de l'ouvrage incriminé conformément aux dispositions de l'article 35 du Code pénal » et la réparation d’un préjudice d’un montant faramineux de 150 millions de FCFA. L’exploit d’huissier, servi par Me Youssoufou Ibrahim, indique une répartition de ladite somme entre le Djaourou (50 millions) et la collectivité coutumière et villageoise d’Idool (100 millions). Devant la polémique qui enfle, l’ouvrage est retiré de la vente mais continue de circuler sur les réseaux sociaux. L’œuvre est fictionnelle et le choix d’Idool, se défend l’autrice, tient de son statut de « ville touristique ». Dans la foulée, le Barreau camerounais, par la voix de la présidente de la Commission des affaires sociales, Me Gladys Fri Mbuya, exprime sa sidération face aux poursuites judiciaires engagées contre une jeune fille de 17 ans, « condamne fermement tout acte d'intimidation à son encontre, affirmant que la liberté d’expression est un droit constitutionnel qui ne doit jamais être altéré par qui que ce soit. Traîner devant les tribunaux une mineure qui est une défenseure prometteuse des droits des femmes constitue une véritable menace pour les droits de l’homme et l’État de droit et ne mérite donc pas d'être épargné d’une cinglante condamnation »[13]. Elle enjoint le tribunal de mettre un terme à cette procédure et demande au président de la République de garantir la sécurité de l’autrice, de soutenir financièrement l’édition du roman et d’en garantir l’accès gratuit dans les écoles du pays. Le droit à la parole, y compris fictionnelle est avancée par un collectif d’avocat, constitué pro bono,[14] voyant en la jeune autrice « un génie destiné à une grande carrière d’écrivaine »[15]. Selon un membre de la famille de l’autrice qui regrette la politisation de cette affaire par le chef d’Idool, aucune force n’est tapie dans l’ombre et « Marzouka est une écrivaine. Quand elle ne va pas à l’école, elle s’enferme dans sa chambre pour écrire des romans, des poèmes et des pièces de théâtre. Vous ne pouvez pas dire qu’elle est guidée par des personnes tapies dans l’ombre »[16].
Protestant contre toute forme de diffamation contre Yaya Oumarou fondateur du village, figure patriarcale sanctuarisée et soustraite à toute possibilité fictionnelle, mais que l’autrice aurait profanée en le décrivant sous les traits du personnage de Sidi, elle se défend en mettant en avant le fragment de son texte incriminé :
L’histoire d’un ancien sorcier qui vivait à Idool ; il se nommait Sidi, il mangeait les âmes de ceux qui ne l’adoraient pas. Sidi se considérait comme un dieu. Bouba raconta le jour où une femme et sa fille étaient parties au marché et sont tombées tête à tête avec lui. Elles étaient nouvelles et ignoraient qui il était. Tous ceux qui croisaient le sorcier Sidi devraient s’incliner. Surpris et en colère de l’indifférence de ces femmes, il les a traînées jusqu’à sa cabane et personne n’a su la fin de ces dernières. Le sorcier est mort un jour lorsqu’il essayait de voler au-dessus d’un arbre (…) il s’est éclaboussé au sol. Astawabi était terrifiée par cette histoire (p. 14).
Cette transposition fictionnelle d’un « ancien sorcier » est plusieurs fois présentée par l’autrice, à juste titre, comme un fragment très superficiel au regard du poids écrasant de cette figure fondatrice à Idool[17]. Son fils, le chef du village invoque l’ordre traditionnel, mais dans une modalité qui prend la forme d’une inquisition dans l’ordre de la modernité postcoloniale ; dont le traceur est la saisine de la justice. Alors que l’affaire est renvoyée au 17 août 2023, diverses tractations sont engagées en vue du désistement des plaignants.
L’État, facilitateur de l’harmonie patriarcale au nom de la défense du patrimoine
La petite querelle littéraire en recouvre une plus grande, celle de l’investissement de l’État en facilitateur d’un processus de remaniement littéraire. La mise au pas de la jeune écrivaine s’ouvre sur les lieux communs de la brutalité patriarcale, celle des espaces traditionnels où par moult tractations, Marzouka Oummou Hani est invitée à revoir sa copie. Face à une impasse, l’entrée en scène de l’État, qui se fait l’intermédiaire entre les parties en présence, est décisive, comme le relate un journaliste :
Lundi dernier, les deux parties en opposition ont été réunies dans les services du gouverneur de la région de l’Adamaoua. C’était au cours de la médiation menée par Asta Djam Saoudi, directrice des spectacles et des industries créatives au ministère des Arts et de la Culture, en présence de Kildadi Taguiéké Boukar, gouverneur de la région de l’Adamaoua.
Pour ce dernier, auxiliaire de l’ordre patriarcal, la conciliation s’inscrit dans une volonté de parvenir à l’apaisement et à la paix, et il promet, en déplorant un « chapitre regrettable », de poursuivre « le travail pour la cohésion sociale et le vivre-ensemble cher au chef de l’État, Paul Biya ». L’argument évoqué par la représentante du ministère des Arts et de la Culture est étonnant : « Nous avons l’obligation de protéger nos patrimoines culturels que sont les livres et la chefferie traditionnelle ». Le roman aurait porté atteinte à l’image du village, qu’il convient de restaurer, y compris à travers, promet-elle, une :
Monographie officielle d’Idool. Un livre va présenter l’histoire du village Idool. Il sera écrit par les spécialistes du ministère en étroite collaboration avec les composantes sociologiques du village. Ensuite, une Centrale de lecture et d’animation culturelle (CLAC) sera érigée dans le village. Cette structure, constituée d’une bibliothèque et d’une salle d’initiation aux valeurs patrimoniales, travaillera à la préservation du patrimoine et se chargera de l’animation culturelle. De même, à moyen terme, il est envisagé la réhabilitation de la chefferie et la mise sur pied d’un musée pour la conservation des objets[18].
La médiation donne lieu à la présentation de ses regrets par l’autrice relativement au « tort causé par son ouvrage à la mémoire de Siddi, patriarche et fondateur du village Idool. Elle a promis de formaliser ses regrets dans une lettre et de rééditer son ouvrage en retirant les fragments litigieux » [19]. La seconde étape a lieu le lendemain à la chefferie, en présence des habitants du village et sous la conduite de Boubakari Faribou, sous-préfet de Belel (ressort territorial de la localité d’Idool). Mohaman Ahman, chef du village Idool, n’en démord pas : dès que l’écrivaine va rédiger sa lettre d’excuses et de pardon, nous allons retirer la plainte au tribunal. Nous avons eu à discuter avec elle et sa mère dans les services du gouverneur. Les échanges étaient riches d’enseignements pour l’avenir de nos relations. Nous sommes fiers parce que le gouvernement a pris toutes les mesures pour une fin heureuse[20].
Après une médiation ordonnée par l’État pour une réécriture de fragments du livre litigieux, l’autrice finira par dire :
J’ai appris avec beaucoup d’honneur, les démarches qui ont été faites par le gouvernement pour arriver à cette fin heureuse. J’en profite pour remercier toutes les parties prenantes, notamment le ministère des Arts et de la Culture, les autorités administratives locales en tête desquelles le gouverneur de la région de l’Adamaoua, qui a agi comme un papa. Je demande pardon à Idool et à ceux que mon ouvrage a blessés. Je vais extraire la partie litigieuse avant une prochaine réédition[21].
Une lettre d’excuses est exigée par les autorités traditionnelles d’Idool et finit par leur être adressé le 10 août 2023, avec pour objet « Lettre d’excuse publique relative à la polémique sur certains passages de mon livre intitulé : ‘‘Mon père ou mon destin’’ ». L’autrice s’adresse « aux populations du village Idool S/C S.M. Mohaman Ahman, chef traditionnel de 3e degré d’Idool » en ces termes :
« En référence à la lettre n°036/L/RA/DRAC/SALLP/023 du 23 mai 2023 du délégué régional, du ministère des Arts et de la Culture et conformément aux résolutions à la séance de travail tenue le 08 août 2023 entre les différentes parties ayant objet la médiation et la réconciliation entre la délégation d’IDOOL et l’autrice que nous sommes, aux services du gouverneur de la région de l’Adamaoua, en présence des émissaires du ministère des Arts et de la Culture, sous la coordination de Monsieur le Gouverneur, j’ai l’insigne honneur de venir, par la présente, cous [sic] présenter officiellement, solennellement et publiquement mes sincères excuses pour avoir heurté vos sensibilités, inconsciemment dans certains fragments de mon œuvre romanesque, reposant sur la pure fiction littéraire que j’ai publié au mois de mai dernier, aux éditions MD. (…) Animée par un esprit de paix et de sincérité, c’est après la publication de notre roman que l’ampleur qu’il a pris dans notre société que nous nous sommes rendues compte du caractère sensible et complexe de certains passages de cette œuvre littéraire. A présent, nous avons découvert avec regret que notre ouvrage a heurté la sensibilité des nobles populations du village Idool, qui promeuvent et sauvegardent leurs valeurs culturelles séculaires. Ainsi, compte tenu des faits et des circonstances, je voudrais à nouveau implorer votre pardon. Je vous réaffirme ma disponibilité à entreprendre toutes les démarches visant à renforcer la cohésion sociale, le respect de la dignité humaine et le vivre-ensemble. Pour cela, je prends l’engagement d’apporter toutes les corrections nécessaires afin de restaurer à ces populations leur dignité et à notre roman, son genre littéraire. Veuillez agrée [sic], l’expression de mon profond respect ».
Les ampliations sont opulentes, signe d’une volonté de communiquer à très large spectre mais aussi traceur d’une chaîne patriarcale plus ou moins consciente d’elle-même, actrice ou intéressée par l’issue de l’affaire : Services du premier Ministre, ministère des Arts et de la Culture, ministère de la Justice, Service du gouverneur de l’Adamaoua, Préfecture de la Vina, Sous/ Préfecture de Bélel, Délégation des arts et de la culture de l’Adamaoua, Lamidat de Ngaoundéré. Ces multiples destinataires témoignant d’un faisceau de surveillance reposant sur des institutions administratives, judiciaires, traditionnelles et religieuses, autant de cercles intriqués s’autoalimentant dans la production de l’ordre patriarcal.
Si les autorités publiques ne sont pas à l’initiative de la demande d’ostracisation de la jeune autrice, voire de judiciarisation de son travail, c’est leur investissement en soutien d’un processus de remaniement littéraire qui frappe. En effet, l’on a observé une légitimation étatique d’une sorte de cancel culture réclamée par les autorités traditionnelles de la localité d’Idool et largement décriée par des médias[22] et des organisations de la société civile. Elle s’est faite malgré moult précautions visant à présenter cet investissement en termes de « médiation » et indiquant que l’écriture « responsable » n’est pas nécessairement le produit d’une autodiscipline. La fabrique de l’écrivaine « responsable » est le produit d’une violence faite chose et faite corps, avec comme épée de Damoclès sur la tête, un procès en diffamation. Renvoyée au 17 août 2023, l’affaire se solde par un retrait de la plainte par le Djaourou Mohaman Ahman devant le tribunal de première instance de Ngaoundéré la veille de l’audience. Son avocat indique que : « Nous avons déposé une lettre de désistement et, conformément aux dispositions de l’article 62 du Code de procédure pénale, le désistement volontaire de la victime, qui a mis en mouvement l’action publique, éteint cette action. Le débat est terminé »[23].
L’extinction de l’affaire s’est aussi largement construite sur le dos d’un éditeur dont le manque de professionnalisme sera mis en relief comme argument d’absolution. Figure de l’exploitation éditoriale, selon l’analyse de la jeune autrice elle-même, le promoteur de MD, maison d’édition du texte au cœur de la polémique a fini par être désigné comme unique coupable des manquements constatés. Cette subordination, y compris par le pouvoir (de mal faire), s’ancre dans une idéologie patriarcale socialement et historiquement consolidée, ayant le pouvoir pratique et symbolique d’initier une attribution secondaire qu’Emmanuel Lévinas appellerait une substitution par l’affirmation d’une responsabilité pour l’autre, radicale et abrupte (Lévinas, 1991, p. 212). En revanche, le processus de dé-substantiation, qui est concomitamment sexualisation de la responsabilité de fait, sera soutenu par une validation mutuelle d’acteurs religieux, administratifs et judiciaires, sans s’accompagner d’une action judiciaire à l’encontre de l’introuvable éditeur[24]. Elle est dépossession machinale, consentie (de gré ou de force) par des institutions patriarcales autorenforçantes et marqueur d’une violence symbolique à l’endroit de l’autrice puisqu’elle ne devient efficiente « que par l’intermédiaire de celui qui l’exécute » (Bourdieu, 1997, p. 243). En effet, cette violence est une « coercition qui ne s’institue que par l’intermédiaire de l’adhésion que le dominé ne peut manquer d’accorder au dominant (donc à la domination) lorsqu’il ne dispose, pour le penser et pour se penser ou, mieux, pour penser sa relation avec lui, que d’instruments qu’il a en commun avec lui » (Bourdieu, 1997, p. 245).
Le déplacement du débat du terrain de la liberté fictionnelle vers celui de la responsabilité professionnelle d’un éditeur qui n’en n’est pas vraiment un, est expression d’une forme de dénonciation d’un rapport de domination économique et symbolique : les forces du maintien de l’ordre patriarcal réalisent une opération d’usurpation de soi (Lévinas, 1991, p. 216). Dans sa lettre d’excuses à la population d’Idool, l’autrice, assiégée, attribue de manière exclusive la responsabilité à l’éditeur :
La bonne foi et la volonté d’effectuer un travail objectif qui nous anime, nous nous sommes référés à un certain et supposé éditeur, Monsieur Mve Dexter, promoteur de MD Edition, pour bénéficier d’un encadrement adéquat, efficace et efficient. Malheureusement, ce dernier non seulement, ne nous a pas apporté un accompagnement nécessaire, mais aussi, a publié de manière prématurée mon manuscrit sans tenir compte au préalable des insuffisances sémantiques et syntaxiques, choses qui pourraient ternir la notoriété de notre roman. Pire encore, tout au long de notre travail, celui-ci n’a en aucun cas respecté les pratiques éthiques et de déontologies de ce métier, conformément à la réglementation en vigueur.
Sur son compte Instagram, Marzouka Oummou Hani publie le communiqué de presse de l’éditeur barré d’un « faux » en gros caractères rouges, avec le message « Le livre n’est plus disponible chez ce monsieur Mve Dexter. Mon contrat avec lui est sur le point d’être résilié. Faites attention. Que personne n’achète chez lui. Max de partage svp »[25]. La reprise en main par les Editions Proximité, dénote d’une volonté d’alignement sur les normes en vigueur. Créée en 2002, cette maison qui se présente comme mue par un double constat : « la difficulté des jeunes auteurs à être publiés localement d’une part, et la volonté de favoriser la circulation des publications locales et étrangères à un coût accessible d’autre part »[26]. Ayant coédité l’un des romans de Djaïli Amadou Amal[27], l’on peut considérer que son soutien à la jeune autrice s’est étendu à cette facilitation éditoriale.
Cet effort de renversement du rapport de force entre l’éditeur et l’autrice est largement facilité par les mêmes qui la tiennent pour non responsable (voir sur cette relation Bessard-Banguy, 2018). Elle est l’une des expressions du rejet d’une relation structurellement déséquilibrée du centre à la périphérie septentrionale du pays, souvent objet plutôt que sujet d’action. Il s’apparente à une sorte d’activisme développementaliste, d’essence impérialiste[28], identifié six ans plus tôt comme structurant dans le rapport des « autres » à Idool. Elle s’ancre dans une ligne de fracture profonde du pays, la ligne Nord-Sud (« Wadjo-Gadamayo »), marquée par un déclassement marqué desdites régions ; à savoir l’Extrême-Nord, le Nord et l’Adamaoua. Les marqueurs en sont une grande inégalité devant l’accès aux services sociaux essentiels : taux de pauvreté élevé, niveau de scolarisation faible (taux d’alphabétisation, taux d’achèvement du primaire faible, niveau d’encadrement élève- enseignant au primaire et au secondaire faible), offre sanitaire réduite, réseau routier est largement sous-développé, etc.
De la transgression thématique à la transgression sociale : poids de la volonté d’autodétermination féminine
Penser la silenciation, c’est d’abord rappeler que le pouvoir de la parole publique, quelle qu’en soit la forme et le support, est une compétence socialement inégalitaire, marquée par des processus antagonistes (Bourdieu, 1982). Pour les femmes, s’exprimer c’est surtout prendre la parole dans l’espace privé, où elles « détiennent, pratiquent, échangent la parole de l’intime (…) Elles parlent de leur corps (règles, ménopause) ainsi que de la ‘‘mise en scène’’ de celui-ci (vêtements, coiffure), de leur vie sexuelle, de leurs expériences de ce qu’elles vivent au jour le jour, de leurs histoires d’amour, de leurs enfants (…). Elles abordent les problèmes rencontrés avec leurs enfants, leur mari, leur petit ami. Elles gardent rarement pour elles tout ce qui touche à leur vie privée, aux êtres avec qui elles partagent le quotidien. Et elles en parlent en priorité à d’autres femmes, aux ‘‘copines’’, avec qui elles échangent propos, informations, réflexions » (Mossuz-Lavau & de Kervasdoué, 1997, p. 17). Par fondement transgressive dans l’ordre patriarcal, l’écriture féminine/féministe est une tentative d’affirmation de soi à la première personne, contre la hiérarchie des sexes, l’infériorisation, la subordination et l’invisibilisation des femmes. Le roman s’ouvre sur une formule remarquable : « Au nom d’Allah le Tout-Miséricordieux, le Très-Miséricordieux. Je le remercie pour cette grâce. » La tentative infructueuse de faire passer un pouvoir d’énonciation en l’enrobant d’entrée de jeu de diverses et circonspectes précautions[29], est sans doute une métaphore de l’articulation des forces patriarcales lorsqu’elles œuvrent à réduire au silence (Guilhem, 2008, p. 15). De la transgression thématique à la transgression sociale, l’écriture d’une cadette sociale (1) fonde et donne lieu à une réorganisation des forces de soutien aux femmes (2).
Quand une cadette sociale écrit
Le marché linguistique est travaillé par de la violence, des désaccords, de la négociation ou de la résistance comme le soulignait déjà Pierre Bourdieu (1982). Il montrait en effet que parler situe dans un espace d’interactions verbales où s'inscrivent dans et par la langue des rapports de forces. Cette observation est tout aussi vraie dans le champ littéraire évidemment (Bourdieu, 1992 ; Sapiro, 2014) comme l’illustre la construction et la réception du travail jugé transgressif de Marzouki Oummou Hani dans ses deux éditions (2023 et 2024). Mettre en contexte la transgression par des actes de langage dans certaines sociétés peules (Idool en est une) doit être faite. L’on pourrait partir de propositions monographiques de Dorothée Guilhem portant sur les Peuls Djeneri. Pour elle, l’une des dimensions du charme féminin est le silence et la réserve (« munyal ») :
Une femme doit cacher à autrui ses émotions durant les interactions sociales. Fixer du regard autrui est ainsi interprété comme de l’amour ou comme de l’impolitesse. L’expression peule ‘‘la femme marche comme une vache’’ désigne le fait de regarder ses pieds en marchant. Cette expression suggère que le charme féminin repose aussi sur une attitude réservée.
Cette injonction de réserve est ancienne et s’inscrit dans des balises religieuses d’un « islamisme rigoureux qui tient les femmes à l’abri des tentations, en protégeant le village des maladies vénériennes est aussi un facteur important de ce renouveau démographique » (Boulet, s.d.)[30]. Cette relégation est aussi régulation de la circulation des corps féminins comme l’avait déjà relevé Danièle Kintz au sujet de certaines sociétés peules[31]. Le silence régit la quotidienneté féminine par le fait du confinement de leur parole dans l’espace privé. On peut parler, mais dans sa cour, et certainement pas écrire de manière transgressive.
Comme Kambili, adolescente nigériane timide et en souffrance de 15 ans, personnage central du roman L’Hibiscus pourpre de Chimamanda Ngozi Adichie racontant son calvaire sous le joug d’un père courageux, pieux catholique, riche entrepreneur, tyran fanatique et violent dans sa famille (Ngozi Adichie, 2016), Astawabi est une jeune fille de 17 ans vivant dans une geôle patriarcale. À l’image de son héroïne, l’autrice vit dans une société où le mariage précoce est un frein spécifique à l’éducation et à l’autodétermination des filles. En effet, avec un taux de 38 % des filles mariées avant l’âge de 18 ans, le Cameroun est l’un des 20 pays au monde où le taux de mariage des enfants est le plus élevé. Ce chiffre varie selon les régions et atteint jusqu’à 73 % dans la partie septentrionale du pays. Le mariage des enfants est enraciné dans un certain nombre de facteurs interdépendants, tels que la précarité, les traditions socioculturelles et religieuses, la sous-scolarisation des filles et le manque d'éducation, en plus de la discrimination sociale et juridique à l'encontre des filles et des femmes, qui sont souvent considérées comme un poids pour leur famille[32]. Plus de la moitié des filles sans instruction sont mariées, contre une sur dix pour les filles ayant fait des études secondaires, et presque aucune pour celles ayant fait des études supérieures. La déscolarisation expose les filles à un risque accru de mariage d’enfants et de grossesses précoces. Il a été mis en évidence par Cislaghi et al. (2019) qu’une écologie de facteurs matériels, institutionnels, individuels et sociaux s'entrecroisent pour soutenir le mariage des enfants : pauvreté, faible niveau d’éducation et modèle de conjugalité avec une incidence liée à la polygamie.
Si le village Idool fait exception, c’est précisément et largement en raison de la vision moderne qui est à l’origine de sa fondation, faite notamment d’une scolarisation sans discrimination de genre. Lors des entretiens conduits en 2018, l’un de ses fils rappelait que, pour Oumarou Yaya, fondateur du village, l’éducation est un filet d’accomplissement, « un moyen d’accéder aux bénédictions divines »[33]. Le chef soutenait dans le cadre de ses prêches que « chercher à s’instruire c’est poser des actes méritoires et bénéfiques » pour soi-même et pour « la construction d’une vie communautaire meilleure ». L'un des princes indiquait, à la suite d’autres dans le cadre d’un focus group organisé avec quelques enseignants et parents d’élèves du collège du village, que ce sont les contraintes économiques qui fondaient la préférence masculine dans l’éducation et poussaient parfois au mariage précoce des filles. Lors des entretiens, plusieurs lycéennes avaient exprimé la volonté de « vivre libre et de travailler dans des espaces publics ». Certaines ont partagé cette revendication dans des réseaux sociaux qu’elles montraient fièrement : « je veux être libre », « laissez-moi vivre ma vie », mentionnaient des posts. Deux jeunes filles lycéennes ont fait part de leur désir de se marier hors du village. Ces aspirations sont au cœur du roman qui, dans un passage, relate un échange entre Astawabi et son père : « Baba, j’avais une demande. Je sais que vous ne voulez pas me laisser partir, mais je voulais continuer mes études ; j’aimerai tant aller en ville continuer. Je rêve de devenir une grande écrivaine » (p. 12)[34]. La réponse de ce dernier est sans appel :
Ma fille, tu as passé l’âge de toutes ces bêtises ; maintenant, tu dois te concentrer pour apprendre comment prendre soin d’un homme. Et incha Allah, on va te trouver in [sic] bon jeune homme pour t’épouser. J’ai assez patienté. Je t’ai laissé aller au secondaire, mais à présent je n’y peux plus rien pour toi. Tu es consciente que c’est à travers les bourses que tu en es arrivée là ? Sinon, moi, je n’aurais jamais financé pour ses [sic] bêtises là. Je t’ai juste laissée parce que tu es mon unique fille. (p. 13)
La prison patriarcale, décrite par une formule significative (« ne pas réaliser ses rêves, c’est comme ne pas pouvoir respirer »[35]), repose sur des rapports de brutalité et de subordination fondés sur le sexe, la séniorité, la position dans la lignée, mais aussi sur la richesse qui peut redistribuer des ressources pratiques et symboliques. La recherche ethnographique antérieure insistait déjà sur ces relations de subordination sociale mais relevait aussi que les femmes d’Idool œuvraient, dans les espaces conférés (essentiellement domestiques et clos, dans les sarés[36]), à se réapproprier leur existence, de sorte que penser leur présence au monde emportait toujours l’épreuve de leur visibilité.
De fait, les femmes d’Idool sont pratiquement et symboliquement attachées au saré. Le poids de la religion, des pratiques sociales et traditionnelles, telles que le patriarcat et le pulaaku (sorte de code de conduite peul), leur impose une dichotomie spatiale intérieur/extérieur ou privé/public dans le village. Cet état de fait laisse clairement transparaître une division sexuelle non seulement des tâches et des activités, mais aussi des espaces de circulation. La femme s’occupe des activités domestiques, où elle s’attelle à l’entretien de son saré, à l’accomplissement des différents travaux ménagers et à l’éducation des enfants. Elle n’accède pas à l’espace public, qui est masculin, c'est-à-dire occupé exclusivement par les hommes. Cet espace public apparaît comme une zone grise pour toutes les femmes, y compris celles qui, mariées à l’extérieur du village (des cas très isolés), doivent s’y tenir et s’en accommoder quand elles reviennent dans leur village natal. Seules les jeunes filles scolarisées peuvent être visibles dans les rues quand elles vont et reviennent de l’école et aussi les femmes qui viennent d’ailleurs. On peut aussi dans des cas très limités, apercevoir des veuves et des divorcées. Même un taux de scolarisation remarquable ne remettait pas en cause l’horizon incontournable d’un enfermement dans des espaces clos. Cette violence est déjà présente dans le témoignage d’une figure littéraire de référence, largement citée au plus fort de la polémique. Il s’agit de Djaïli Amadou Amal, lauréate du Goncourt des lycéens 2020[37] et originaire du Septentrion camerounais, qui avait elle-même auparavant indiqué que les livres avaient fait germer en elle « une petite graine d’insoumission »[38], la portant à faire de la littérature une arme de libération et d’amplification de la voix des femmes du Sahel au sujet de thèmes proches de ceux abordés par la jeune Marzouka : mariages et maternités précoces qui éliminent de manière systématique les filles de l’espace public en les enfermant dans une prison patriarcale. De son propre témoignage, l’accent mis sur le parcours scolaire est saisissant :
A l’école primaire, nous étions une cinquantaine de filles pour une cinquantaine de garçons. Et puis, en secondaire, les filles disparaissaient peu à peu comme par enchantement. Elles n’avaient plus qu’un horizon : le mariage. Qu’un destin : la maternité. Il leur suffisait donc de savoir tenir une maison. A 14 ans commençaient les pressions familiales et la ronde des prétendants, les tractations, les fiançailles. Et mes copines quittaient l’école les unes après les autres en trouvant cela normal[39] (Amadou Amal, 2020, p. XX).
Pour l’une et l’autre écrivaines, l’acte littéraire est une démarche personnifiée qui confronte à des combats de libération et de libre circulation. Cet acte de liberté témoigne de ce que, même dans un espace symboliquement clos, la parole est possible et ouverte ; selon la formule d’Édouard Glissant, une « parole baroque, inspirée de toutes les paroles possibles » (Glissant, 1990, p. 89). Les différences dans la vie des femmes et dans leurs réponses à cette violence peuvent aider à présager d’une situation sociale où l’insatisfaction de ces dernières va grandissante et qu’elles en veulent plus en termes d’accès aux droits. Ce sont là quelques-unes des trouvailles ethnographiques faites six années plus tôt. La réception sociopolitique et culturelle de Mon père ou mon destin rend vivantes et tangibles les luttes contre le poids des ressorts structurels fondant et garantissant le silence et l’invisibilité des femmes par les forces du maintien de l’ordre patriarcal.
Deux figures féminines miroir : la mère et la référence littéraire
La figure de la mère, centrale dans le discours féministe (Bretécher, 1982), est pour Astawabi une avocate acharnée de sa fille qu’elle veut sauver d’un contrat de mariage fondé sur une dette financière contractée par le père en échange de la promesse de marier sa fille à l’âge de 17 ans. Cette idée de marchandisation dont les femmes sont l’objet dans les sociétés est centrale dans les analyses d’orientation marxiste. Luce Irigaray montre qu’en tant que valeur d’échange et valeur d'usage, les femmes sont des « objets-marchandises » reléguées à un rôle passif dans le processus d'échange organisés par et pour le bénéfice des hommes, « sujets-producteurs » (Irigaray, 1997). Dans cette économie patriarcale, Astawabi est objet utilitaire porteur de valeur : par le mariage, elle devient un miroir de valeur utilisé pour faciliter les relations entre hommes. Luce Irigaray ajoute que dans cette marchandisation, les femmes ne sont compensées que par l'oppression et le marquage au fer rouge du nom du père. La mère du personnage central va plaider grand succès pour la sortir de cette économie dans laquelle sa fille n’est qu’une enveloppe de possibilités intangibles déterminée par les hommes. Cette commodification peut aussi être remboursement d’une créance pesant sur les parents et les réduisant au statut d’esclave (Atwood, 2009).
Pourquoi punis-tu notre fille ? Elle ne mérite pas cette vie. Elle ne mérite pas cet homme que tu appelles ton ami qui a déjà une femme et des enfants qui font son âge. Elle mérité [sic] d’aller poursuivre ses études ; elle est déjà grande et responsable. S’il te plait, je t’en supplie mon cher époux pense à son avenir. Cet homme fera d’elle son exclave [sic] sexuelle, sa domestique. Va-t-elle s’entendre avec son épouse et ses enfants ? Sera-t-elle heureuse ? (p. 21).
Astadicko, en guise de testament, prescrira à sa fille : « Je veux que tu sois forte, heureuse, bats-toi pour réaliser tes rêves ; tu en es capable. Tu dois avoir confiance en toi, personne ne doit te faire te sentir inférieure, ma fille est capable, chaque fois que tu es dans une situation difficile, dis-toi que tu es capable de l’affronter. Tu es une femme forte Asta » (p. 69). La mère est aussi centrale dans le récit que manifestement dans la vie de l’autrice puisqu’en quatrième de couverture, la note biographique la présente comme « fille de la femme d’affaires Hadja Bilkissou », la sobre référence à la figure paternelle est faite dans les remerciements, après la mère, « femme forte et courageuse ; elle m’a soutenue pour réaliser mon rêve ». Dans le roman comme dans la vie de l’autrice, la mère est très influente. La médiation administrative pour le remaniement de l’écriture s’est faite en sa présence comme le rappelle le chef du village d’Idool lors de son interview à Cameroon Tribune. Pour certains, l’investissement de la mère est le reflet d’une ambition imposée à sa fille. Sur les réseaux sociaux, un post de Dewa Aboubakar, qui se propose d’expliquer selon ses mots « cette affaire de façon terre à terre », soutient que « c’est la culture du Nord-Cameroun qui est la cible. Sa maman croyait avoir une future Djaili. Elle a eu la célébrité au péril de la réputation de notre culture. Aujourd'hui aux yeux des pseudo-défenseurs des droits de la femme, et des libertés, le Nord-Cameroun, c'est l'enfer ». De son post, l’on apprend que le refus de se soumettre à toutes ces injonctions vient de la mère de l’autrice : « Elle a dit qu’elle n’a peur de rien et que [sic] elle va enfermer tous les gens de Idool [sic] même ».
Par-delà la petite querelle littéraire, la grande cause du pouvoir de parler apparaît, portée par de fortes figures féminines telles que la mère mais aussi, de manière plus ambiguë, par l’aînée de référence et la brillante protectrice, Djaïli Amadou Amal. Figure miroir systématiquement invoquée par de nombreux journalistes traitant de cette actualité[40], elle apparaît de manière allusive dans le roman comme réussite inspirante. L’écrivaine sera amenée à exprimer un soutien embarrassé à la jeune autrice. Face à la polémique qui gronde, le 20 juillet 2023, jour du procès, elle signe une tribune et s’engage à aider la jeune autrice dans la réécriture de son roman. Tout en reconnaissant avoir été contactée par Marzouka Oummou Hani via Instagram pour un appui dans sa recherche d’un éditeur, l’échange n’ayant pas prospéré faute de retour de la part de la jeune autrice, elle prend en charge les attaques dont elle est l’objet en les réorientant sur un ton destiné à recadrer une cadette sociale dont « l’immaturité » est due à « son très jeune âge ». Elle met en avant son propre parcours d’écrivaine confrontée à des attaques similaires : « Je l’ai vécu également quand on m'a reproché de prôner la révolte des femmes, de trahir les traditions, d'être une mauvaise musulmane et j’en passe. ». En mettant l’emphase sur la piste de la réécriture du roman, elle suggère, offrant du grain à moudre aux partisans du remaniement littéraire, que :
Marzouka va réécrire le livre en ajustant autant que besoin les parties qui ne répondraient pas au code du roman, bien entendu en préservant la liberté d'expression inaliénable. Et évidemment, je m'engage à l'encadrer pour ses publications. En tant qu’écrivains, nous n'avons jamais l'intention de bafouer nos traditions ou d'insulter qui que ce soit. Même si on prend un village, un lieu comme cadre de notre écriture, un roman reste avant tout une œuvre de fiction. Une fiction veut dire une histoire inventée, imaginée. C'est le lieu également de pointer la part de responsabilité des éditeurs peu crédibles à compte d'auteurs, sans réelle compétence d'édition, qui exploitent l'inexpérience des jeunes écrivains dont ils ne sont même pas prêts à accompagner et encore moins défendre. Voilà pour l'essentiel mes observations. Je suis évidemment en contact avec Marzouka et tâche à œuvrer avec toutes les parties prenantes pour la suite. La plainte formulée à son encontre n'a pas lieu d'être et doit être retirée. Je la soutiens et je trouve que c'est une jeune fille courageuse et pleine d'avenir dont je suis fière.
La tribune lui permet également de se poser en figure tutélaire prescrivant l’ordre et le respect des insiders. D’une autorité assumée, elle souligne l’exigence de s’en remettre aux aînés : « mon message aux jeunes qui aspirent à écrire c'est de s'en remettre absolument aux aînés pour les accompagner dans leur projet d'écriture. C'est ce que j'avais fait en me rapprochant de Pabe Mongo et le Cercle de la Nolica où, pendant près de deux ans, j'ai participé aux ateliers d'écriture aux côtés de bien d'autres écrivains qui m'ont partagé leurs expériences, avant de m'engager proprement à éditer mon premier roman. Écrire est un exercice de longue haleine, où la patience est de rigueur et la précipitation à proscrire ».
Le rappel à l’ordre de la cadette s’inscrit dans le fait, soutient-elle, que la région septentrionale a ses spécificités, ses règles, « traditions qui nous sont chères, des valeurs etc. ». En réponse, dans l’édition de 2024 dont vraisemblablement elle facilite l’accès à une maison bien plus professionnelle, d’entrée de jeu, la jeune autrice remercie de manière appuyée sa généreuse protectrice : « ‘‘L’écriture n’est pas une course. Il faut lire, relire, relire, retravailler mot par mot. Phrase par phrase. Il faut peser chaque virgule, chaque propos…’’. Conseils de Djaïli Amadou Amal. Ma marraine, celle qui m’a permis de voir l’écriture sous une autre dimension. Merci infiniment »[41]. Le Prix Goncourt des lycéens les avait antérieurement brillamment décrites dans son roman Les impatientes, mettant en lumière les affres de la prison dorée du mariage, souvent forcé et polygamique. En ne lui concédant rien d’autre que son jeune âge et en lui suggérant d’un ton relativement haut, de réécrire son œuvre sous son encadrement, Djaïli Amadou Amal a nourri les forces patriarcales organisant la prise de parole et la réduction au silence des femmes.
Au total, la construction et la réception du travail de Marzouki Oummou Hani dans ses deux éditions (2023 et 2024) est un traceur pertinent de la violence patriarcale en tant qu’injonction au silence. La réécriture prescrite de son roman a permis d’en déconstruire la mécanique (confession publique, amende honorable, lettre réhabilitant la figure du souverain chef de troisième degré, déresponsabilisation de la jeune autrice) et d’en évaluer l’efficacité disciplinaire. En revanche, cette occurrence littéraire, ancrée dans l’invocation matricielle de la figure et du pouvoir du père, comme celle du père de la nation, dans une symétrie et une fluidité de la puissance paternelle de l’espace familial à l’espace public peut être relevée. La forte mobilisation administrative (du Sous-préfet au Gouverneur en passant par la représentante du ministre) peut être pensée comme une démarche de préservation de l’honneur du Souverain de référence auquel certaines autorités administratives feront explicitement référence : « le Chef de l’Etat ». La production administrative et judiciaire de la silenciation vise la quête d’une harmonie troublée par l’insolente écrivaine dont le travail viserait ultimement celui qui garantit ultimement le substrat patriarcal. L’empreinte symbolique de la figure paternelle fait écho à celle du chef de l’État qui, par-delà les chants patriotiques qui l’exaltent lors des évènements commémoratifs[42] et sa désignation de « Père de la nation »[43] sur le site de la présidence de la République[44], est bel et bien un parallèle intéressant dans la production de l’ordre littéraire. Ce parallèle n’est pas sans rappeler la lecture faite par Élisabeth Badinter qui conçoit le patriarcat comme structure sociale de confiscation des pouvoirs, les pouvoirs du père, et avec lui, ceux du chef varient d’une société à l’autre (Badinter, 2002, p. 107). Le maintien de l’ordre patriarcal est un des sites du prolongement de l’ordre politique incarné par un Sujet Souverain pensé par Michel Foucault tant dans l’Ordre du Discours (1970) que dans Surveiller et punir (1975).
Notes
[1] Le roman ici considéré, d’une centaine de pages, comporte de nombreuses fautes et erreurs, signe d’une jeunesse d’écriture et d’un travail d’édition peu rigoureux.
[2] Voir aussi l’article 1er de la Déclaration sur l’élimination des violences à l’égard des femmes, 20 décembre 1993.
[3] Nous citons Rona Kaufman: “Patriarchal violence is all violence that creates or maintains men’s power and dominance, or avenges the loss of their power. It is the enforcement tool that sustains the patriarchy, that is, the institutionalization of male superiority and female subordination. It manifests on internalized, interpersonal, social, and institutional levels through an interconnected system that harms, undervalues, and terrorizes girls, women, and other gender-oppressed people. It often manifests as private interpersonal violence such as sexual harassment, sexual assault, and family violence. The harms caused by interpersonal acts of patriarchal violence are compounded by social and institutional patriarchal violence. Patriarchal violence creates a process of intimidation by which all men keep all women in a state of fear” (Kaufman, 2023, pp. 519-520).
[4] Sur cette notion, voir l’usage qu’en font deux auteurs au sujet de la résilience des catégories laborieuses urbaines (Desmond & Travis, 2018).
[5] Sur les esclaves noirs et leurs descendants, voir Herbeau, 1970 ; Mattos, 2019 ; sur les immigrés voir Noiriel, 2007 ; sur les subalternes voir Guha, 1997, sur les classes ouvrières et populaires, voir Thompson, 1963. Sur les femmes, Perrot, 2001 ; Greaves, 1985.
[6] Voir également Tati Loutard, J. B., 2003.
[7] Plus anciennement, voir Michel, 1986.
[8] Dans sa leçon inaugurale de 1970 en effet, Michel Foucault confronte le désir « Je ne voudrais pas avoir à entrer moi-même dans cet ordre hasardeux du discours, je voudrais qu'il soit tout autour de moi comme une transparence calme, profonde, indéfiniment ouverte, où les autres répondraient à mon attente, et d'où les vérités, une à une, se lèveraient" et l’institution qui lui répond : "Tu n'as pas à craindre de commencer, nous sommes tous là pour te montrer que le discours est dans l'ordre des lois ; qu'on veille depuis longtemps sur son apparition ; qu'une place lui a été faite, qui l'honore mais le désarme ; et que s'il lui arrive d'avoir quelque pouvoir, c'est bien de nous, et de nous seulement, qu'il le tient » (Foucault, 1970).
[9] Il faut rappeler en effet que la censure littéraire a été courante mais le recours à l’injonction de réécriture est invoqué pour la première fois en direction d’une jeune autrice de 17 ans.
[10] Je tiens à remercier grandement ici Cécilia Lynch, Tatiana Fouda et Daïrou Bouba avec qui cette recherche a été menée en 2018. Quelques entretiens ont été réalisés en 2023 et 2024.
[11] Voir également et Brionne (1965) et dans l’usage constructiviste ici privilégié, Watzlawick (1988).
[12] Sur cette notion, voir de nombreux travaux de la sociologie de l’État et tout particulièrement Bayart, 1985 et 1989.
[13] Communique of the Social Affairs Commission of the Cameroon Bar Association, 20th of July 2023 (notre traduction).
[14] En première ligne du collectif, l'Universal Lawyers and Human Rights Defense met six avocats sur le dossier (Me Dominique Fousse, Me Moteng, Me Yanou, Me Massi, Me Oyie et Me Nwayin).
[15] Josiane Kouagheu, « Au Cameroun, une écrivaine de 17 ans en guerre avec son village », Le Monde, 31 juillet 2023 (https://www.lemonde.fr/afrique/article/2023/07/31/au-cameroun-une-ecrivaine-de-17-ans-en-guerre-avec-son-village_6184022_3212.html, consulté en août 2023).
[16] Josiane Kouagheu, « Au Cameroun, une écrivaine de 17 ans en guerre avec son village », Le Monde, 31 juillet 2023 (https://www.lemonde.fr/afrique/article/2023/07/31/au-cameroun-une-ecrivaine-de-17-ans-en-guerre-avec-son-village_6184022_3212.html, consulté en août 2023).
[17] La recherche ethnographique montre à quel point le fondateur du village est un prisme décisif dans la construction politique, socio-économique, religieuse et même écologique du village.
[18] Cameroon Tribune, p. 25.
[19] Cameroon Tribune, p. 25.
[20] Cameroon Tribune, p. 25.
[21] Interview de Marzouka Oummou Hani, Cameroon Tribune, 09 août 2023, p. 24.
[22] Le journal Mutations parle « Idool. Le livre qui fâche ». La Voix des jeunes relève que « cette œuvre littéraire, écrite dans un style émouvant, trouve des parallèles avec le travail d'autres écrivaines avant-gardistes, telles que Djaïli Amadou Amal, qui ont osé élever la voix des femmes dans des sociétés où elles étaient souvent marginalisées. L'écrivaine a d'ailleurs apporté son indéfectible soutien à Marzouka Oummou Hani et s'engage à l'accompagner à l'avenir » https://voixdesjeunes.com/actualite/affaire-marzouka-oummou-hani-le-proces-de-la-jeune-ecrivaine-de-17-ans-renvoye-au-17-aout-2023, consulté en août 2023. Paul Chouta écrit un long post relevant que « dans une région classée zone d'éducation prioritaire où la parole chez la femme n'est pas libérée, on comprend que beaucoup d'efforts sont encore à faire pour faire évoluer les mentalités ».
[23] Cameroon Tribune, « Affaire Marzouka : la page judiciaire close », 21 août 2023.
[24] En effet, les Editions MD 2023, qui indiquent comme adresse « B.P. : Messamendongo – Commissariat- Yaoundé », n’ont pu être repérés au lieu-dit. Le numéro ISBN indiqué (à savoir 978-9956-1-1713-0) n’a pas pu être retrouvé dans les catalogues de livres. Aussi pour les besoins de cet article, les appels téléphoniques renvoient à la messagerie vocale indiquant que les numéros sont indisponibles.
[25] Ledit communiqué, datant du 21 juillet 2023, précise en en-tête « Les Editions MD : Fièrement aux côtés de l’auteur Marzouka Hani et de son livre ‘‘Mon père, mon destin’’ » (compte instagram consulté en février 2025, https://www.instagram.com/marzouka_oummouhani/p/CvAJGIfLf64/. Le livre sera réédité par une autre maison, Editions Proximité, à Yaoundé en juin 2024 moyennant quelques remaniements et compte dans cette édition, 90 pages (https://www.youscribe.com/BookReader/Index/3708327/?documentId=6076110).
[26] https://www.alliance-editeurs.org/proximite,1199 (consulté en février 2025).
[27] Il s’agit des éditions camerounaises de Walaande. L’Art de partager un mari, 2010 et Le harem du roi, 2024.
[28] Voir par exemple l’analyse qu’en font Kemedjio et Lynch, 2024.
[29] L’héroïne fait face à un tiers qui lui propose de porter le voile en ces mots : « j’aimerais que tu t’habilles comme une véritable musulmane, mettre le voile et croire en Allah. Je me suis rendu compte que ta foi en lui est très faible. La pudeur fait partie de notre foi. Je ne veux pas t’imposer de faire ce qui te déplait ; je voulais te dire ce que je pensais. L’Islam est la plus belle des religions. Prier Allah, lui demander tes souhaits, faire des invocations quotidiennes pour qu’il te protège contre le mal peut radicalement changer ta vie ». À ce prosélytisme discret, Astawabi répond « je ne connais pas cette religion. Certes, mon père avec lequel j’ai grandi était un musulman, mais je ne connais rien de la religion islamique » (p. 76).
[30] Réalisée par un anthropologue de l’Office de la recherche scientifique et technique Outre-Mer (ORSTOM), la monographie indique à la page 16, note de bas de page 2, que l’enquête a été réalisée en avril 1967.
[31] Il s’agit en particulier d’une injonction de ne pas se montrer en public, de rester dans sa cour, réclusion socialement déterminée, Kintz D., (1988). Hommes formels, femmes informelles et le soutien des peuls à leurs anthropologues, Journal des anthropologues, (34), pp. 59-66.
[32] Ces chiffres sont fournis par l’organisation Girls not Brides https://www.girlsnotbrides.org/learning-resources/child-marriage-atlas/regions-and-countries/cameroon/ (consulté août 2023).
[33] Entretiens et focus group du 12 février 2018.
[34] Tous les passages sont repris in extenso, sans correction.
[35] Cf. quatrième de couverture du roman.
[36] Maisons en Fulfuldé, langue parlée à Idool.
[37] Le roman primé est intitulé Les Impatientes (2020).
[38] Le Monde, Entretien avec Annick Cojean, 7 mars 2021 (https://www.lemonde.fr/idees/article/2021/03/07/djaili-amadou-amal-laureate-du-prix-goncourt-des-lyceens-avec-les-livres-une-petite-graine-d-insoumission-a-germe-en-moi_6072234_3232.html).
[39] Le Monde, Entretien avec Annick Cojean, 7 mars 2021 (https://www.lemonde.fr/idees/article/2021/03/07/djaili-amadou-amal-laureate-du-prix-goncourt-des-lyceens-avec-les-livres-une-petite-grain`$^e-d-insoumission-a-germe-en-moi_6072234_3232.html).
[40] Voir notamment « Cameroun - Justice. L'écrivaine Djaili Amadou Amal s'engage à aider le jeune Marzouka Oummou Hani dans la réécriture de son ouvrage », Cameroun24.net, vendredi 21 juillet 2023.
[41] https://www.youscribe.com/BookReader/Index/3708327/?documentId=6076110 (consulté en février 2025).
[42] L’un des plus usités est le quatrain de ralliement « Paul Biya, Paul Biya, notre Président, Père de la Nation, Paul Biya, toujours en avant » ou encore « Paul Biya, Paul Biya, notre Président, Père de la Nation, Paul Biya, toujours chaud gars » (quatrain repris par Docta, un des personnages du roman de Patrice Nganang (Temps 2001, p. 274).
[43] Ce statut, généralement unique, se partage entre les deux figures présidentielles nationales.
[44] https://www.prc.cm/fr/actualites/1963-paul-biya-appelle-au-courage-au-dynamisme-et-a-la-volonte-apres-les-tristes-evenements-du-21-octobre, ou encore https://www.prc.cm/fr/actualites/7401-accueil-triomphal-du-president-paul-biya-a-yaounde; consultés le 30 décembre 2024.
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Pour citer l'article :
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Machikou, N. (2025). Le maintien de l’ordre patriarcal par voie de silenciation : territoires littéraires de la subordination féminine au Cameroun. Global Africa, (9), pp. 36-51. https://doi.org/10.57832/ggk9-xd46
MLA
Machikou, Nadine. « Le maintien de l’ordre patriarcal par voie de silenciation : territoires littéraires de la subordination féminine au Cameroun. » Global Africa, no. 9, 2025, pp. 36-51. doi.org/10.57832/ggk9-xd46
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https://doi.org/10.57832/ggk9-xd46
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