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Editorial

Afrostructurer l’édition scientifique

Mame-Penda Ba

Rédactrice en chef, Global Africa

mame-penda.ba@ugb.edu.sn

numéro :

Publier la recherche africaine

Publishing Africa

Kuchapisha utafiti wa Kiafrika

نشر البحوث الأفرقية

GAJ numéro 02 première.jpg.jpg

Publié le :

20 septembre 2024

ISSN : 

3020-0458

07.2024

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Plan de l'article

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J’ai stoppé net ma danse de la victoire en relisant le texte de David Mills et de Toluwase Asubiaro dans ce numéro. Pourtant depuis quelques jours, je baignais dans une liesse que rien ne semblait pouvoir perturber. Global Africa, revue que nous avions créée depuis moins de trois ans, venait d’être indexée successivement par African Journals OnLine (AJOL) et par Directory of Open Access Journals (DOAJ) à une semaine d’intervalle au mois d’août 2024. Cette double validation de la robustesse des processus éditoriaux, établis pour assurer la qualité, la régularité, la transparence, l’accessibilité, valait bien quelques pas de danse de victoire ! D’autant plus qu’avec cette indexation, le Sénégal venait de rentrer dans la liste des pays africains francophones représentés dans le DOAJ ! Et pour partager ce succès, ce titre glorieux, nous avons assailli les réseaux sociaux et communiqué dans toutes les langues cette heureuse nouvelle. Nous avions en effet presque touché le Graal des revues – le Graal en l’occurrence étant l’indexation en cours pour Scopus, pour lequel nous attendions les résultats de la soumission, mais avions été prévenus que cela prendrait plusieurs mois.
Puis sont arrivées les épreuves des articles du numéro 7 qui, par une heureuse coïncidence, portait sur les défis de l’édition scientifique en Afrique. Sans évidemment s’y limiter, un certain nombre d’articles montrent comment la géopolitique de l’édition scientifique globale exclut l’Afrique, ses langues et ses chercheurs. On y rappelle que les systèmes embryonnaires mis en place au lendemain des indépendances ont été durablement déstructurés par les ajustements structurels des années 1980, l’absence de financement, de ressources humaines spécialisées et de stratégie. En conséquence les revues africaines restent anonymes, de piètre qualité et absentes des index. 
Alors à la fierté est venu s’ajouter un mélange de malaise, de pudeur et de doute, dissipant presque mon euphorie. En faisant un rapide travail d’introspection, j’ai compris que ma gêne venait du fait que je célébrais – de la même façon que mes collègues nigérians Nnaji et Adibe (Mills & Asubiaro, 2024) –, au fond, la « vraie » naissance de Global Africa, à savoir la garantie que nous serions enfin vus et reconnus par la communauté des chercheurs à l’échelle mondiale. Nous avions beau être déjà là, être déjà pertinents, être déjà « beaux », peut importait cette existence préalable si elle n’était pas sanctionnée par notre ticket d’entrée dans le club très fermé, dans l’aristocratie très dandy des revues scientifiques (en open access pour DOAJ). Nous venions, parce que reconnus par les autres, d’être enfin « visibles » et donc pleinement légitimes et dorénavant fréquentables par tous les chercheurs. C’est ce qu’offre l’indexation. Pour quelqu’un qui pense la décolonialité, la pluriversalité, le décentrement et l’existence en dehors du regard de l’Occident, c’était une grande contradiction.
Alors j’ai stoppé net ma danse de la victoire pour mesurer à nouveau la lourdeur du fardeau et l’immensité de la responsabilité qui est celle des éditeurs africains. Je dirais, par souci de synthèse et parce que le petit espace qu’offre un éditorial ne permet pas de contenir les états d’âme d’une rédactrice en chef africaine, que sa mission consiste à aller au-delà des dilemmes et des contradictions. Je dis cela car ce qui ressort de ce numéro en fin de compte, c’est que toutes les formules proposées pour construire des écosystèmes stimulants de recherche, de publication et de diffusion des résultats scientifiques, prises dans leurs contextes, sont pertinentes. Elles ne s’excluent pas mais se complètent parce qu’en réalité, nous devons être pertinents et reconnus, grands ou petits (au choix) mais beaux toujours, nous devons célébrer toutes les reconnaissances faites à un travail de qualité sans nous sentir coupables mais sans oublier l’injustice du système, nous devons rendre disponibles toutes les possibilités qui évitent l’uniformité, le monolinguisme.
Aller au-delà des dilemmes consiste à la fois à assurer la qualité, la légitimité et la crédibilité (qui passent dorénavant presque toujours par l’inclusion dans les index) tout en maintenant notre devoir d’indignation devant la violence incroyable qu’un petit groupe de multinationales de l’édition scientifique fait peser sur le Sud global et sur l’Afrique en particulier (voir le texte de Madeleine Markey). 
Mais la véritable tâche qui est la nôtre est de construire des infrastructures publiques diversifiées pour la recherche, sa publication et son utilisation, infrastructures qui ont en commun le partage des connaissances, l’inscription de celles-ci au cœur des projets de développement du continent et l’offre simultanée de réponses face aux vulnérabilités globales que produit l’industrie éditoriale.
C’est ce que j’appelle l’« afrostructure » de l’édition scientifique : penser, construire et financer l’édition scientifique africaine à partir de dispositifs intelligents (utilisant le numérique et l’IA), collaboratifs, plurilingues, souverains (financements endogènes), ouverts à tous les publics (scientifiques, décideurs, société civile, citoyens, secteur privé, médias) sensibles à la diversité des valeurs, à la présence des femmes, des jeunes, et proposant des formes de reconnaissance du travail scientifique qui dépassent la seule production d’articles.
Si, comme je le crois, nous devons forger nos propres destins, modeler dès aujourd’hui ce qui doit advenir, il faut penser aux conditions pour réaliser la présence africaine des revues africaines dans le monde, présence qui n’est pas imitation, intégration, assimilation dans les process des autres, mais présence qui permet d’offrir une autre option que celle de la course effrénée dans la production industrielle des articles, dans l’imposition d’une langue hégémonique, ou des standards occidentaux. Ce retour vers le sens, vers les gens, vers la discussion véritable de ce qu’on a (pas) trouvé, dans une multiplicité de langues, de cultures scientifiques, de questionnements, c’est aussi ce que l’on espère de l’Afrique.
On espère aussi de l’Afrique qu’elle joue un rôle fondamental pour un retour vers une science multilingue et un monde de la traduction. Nous devons et pouvons imposer aux géants anglo-américains de l’édition scientifique et aux grandes universités qui dominent les classements internationaux, la traduction des articles, ainsi qu’un nouveau crédo : moins d’articles, mieux d’articles. L’expérience de Global Africa montre que les coûts en traduction sont parfaitement supportables pour les revues appartenant aux grands groupes et aux grandes universités, puisque la traduction et la révision intégrales d’un numéro comprenant huit articles de recherche dans une autre langue sont de 3000 euros. La traduction est gratuite quand on demande aux auteurs et autrices de fournir les résumés de leurs articles dans leurs langues maternelles.
L’idée que la traduction coûte cher et retarde le processus éditorial est donc un épouvantail destiné à maintenir un statu quo qui nuit à la bibliodiversité et au plurilinguisme. Grâce à un groupe de traducteurs que nous faisons travailler simultanément, nous mettons environ quatre semaines pour traduire et réviser chaque article, et rentrons donc parfaitement dans le délai de quarante semaines entre la soumission d’un article complet et sa publication dans deux langues au moins.
Ce numéro est un beau numéro. Il est auréolé de la générosité et de la rigueur de ses coordonnateurs scientifiques (David Mills, Stephanie Kitchen et Bouchra Sidi-Hida), qui ont travaillé avec dévouement depuis une année. Grâce à eux, nous avons tous les éléments pour prendre la juste mesure des défis de l’édition scientifique africaine et aller vers les meilleures réponses. Il nous met beaucoup d’étoiles dans la tête, autant que Gaindsat-1A, le premier nanosatellite que le Sénégal vient d’envoyer dans l’espace.

Notes

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Bibliographie

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