Champ
L'Esti (éducation, science, technologie, innovation), un levier pour le développement africain
Ancien directeur Éducation, Science, Technologie et Innovation de l’Union africaine
Interrogé par
Professeure de sciences politiques, Sénégal
Rédactrice en chef de Global Africa
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Plan de l'article
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Ba : Bonjour Dr Ouédraogo, merci d’avoir accepté d’être interviewé pour ce dossier thématique « Panafricanisme et recherche africaine » de la revue Global Africa. C’est un grand plaisir de pouvoir échanger avec vous. Vous étiez en charge, aux côtés de différents commissaires, de la direction Éducation, Science, Technologie et Innovation de l’Union africaine (UA). Pouvez-vous nous présenter votre direction ?
Dr Ouédraogo : C’est un plaisir de pouvoir m’entretenir avec vous.
Sur le plan historique, les questions liées à l’éducation, à la science et à la technologie sont importantes pour l’UA. En effet, elles étaient déjà discutées dès les indépendances, et à la création de l’Organisation de l’unité africaine (OUA) en 1963, les pères fondateurs en avaient fait une des priorités pour l’Afrique.
Ainsi, la Commission de coopération technique au sud du Sahara (CCTA), créée dès 1950 par les puissances coloniales notamment française, britannique et belge, visait à coordonner les actions de développement en Afrique et à tisser des liens avec l’Europe. Elle a été absorbée par l’OUA à travers la Commission scientifique, technique et de la recherche (CSTR) en 1964, commission que j’ai eu le privilège de diriger entre 2009 et 2012. Depuis sa création, suite à plusieurs réaménagements, la CSTR a mis en œuvre des programmes prioritaires de l’UA en science et technologie à travers l’organisation de formations, séminaires, colloques, ateliers, réunions techniques, etc., et la coordination des activités des différents sous-comités d’experts interafricains dans des domaines spécifiques tels que la pharmacopée africaine. La CSTR disposait de deux organismes permanents : le Bureau interafricain des sols (BIS) et le Conseil phytosanitaire interafricain (UA-IAPSC[1]). Ils ont été déplacés respectivement de Paris à Bangui, en République centrafricaine, et de Londres à Yaoundé, au Cameroun. Le BIS a ensuite été transféré au bureau de la CSTR à Lagos. La CSTR a aussi coordonné, entre autres, les activités du Bureau interafricain pour les ressources animales (Bira) et du Bureau de l’Union africaine en charge de la recherche et développement sur les cultures vivrières en zones semi-arides (UA-Safgrad), créée pour apporter des solutions durables à la sécurité alimentaire suite aux sécheresses des années 1970.
Conformément au plan de Lagos 1980[2] et à la décision de Maputo 2003[3], beaucoup d’institutions sous-régionales ont été mises en place pour la recherche dans certains domaines spécifiques, y inclus le Centre d’études linguistiques et historiques par tradition orale (Celhto) à Niamey (Niger), l’Académie africaine des langues (Acalan) à Bamako (Mali), le Centre international d’éducation des filles et des femmes en Afrique (Cieffa) à Ouagadougou (Burkina Faso), l’Institut panafricain de l’éducation pour le développement (Iped) (ancien Bureau africain des sciences de l’éducation – Base) à Kinshasa (République démocratique du Congo), l’Université panafricaine à Yaoundé (Cameroun), et l’Observatoire africain pour la science, la technologie et l’innovation (Oasti), pour ne citer que celles-ci. En 2014, les États membres ont créé le Conseil africain pour la recherche scientifique et l’innovation (Carsi), dont le secrétariat est le bureau de la CSTR actuellement basé à Abuja (Nigeria).
Avec l’avènement de l’UA, la décision de Maputo en 2003 a aussi permis la création du département des Ressources humaines, Science et Technologie (RHST) qui est la structure à laquelle se rapporte la CSTR. Dès lors, le RHST a eu pour mission de coordonner les politiques des États membres dans le domaine de l’éducation, la science et la technologie et à cet effet, avait des bras techniques, dont la CSTR et le bureau en charge de la science et de la technologie du Nouveau partenariat pour le développement de l’Afrique (Nepad). Le département avait aussi en charge la question de la jeunesse, son développement, son autonomisation et sa contribution inclusive au développement africain. Plusieurs programmes et stratégies ont été créés dont le Plan d’action consolidé (CPA) pour la science et la technologie, puis tout dernièrement la Stratégie africaine de la science, la technologie et l’innovation (Stisa-2024), la Stratégie continentale pour l’éducation en Afrique (Cesa 16-25), la stratégie et la politique africaines de l’espace. La présente réforme de l’UA, commencée en 2016 et toujours en cours, a renommé le service : « département Éducation, Science, Technologie et Innovation ». Dans un souci de cohérence et de répartition adéquate des tâches, ce département a été chargé d’élaborer et d’harmoniser des politiques et des programmes dans les domaines de l’éducation, de la science, de la technologie, de l’espace et de l’innovation, et ce afin de promouvoir une croissance inclusive et un développement durable en Afrique, en vue d’atteindre les objectifs de l’UA et de l’Agenda 2063, et contribuer ainsi à l’Agenda mondial. Ses principales fonctions sont : être le fer de lance du développement de systèmes d’éducation et de formation de qualité, pertinents et harmonisés répondant aux besoins de développement social et humain de l’Afrique ; la promotion et le renforcement des capacités du continent en matière d’espace, de science, de technologie et d’innovation ; coordonner et développer des projets phares de l’UA et des initiatives propres sur l’Université panafricaine (UPA) et l’université virtuelle africaine, la stratégie africaine de l’espace extra-atmosphérique.
Ba : L’UA est l’institution panafricaine par excellence. En quoi les thématiques que vous avez en charge participent-elles au projet panafricain ? Nous faisons référence non seulement à la construction politique du panafricanisme, mais aussi aux objectifs économiques et sociaux du projet.
Dr Ouédraogo : Lors de mon passage à l’UA, j’avais en charge plusieurs thématiques qui ont d’ailleurs eu l’approbation des États membres pour leur mise en œuvre.
Ces programmes découlent généralement des différentes stratégies africaines notamment la Stisa-2024, la Cesa 16-25, la politique et la stratégie africaines de l’espace. Elles forment l’ossature de l’Agenda 2063 dans le domaine de l’éducation, la science et la technologie. Elles contribuent à l’intégration du continent, à son développement socioéconomique par la science et la technologie, et à résoudre les défis clés avec un capital humain formé. L’éducation, la science et la technologie constituaient un volet transversal et devaient contribuer à la mise en œuvre des sept aspirations de l’Agenda 2063. Nous collaborions donc avec tous les départements de la commission de l’UA pour l’atteinte des objectifs d’une Afrique intégrée, en paix et prospère. L’UPA a donc ajouté à son programme, par exemple, l’enseignement de l’histoire générale de l’Afrique. La diaspora africaine était mise à contribution pour le développement des stratégies et des programmes, ainsi que dans les réunions ministérielles sectorielles.
Ba : Depuis la création de l’OUA en 1963, beaucoup de choses ont été faites. Pouvez-vous donner des exemples de success-stories, de stratégies en faveur de la science (Stim[4] et SHS[5]) qui ont transformé l’espace panafricain de la recherche et de l’éducation ?
Dr Ouédraogo : D’une manière générale, les sciences et l’éducation jouent un rôle majeur dans la mise en œuvre des dix premières années de l’Agenda 2063. La Stisa-2024 a été la première d’une série de cinq stratégies. Elle vise essentiellement à l’accélération de la transition de l’Afrique vers une économie fondée sur l’innovation et la connaissance. La politique et la stratégie africaines de l’espace est l’un des huit premiers projets phares de l’Agenda 2063. Ces stratégies et ces politiques n’ont de la valeur que si les acteurs concourent à les déployer sur le terrain au bénéfice des populations.
Dans le domaine de l’agriculture, un exemple d’action qui a significativement contribué à la sécurité alimentaire est la recherche et la vulgarisation de variétés précoces et extra précoces de maïs, de niébé et de petit mil en Afrique de l’Ouest et du Centre grâce à l’action de l’UA-Safgrad, en collaboration avec les centres internationaux de recherche agricole[6]. Les activités du Bira ont contribué à l’éradication de la peste bovine en Afrique et à la protection et la valorisation des ressources animales du continent en général.
L’UA, en collaboration avec l’Union européenne (UE), a mis en place le prix Kwame Nkrumah pour l’excellence dans le domaine des sciences, et plus récemment le prix de l’enseignant a été créé dans le but de promouvoir les bonnes pratiques dans ces domaines. Les bourses de recherche attribuées par l’UA et ses partenaires ont permis la mise en réseaux de plusieurs milliers de chercheurs africains pour résoudre des thématiques chères au continent telles la sécurité alimentaire ou les énergies renouvelables. Ces bonnes pratiques sont mises en œuvre en collaboration avec les Communautés économiques régionales (CER) qui sont encouragées à se les approprier et à les promouvoir aussi au niveau des pays.
La mise en place de l’UPA et de l’Université virtuelle africaine a permis de renforcer la formation de plus de 1000 étudiants de niveau master et doctorat dans les domaines des Stim et des SHS sur le continent. Des recherches ont été menées sur des thématiques africaines et des étudiants ont enregistré des brevets auprès des organisations de la propriété intellectuelle. La mobilité académique interafricaine a permis d’augmenter le nombre d’inscriptions des étudiants africains dans les universités africaines grâce aux bourses d’études et de recherche, et de ce fait éviter la fuite des cerveaux dans les pays occidentaux.
La thèse selon laquelle on peut mieux faire à l’UA est indiscutable, mais il faut aussi reconnaître que l’UA a eu beaucoup d’initiatives et de success-stories peu connues du grand public soit par manque de publicité, soit par fausse appropriation.
Ba : Qu’en est-il de la coopération avec les CER et les organisations pour la recherche et la formation comme le Codesria[7] ou le Cames[8] ?
Dr Ouédraogo : Les CER servent de fondation de l’UA. Une coopération tacite existe donc entre ces institutions et la commission pour l’organisation de réunions, dont le but est d’harmoniser les politiques des différents pays et régions. Le plan de mise en œuvre des dix premières années de l’Agenda 2063, et conformément à la réforme de l’UA, implique une répartition des actions et des activités aux niveaux national, régional et continental. Une réunion de coordination entre l’UA et les CER a lieu une fois par an pour le suivi de l’Agenda 2063 et la coordination des activités des différentes composantes de l’UA. Concernant les organisations de recherche, l’UA signe des protocoles d’accord (MOU) avec ces organisations selon leurs domaines d’attribution et leur capacité dans la recherche pour l’élaboration de stratégies et de programmes. Ainsi, l’Académie africaine des sciences travaille avec l’UA pour mettre en œuvre la Stisa-2024, par voie de délégation. Le Forum pour la recherche agricole en Afrique (Fara) et le RUFORUM[9] collaborent à la mise en place du pilier 1 de la Stisa-2024 sur l’éradication de la faim à travers le volet recherche et formation dans le domaine de l’agriculture. Concernant le Codesria, nous avons participé, avec le commissaire en charge des affaires économiques, à une de leurs conférences au Ghana en 2019, un think tank relatif aux sciences sociales très utile pour le continent. Je vois en filigrane une coopération avec l’UPA, surtout avec l’Institut de la gouvernance et les SHS, relative au suivi de l’Agenda 2063. La question de rendre les curriculums plus adaptés aux besoins du marché du travail interpelle la commission à collaborer avec le Cames. En 2015, nous avons travaillé ensemble sur l’assurance qualité de l’enseignement supérieur, ceci en prélude à la mise en place d’un cadre panafricain. Mais il faut l’avouer, la collaboration pourrait être plus approfondie. La commission a aussi travaillé avec l’Unesco pour la reconnaissance des études et des certificats, grades et autres titres de l’enseignement supérieur dans les États africains. Cela y va de l’intégration du continent et de la mobilité des enseignants et des étudiants.
Ba : Nous voudrions revenir sur le Celhto et l’Acalan, leur importance pour l’Afrique et le monde. Ce sont des organisations mal connues des Africains.
Dr Ouédraogo : En effet, beaucoup de bureaux spécialisés de l’UA, importants de par leur mandat et au regard du travail accompli, restent peu connus. On peut citer, entre autres, le Celhto et l’Acalan, de l’Oasti et de l’Iped. Ils ont publié beaucoup d’ouvrages importants pour l’Afrique, et sont bien placés quant à la promotion du panafricanisme et la contribution historique du continent pour l’humanité. La question des langues africaines fut une question identitaire soulevée dès les premières heures de l’OUA, et elle reste d’actualité. Ces institutions méritent beaucoup plus de soutien concernant l’actualisation de leur mandat, du personnel adéquat et des ressources, tout ce qui peut être revu dans le cadre de la réforme des bureaux techniques spécialisés de l’UA, mais qui se fait attendre.
Ba : En quoi consistent la politique et la stratégie africaines de l’espace ?
Dr Ouédraogo : En 2012, beaucoup de conseils ministériels ont été organisés sur la question de l’espace en Afrique impliquant les ministres en charge de l’information et de la culture, ceux des infrastructures et de l’énergie, ceux de la météorologie, et ceux des sciences et de la technologie. Ces derniers ont demandé à la commission de l’UA de créer un groupe de travail participatif composé d’experts africains pour étudier la mise en place de la stratégie et de la politique africaines de l’espace. Le but était de mobiliser les ressources africaines pour un développement harmonieux du continent. C’était à Brazzaville durant la 11e session de l’Amcost[10] en 2012. Cette directive des ministres a abouti à l’adoption de documents statutaires pour ces stratégies, ainsi que celles relatives à l’agence spatiale africaine chargée de la mise en œuvre des programmes découlant de ces politiques. Essentiellement pilotée par des experts africains, cette stratégie a posé les bases d’un développement coordonné des technologies spatiales à des fins pacifiques, pour le développement africain. Cette politique a pour objectifs principaux l’utilisation de la science et de la technologie spatiales pour tirer des avantages socioéconomiques optimaux, améliorer la qualité de vie des Africains et créer de la richesse. Pour cela, il faut développer les infrastructures locales, le capital humain et les capacités qui desservent un marché africain répondant aux besoins d’informations géospatiales et spatiales. La stratégie africaine de l’espace fournit un cadre pour tous les acteurs public et privé africains pour développer des initiatives, avec une vision collective à long terme. Elle a mis en place les bases du développement et coordonné des technologies : l’observation de la Terre ; la communication satellitaire, la navigation, le positionnement et le timing ; l’astronomie et les sciences de l’espace.
Avec ces documents-cadres, l’UA s’est offert un outil pour promouvoir la technologie spatiale dans un contexte de développement durable.
Ba : Le monde africain n’est pas toujours à la table des résolutions de problèmes cruciaux de notre temps. Les questions environnementales, sanitaires, de démocratie, de paix internationale, de bien-être matériel des populations, nous le savons, sont aussi des problèmes locaux. Ainsi, les États africains ont compris la nécessité de financer la recherche africaine à hauteur de 1 % du PIB des pays du continent. Comment appréciez-vous cet engagement ? Pourquoi aucun pays n’est encore parvenu à atteindre cet objectif ?
Dr Ouédraogo : Nous ne pouvons occulter la faible participation de l’Afrique à la résolution de ces questions. En effet, nous avons pris l’habitude de faire appel aux autres pour trouver des solutions à nos propres défis. Déjà à Lagos en 1980, les chefs d’État faisaient cas du paradoxe africain : un continent riche mais avec des citoyens pauvres. Malgré les différentes avancées, en 2017 le conseil exécutif a tenu une réunion extraordinaire à Nairobi pour apporter des solutions idoines. La bonne volonté et les meilleurs textes existent au sein de l’UA, mais leur application laisse à désirer. C’est ainsi que la décision de 1 % initialement prise dans le plan d’action de Lagos, et reprise dans la décision de Khartoum en 2006, n’a pas rencontré le succès escompté. Selon Stisa-2024 et le rapport du Nepad sur les perspectives de l’innovation africaine de 2019, la décision appelle les pays africains à augmenter leurs dépenses intérieures brutes nécessaires pour renforcer les compétences techniques de l’Afrique, améliorer les infrastructures de recherche, de capacité d’innovation et d’entrepreneuriat et créer un environnement politique propice pour accélérer « la transition de l’Afrique vers une économie de la connaissance axée sur l’innovation[11] ». Ainsi, l’Observatoire africain pour la science, la technologie et l’innovation (Aosti) et l’Initiative africaine sur les indicateurs de la science, de la technologie et de l’innovation (Aisti) apportent un soutien aux pays africains pour collecter des données sur les indicateurs Science, technologie et innovation (STI) et en générer de nouveaux, afin de suivre la mise en œuvre des décisions relatives à la performance des STI dans nos pays. Les champions dans son application sont le Rwanda et l’Afrique du Sud qui ont effleuré le taux de 1 % pour une seule année. On a tendance à croire que nous prenons les décisions sans pour autant évaluer les coûts et les conséquences de leur application. Ainsi, la plupart des stratégies ne sont pas financièrement évaluées, encore moins pourvues d’un budget adéquat. En réalité, les investissements dans la recherche et l’éducation ne donnent pas de résultats immédiats voulus par les dirigeants, qui jettent généralement leur dévolu sur les projets de courte durée, et optent pour le saupoudrage budgétaire.
Mais l’horizon s’éclaircit, le réveil africain se fait doucement, mais sûrement. Il s’inscrit dans le long terme comme toutes les histoires des continents. Il y a beaucoup plus d’Africains éduqués aujourd’hui grâce aux Objectifs de développement durable (ODD) et aux Objectifs du millénaire pour le développement (OMD) qui contribuent au développement global, bien que les résultats de ces plans globaux soient mitigés pour le continent. Mais la jeunesse africaine, dynamique et éclairée, est de plus en plus consciente de la nécessité d’un changement de paradigme afin de transformer l’Afrique en « eldorado ». Je crois que cette marche pour la transformation du continent est inéluctable.
Ba : Tout comme la question du financement, la déconnexion entre le monde de la recherche, celui de l’entreprise et les politiques publiques est une des faiblesses majeures des pays africains. Comment participez-vous à résorber cela, afin que les secteurs public et privé mettent en pratique les résultats de la recherche ?
Dr Ouédraogo : L’innovation nécessite la participation active du politique, de la recherche et du secteur privé. Cette complicité semble naturelle dans les pays développés alors qu’en Afrique, des défis demeurent. À la Commission de l’UA (CUA), nos actions concernaient essentiellement les différentes politiques communautaires, le secteur privé était considéré dans l’élaboration de ces politiques. Dans le domaine de l’éducation, le privé est aujourd’hui incontournable pour gérer les flux d’apprenants. De même, la mise en place de centres d’incubation à l’UPA vise à rendre le partenariat recherche, public et privé gagnant-gagnant. Des réunions d’experts productives ont été tenues pour réfléchir à un développement harmonieux. Les parlementaires africains ont été formés afin de briser la barrière entre ces trois secteurs qui influence négativement le financement de la recherche, et en déconsidère les résultats. En 2014, l’UA a créé le Forum africain pour la recherche et l’innovation (Fari) à Brazzaville, il vise à mettre en relation la recherche, les politiques et les utilisateurs des résultats de la recherche. De tels forums sont mis en place dans la plupart des pays, par exemple le Forum de la recherche scientifique et des innovations technologiques (FRSIT) au Burkina Faso.
Ba : L’actualité de la recherche pose la nécessité de la décolonialité des savoirs. En tant qu’institution panafricaine, vous réfléchissez certainement au besoin de centrer l’Afrique. Quelle est la place des sciences endogènes comme les médecines traditionnelles, les savoirs environnementaux locaux, etc. ?
Dr Ouédraogo : Le plan d’action de Lagos appelle à une coopération entre les pays africains dans la préservation, la protection et l’amélioration de l’environnement naturel. La question de la médecine traditionnelle a été prise en compte par le Comité interafricain sur la médecine traditionnelle et les plantes médicinales. Grâce à l’effort des experts africains, l’UA a publié la pharmacopée africaine version 1 et 2. Durant la pandémie en 2020, il y a eu un regain de la recherche pour l’utilisation de la médecine traditionnelle et des plantes médicinales pour son traitement. Pratiquement tous les pays africains disposent de centres de recherche sur cette médecine, à des niveaux différents. Du fait même de la cherté de la médecine moderne, la médecine traditionnelle est une solution pour les populations, surtout les plus démunies. L’UA s’est lancée dans des programmes de documentation, de conservation et d’utilisation des savoir-faire traditionnels, de la culture et du folklore avec la création de l’Organisation panafricaine de la propriété intellectuelle (Opapi) dont le siège sera à Tunis.
Il est important de continuer à documenter ces savoirs en phytothérapie et de faire les évaluations nécessaires, en définissant un protocole accepté par la majorité. Détecter les lacunes nous permettra de définir des axes de recherche pour pallier ce manque. La protection des savoirs traditionnels, sa gouvernance au niveau continental et leur utilisation pour l’innovation et l’amélioration des moyens de subsistance des Africains sont des domaines importants à ne pas négliger. L’espoir est mis sur la jeunesse africaine en pleine croissance.
Ba : Même si la Zone de libre-échange continentale africaine (Zlecaf) est une avancée sur le plan économique, la libre circulation des personnes est extrêmement problématique sur le continent. Il n’existe toujours pas de passeport africain et les frais de visa sont les plus élevés au monde, alors que faire de la recherche est synonyme de mobilité. Quel rôle l’UA doit-elle jouer dans ce processus ?
Dr Ouédraogo : L’Agenda 2063, à son lancement, a promulgué huit projets phares, dont la Zlecaf, le passeport africain et la libre circulation des personnes. Ce projet visait à s’affranchir des frontières par la délivrance de visas, afin d’améliorer la libre circulation des citoyens dans tous les pays africains avant 2018. La Zlecaf a bénéficié de la mobilisation de l’ex-président nigérien Mahamadou Issoufou qui avec ses pairs ont travaillé dur pour sa mise en œuvre. Le projet de zone de libre-échange économique était dans le cœur des pères fondateurs de l’OUA dès 1963. Ils voulaient une Afrique qui, au lendemain des indépendances, formerait ses enfants dans des domaines tels que la science, la technologie ou la gouvernance, qui pourraient ainsi prendre la relève du colon, mais aussi pour que les pays du continent aient une économie interdépendante.
L’Aspiration 2[12] de l’Agenda 2063 envisage « un continent intégré, politiquement uni et basé sur les idéaux de la renaissance de l’Afrique ». D’ici 2063, l’Afrique devrait être un continent aux frontières homogènes, avec des ressources transfrontalières gérées par le dialogue. Un continent où la libre circulation des personnes, des capitaux, des biens et des services se traduira par une augmentation significative des échanges et des investissements entre les pays africains, ce qui renforcera la place de l’Afrique dans le commerce mondial.
Il convient de noter que le passeport africain existe, mais actuellement il est limité au personnel de l’UA et aux chefs d’État, il n’est pas accepté en dehors du continent. Pire encore, certains pays africains exigent l’obtention préalable de visa. La commission de l’UA travaille en collaboration avec l’Organisation de l’aviation civile internationale (Oaci) et l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) pour fournir l’appui technique nécessaire aux États membres afin de délivrer un passeport africain aux citoyens.
Le premier rapport continental sur la mise en œuvre de l’Agenda 2063, publié en 2020, note que le protocole au traité instituant la Communauté économique africaine relatif à la libre circulation des personnes, le droit de séjour et le droit d’établissement a été adopté en janvier 2018. La vulgarisation du protocole sur la libre circulation des personnes a été entreprise – impliquant les États membres et les CER en vue d’obtenir les quinze ratifications requises pour son entrée en vigueur. Mieux, 32 États membres ont signé le protocole mais seul, le Rwanda, l’a ratifié et mis en application. L’Éthiopie avait aussi commencé à délivrer des visas mais la situation interne du pays en 2021 a fragilisé cette décision.
La vision de l’UA et les objectifs de l’Agenda 2063 ne sont pas hors de portée pour le continent au vu de sa richesse, sa population grandissante et sa jeunesse dynamique très entreprenante. J’ose donc croire que le développement africain, l’Afrique que nous voulons, est atteignable, notre futur est entre nos propres mains.
[1] Inter-African Phytosanitary Council. https://auiapsc.org/fr/ [2] Plan d’action de Lagos pour la mise en application de la stratégie de Monrovia pour le développement économique de l’Afrique. [3] Rapport de la 3ème session ordinaire du conseil exécutif sur la structure, les besoins en ressources humaines et les conditions de service du personnel de la commission de l’UA et de ses implications financières. Ce conseil s’est tenu du 4-8 Juillet 2003 à Maputo au Mozambique. [4] Science, technologie, ingénierie et mathématiques. [5] Sciences humaines et sociales. [6] L’Institut international de l’agriculture tropicale (Iita), l’Institut international de recherche sur les cultures des zones tropicales semi-arides (Icrisat) et le Centre international pour l’amélioration du maïs et du blé (Cimmyt). [7] Conseil pour le développement de la recherche en sciences sociales en Afrique. [8] Conseil africain et malgache pour l’enseignement supérieur. [9] Regional Universities Forum for Capacity Building in Agriculture. [10] Conseil ministériel africain sur la science et la technologie. [11] https://au.int/sites/default/files/documents/37448-doc-stisa-2024_french.pdf [12] https://au.int/fr/agenda2063/aspirations
Notes
[1] Inter-African Phytosanitary Council. https://auiapsc.org/fr/
[2] Plan d’action de Lagos pour la mise en application de la stratégie de Monrovia pour le développement économique de l’Afrique.
[3] Rapport de la 3ème session ordinaire du conseil exécutif sur la structure, les besoins en ressources humaines et les conditions de service du personnel de la commission de l’UA et de ses implications financières. Ce conseil s’est tenu du 4-8 Juillet 2003 à Maputo au Mozambique.
[4] Science, technologie, ingénierie et mathématiques.
[5] Sciences humaines et sociales.
[6] L’Institut international de l’agriculture tropicale (Iita), l’Institut international de recherche sur les cultures des zones tropicales semi-arides (Icrisat) et le Centre international pour l’amélioration du maïs et du blé (Cimmyt).
[7] Conseil pour le développement de la recherche en sciences sociales en Afrique.
[8] Conseil africain et malgache pour l’enseignement supérieur.
[9] Regional Universities Forum for Capacity Building in Agriculture.
[10] Conseil ministériel africain sur la science et la technologie.
[11] https://au.int/sites/default/files/documents/37448-doc-stisa-2024_french.pdf
Bibliographie
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Pour citer l'article :
APA
Ouedraogo, M., Ba, M.-P. (2023). L'Esti (éducation, science, technologie, innovation), un levier pour le développement africain. Global Africa, 3, pp. 152-160. https://doi.org/10.57832/hvhd-af43
MLA
Ouedraogo Mahama et al. "L'Esti (éducation, science, technologie, innovation), un levier pour le développement africain". Global Africa, no. 3, 2023, p. 152-160. doi.org/10.57832/hvhd-af43
DOI
https://doi.org/10.57832/hvhd-af43
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